S’il y a une leçon à tirer du drame de l’Afghanistan, abandonné à son sort par les Etats-Unis, c’est que l’ennemi d’un ennemi n’est pas forcément un ami et qu’une «libération» imposée par une force d’oppression, intérieure ou extérieure, ne peut qu’engendrer un nouvel asservissement. Les sociétés ne peuvent se libérer que par leurs propres luttes contre leurs ennemis intérieurs et/ou extérieurs.
Par Mohamed Chérif Ferjani *
Les Etats-Unis, avec la collaboration de leurs amis saoudiens et pakistanais, et en mettant à contribution les réseaux terroristes islamistes financés et dirigés par leur protégé Oussama Ben Laden avant qu’il ne se retournât contre eux suite à l’invasion de l’Irak, ont créé les Talibans pour les instrumentaliser dans leur compétition avec l’URSS dont l’armée a occupé l’Afghanistan de 1979 à 1989. Ils les présentaient alors comme des «combattants de la liberté» en soutenant leur conquête du pouvoir contre d’autres groupes qui combattaient l’occupation soviétique et le régime de Najibullah.
Fiasco de l’intervention américaine et retour triomphal des Talibans
L’attitude des Etats-Unis n’a changé qu’après les attentats terroristes du 11 septembre 2001, à New York et Washington. Les groupes affiliés à Al-Qaïda, dirigés par Ben Laden et protégés par les Talibans au pouvoir à Kaboul, ont revendiqué ces attentats visant à punir les crimes de l’armée américaine en Irak et dans d’autres pays musulmans. Les Talibans sont devenus alors, du jour au lendemain, des terroristes qu’il fallait chasser du pouvoir pour installer à leur place un gouvernement imposé, comme en Irak, par la force des armes.
Vingt ans après, le fiasco de leur intervention contribue aujourd’hui au retour triomphal des Talibans à Kaboul en libérateurs du pays qu’ils avaient soumis à leur tyrannie pendant plus d’une décennie à la fin du 20e siècle. Les troupes américaines et leurs protégés sont défaits comme au Vietnam en 1975, abandonnant lâchement le pays et sa population à des hordes sanguinaires et obscurantistes dont tout le monde connaît les conceptions et les méthodes.
Encore une fois, la démocratie et les droits humains, qui ont servi d’alibi à toutes les interventions criminelles des Etats-Unis partout – au Vietnam, en Irak, en Afghanistan, dans plusieurs pays asiatiques, africains et latino-américains –, auront du mal à séduire les peuples qui n’ont récolté de ces interventions que l’oppression, les crimes de guerre, la misère et le soutien à des traîtres corrompus au service de leurs maîtres.
Celles et ceux qui ont cru que l’intervention américaine allait apporter aux Afghan(e)s, la liberté, la démocratie et la promotion des droits humains auront beaucoup de mal à se remettre de leurs illusions.
Une «libération» ne saurait être imposée par une force d’oppression
En attendant, les Afghan(e)s auront à affronter les conséquences du retour triomphal de leur oppresseurs d’hier, les Talibans, en comptant d’abord sur leurs propres forces et sur le soutien de celles et ceux qui, partout dans le monde, se sont toujours opposé(e)s aux interventions des Etats-Unis, de l’URSS, de la France, de l’Angleterre et de toutes les puissances internationales et/ou régionales en compétition pour assoir leur hégémonie et faire valoir leurs intérêts.
S’il y a une leçon à tirer des drames vécus par le peuple afghan depuis l’intervention soviétique en 1979, c’est que l’ennemi d’un ennemi n’est pas forcément un ami et qu’une «libération» imposée par une force d’oppression, intérieure ou extérieure, ne peut qu’engendrer un nouvel asservissement. Les sociétés ne peuvent se libérer que par leurs propres luttes contre leurs ennemis intérieurs et/ou extérieurs.
* Professeur honoraire de l’Université Lyon2, président du Haut conseil scientifique de Timbuktu Institute For Peace Studies.
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