Si l’identité symbolisée par le nom peut être claire pour une famille habitant le même pays depuis des générations et dont les membres se marient régulièrement avec des compatriotes, l’union d’une personne avec un partenaire étranger provoquée par tout type de déplacement (études, émigration, guerre…) et donnant lieu au métissage des enfants quand il s’agit du mélange de deux races différentes, a été réalisée par l’humanité depuis longtemps; raison de plus pour que cette pratique, actuellement, s’étende avec le raccourcissement des distances et la réduction de toute la Terre à un village planétaire.
Par Jamila Ben Mustapha *
Ce qui nous intéressera dans cet article, c’est de dévoiler la partie invisible, étrangère au pays où ils vivent, le plus souvent orientale, de quelques personnalités publiques occidentales, et que l’opinion commune peut, à première vue, ne pas soupçonner: c’est que dans les sociétés patriarcales, qu’elles se trouvent à l’est ou à l’ouest, ce qui est perceptible, c’est seulement le nom du père qui n’est qu’un élément partiel de la généalogie.
Nous prendrons trois exemples pour illustrer cette réalité, l’un concernant une artiste décédée, et les autres se rapportant à deux de nos contemporains : un journaliste et un homme politique. Toutes ces personnalités ont eu des mères occidentales, ce qui explique l’impossibilité de les distinguer en les écoutant de leurs compatriotes, la langue étant, avec l’origine culturelle des deux parents, un troisième élément important de l’identité : en effet, si les hommes donnent quelque chose qui apparaît comme essentiel, le nom, les mères sont à l’origine d’une contribution importante mais moins visible: la langue dite maternelle.
La Française Edith Piaf a une ascendance marocaine
Si nous consultons à ce propos l’arbre généalogique de la grande chanteuse Édith Piaf, nous apprenons qu’elle a eu comme grand-mère maternelle une artiste de cirque née en France, dont le nom de scène était Aïcha et qui était elle-même fille de Saïd Ben Mohammed, acrobate de cirque marocain, marié à Marguerite Bracco, d’origine italienne. L’arrière-petite-fille de ces deux Méditerranéens, l’un venu du sud et l’autre du nord, est actuellement considérée comme l’une des artistes les plus emblématiques de son pays natal, la France.
Le Français Darius Rochebin a une ascendance perse
Un journaliste qui a une émission sur la chaîne LCI à une heure de grande écoute, s’appelle Darius Rochebin. Son prénom évoque clairement son origine iranienne et son nom n’est que la forme simplifiée du nom perse de son père : Khoshbin. Citoyen suisse, il est de mère occidentale.
Le Britannique Boris Johnson a une ascendance turque
Notre troisième exemple n’est rien moins que celui de l’actuel Premier ministre britannique Boris Johnson. Qui pourrait deviner à première vue, devant sa tignasse blonde éternellement désordonnée, que son arbre généalogique a des rapports lointains avec l’islam, la Turquie et plus exactement l’empire ottoman ? En effet, son arrière-grand-père paternel, Ali Kemal Bey a été le ministre de l’Intérieur du dernier sultan ottoman Mohamed VI. Sa vie s’est terminée de façon tragique car il a été exécuté en 1922 par le nouvel Etat républicain fondé par Mustapha Kamel.
Une vidéo publiée sur internet montre comment Boris Johnson, à la recherche de ses origines paternelles lointaines, est allé en 2016 en Turquie consulter des archives qui lui ont permis de voir les articles de son arrière-grand-père, journaliste comme il l’a été aussi.
Le melting pot américain
À part ces unions liant un père musulman à une mère occidentale et ayant donné naissance après une ou plusieurs générations à des personnalités publiques, un autre type de mariage peut exister, celui de personnes dont aucun des parents n’est occidental mais vivant en Occident. Aux États-Unis où le pouvoir suprême prend de plus en plus de couleurs, à part l’ancien président Barack Obama dont le père était kényan et la mère Américaine blanche, la vice-présidente Kamala Harris est le produit d’un métissage total : sa mère est indienne et son père jamaïcain. Dans les deux cas, la rencontre de parents issus de pays si lointains n’a pu être possible que sur les bancs de l’université.
Il faut reconsidérer la notion de nationalité
Ces exemples qui sont bien loin d’être les seuls, sont là pour nous montrer qu’il faut reconsidérer le mot nationalité quand il s’agit de grands pays d’immigration comme les États-Unis, la Grande-Bretagne ou la France : ce vocable dont le sens s’est beaucoup affaibli, ne correspond plus à l’appartenance d’une personne à un pays homogène où ont vécu ses ascendants depuis longtemps, puisque ces trois pays – et d’autres de plus en plus nombreux – abritent en leur sein des communautés importantes et diverses, anciennement ou récemment établies.
Le terme de «nationalité» ne fait plus ainsi référence à des traits culturels distinctifs bien définis et stables unissant une collectivité d’habitants partageant une même et longue histoire, mais ne désigne plus que leur résidence pouvant être récente, dans un espace géographique déterminé.
* Universitaire et écrivaine.
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