Dans la série de ses analyses économiques, le Groupe du Crédit Agricole (France) a publié un rapport sur la Tunisie intitulé «Nouvelle dégradation de rating : sans choc salutaire, un défaut sur la dette externe est assez probable» (N°21/259 – 19 juillet 2021) où les auteurs brossent un tableau sombre des perspectives de notre pays où la crise financière et économique et l’instabilité gouvernementale alimentent la grogne sociale et nourrissent la défiance des créanciers extérieurs.
L’agence de rating Fitch vient à nouveau de dégrader à B- le rating de la Tunisie et maintient un «outlook» négatif sur ce niveau de notation, ce qui veut dire que la probabilité d’une nouvelle baisse est sérieusement envisagée par l’agence. Elle rejoint donc Moody’s dans son appréciation de la qualité du risque tunisien (perspective négative comprise). Les deux agences ont baissé de sept crans le niveau de notation du souverain depuis 2011, en raison de l’instabilité politique et sociale et des dérives économiques depuis dix ans (endettement, croissance, politique monétaire, secteur bancaire).
Les dérives macro-économiques effraient les investisseurs étrangers
Actuellement, le système politique éclaté et antagoniste empêche toute réforme – voire toute prise de décision – et les tensions sociales, notamment avec le syndicat des fonctionnaires UGTT, entraînent des dérives macro-économiques de plus en plus préoccupantes et qui effraient les investisseurs étrangers. Les tensions entre le président Saïed et le Premier ministre Mechichi sont très fortes. Huit postes ministériels sur vingt-sept sont toujours non pourvus depuis de nombreux mois, soit parce que la présidence en a refusé la validation, soit semble-t-il faute de candidats compétents.
De plus, le pays a beaucoup souffert de la crise de 2020 : une récession de 8,8%, un déficit budgétaire de 11,4% du PIB et un déficit courant de 6,7% du PIB, faisant progresser le double surendettement public (89% du PIB) et externe (2,7 fois les exportations) à des niveaux très alarmants. L’effondrement de l’épargne va maintenir le déficit courant au-delà de 6% du PIB cette année.
La recrudescence de la pandémie de coronavirus en juin 2021 est exponentielle : les cas positifs ont progressé de 8 000 à 46 000 en un mois et les décès à presque 800 par semaine. Le système de santé est saturé et ne peut plus prendre en charge les contaminés. Des reconfinements partiels et localisés ont été décidés pour contenir la progression du virus. Un léger impact sur la croissance est probable au troisième trimestre.
Cette situation compromet aussi totalement la saison touristique de cet été et le manque à gagner va être très élevé pour la deuxième année consécutive, alors que le pays a besoin de 4 milliards de dollars de ressources en devises pour servir sa dette externe d’ici à la fin de l’année. La Tunisie a déjà fait l’objet d’un plan de soutien du FMI depuis 2015, mais le Fonds s’impatiente devant l’absence de réformes.
Le gouverneur de la Banque centrale vient de lancer un cri d’alarme contre le gouvernement pour lui demander d’agir sur le niveau des subventions et les salaires des fonctionnaires. Effectivement, la réforme la plus urgente à réaliser est celle de l’État, mais les gouvernements successifs semblent y renoncer.
La perspective d’un défaut sur la dette externe singulièrement accentuée
De son côté, la BCT essaie de défendre la parité de change du dinar pour éviter une inflation importée qui accentuerait encore un peu plus l’instabilité sociale. Les réserves en devises ont baissé de 8% entre fin 2020 et fin mars 2021 à 8,4 milliards de dollars. C’est un signal très inquiétant, d’autant plus que 49% de ces réserves sont constituées des quatre prêts du FMI encore actifs.
La perspective d’un défaut sur la dette externe s’est donc singulièrement accentuée ces dernières semaines, en l’absence d’accord politique sur les réformes urgentes à mettre en œuvre et ouvrant la porte à une nouvelle aide du FMI. Bien que l’aide actuelle représente déjà 11% du PIB du pays, une extension semble indispensable pour résoudre les tensions de liquidité externe. Pour l’instant, le gouvernement se refuse à envisager une telle restructuration de dette. Effectivement, sur les 40 milliards de dollars de dette externe du pays (soit 105% du PIB), seulement 17 milliards sont portés directement par le souverain. Une crise de liquidité pourrait alors prendre une l’intensité très sévère et entraîner une contagion aux acteurs endettés en devises. Une restructuration affecterait principalement les créanciers des entreprises et des banques. Elle obligerait le pays à entrer dans une douloureuse négociation avec les créanciers du secteur privé. Si le pays devait tomber dans les catégories de CCC, un phénomène auto-réalisateur pourrait se matérialiser par fermeture totale des marchés internationaux de refinancement.
Les réponses à la crise ne vont pas dans la bonne direction
Notre opinion : spirale inflation-salaire sous la pression des partenaires sociaux, dérive du coût de la dette à 25% des dépenses budgétaires, monétisation des déficits publics par la Banque centrale sous la pression du gouvernement : les réponses à la crise ne vont pas dans la bonne direction. Et cela nourrit à la fois l’instabilité gouvernementale et la défiance des créanciers extérieurs.
À l’instar du Liban, les créanciers externes habituels (FMI, multilatéraux, pays européens et pays du Golfe) sont de plus en plus réticents à aider les pays émergents où les blocages politiques (et non une crise externe comme celle du Covid) les entraînent dans une spirale de difficultés. Par ailleurs, et comme dans le cas de Beyrouth, seul un accord préalable avec le FMI pourra débloquer les fonds des pays amis disposés à soutenir financièrement Tunis.
* Le titre et les intertitres sont de la rédaction.
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