Une délégation de congressmen américains se rendra incessamment en Tunisie. Cette visite est extrêmement importante. Elle intervient moins d’un mois après celle effectuée le 13 août dernier par une délégation de haut niveau présidée par Jon Finer, adjoint principal au conseiller à la sécurité nationale près la Maison Blanche. Le lobbying pratiqué aux Etats-Unis par le parti islamiste Ennahdha contre les décisions du président de la république Kaïs Saïed, le 25 juillet, n’est pas étranger à cette visite, ce parti s’étant depuis retrouvé exclu du pouvoir politique.
Par Raouf Chatty *
Cette visite dénote la préoccupation des États-Unis quant au développement des événements en Tunisie, pays qui évolue dans un environnement géopolitique précaire et très instable, dans une région des plus mouvementés, comme en témoignent la récente rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc et la persistance de la crise politique en Libye, sans parler de l’essaimage des groupes jihadistes au sud du Sahara.
La délégation sera reçue par le président de la république et s’entretiendrait également et comme de coutume avec des activistes de la société civile et des intellectuels tunisiens qui seraient sélectionné/es par l’ambassade américaine à Tunis parmi ses «clients» habituels.
Ces activistes devraient s’éloigner des explications juridistes stériles et mettre l’accent sur le fait que les décisions du président de la république visaient à sauver la république et la démocratie qui étaient réellement menacées et à débloquer la crise institutionnelle et politique dont la responsabilité incombe directement au parti islamiste qui a dominé la vie politique tout au long de la décennie 2011-2021, avec un bilan catastrophique dans tous les domaines.
Retard dans l’annonce de la feuille de route du président Saïed
La situation politique en Tunisie sera au centre de ces entretiens dans le contexte des événements majeurs intervenus dans le pays suite aux décisions historiques du président de la république le 25 juillet dont en particulier le gel des activités du parlement, la prise en main du pouvoir exécutif, la levée de l’immunité parlementaire pour permettre le jugement des députés poursuivis en justice dans des affaires de droit commun…
La délégation cherchera à sonder le président de la république sur ses intentions, après le retard constaté dans l’annonce de sa feuille de route, pourtant promise depuis le 25 juillet et dont personne ne connaît à ce jour la teneur…
Ce retard est malheureusement devenu source de préoccupations en Tunisie et ailleurs, alimentant les allégations développées par les détracteurs du président quant aux déviations futures que pourraient connaître la conduite des affaires publiques dans le pays.
La délégation ne manquera pas de mettre l’accent sur la lettre du président américain Joe Biden qui a été remise en mains propres au président de la république, le 13 août dernier, par l’envoyé du président américain. Elle fera peut-être état de l’impatience de l’establishment américain de connaître la suite que le président de la république va donner aux doléances américaines.
Il faut s’attendre également à ce que la délégation transmette un message politique clair et fort, dans le droit sillage de la philosophie politique de l’establishment américain sur la démocratie, la primauté des institutions… et le respect des droits de l’homme et des libertés individuelles et publiques.
Les Américains sont pragmatiques et ont de la suite dans les idées
Ce message doit être pris très au sérieux. Les Américains ont de la suite dans les idées, et la Tunisie a besoin aujourd’hui plus que jamais de leur soutien dans tous les domaines, en particulier économique, financier, militaire et sécuritaire pour relever les nombreux défis auxquels notre pays continue de faire face.
Lors de l’entretien, le président de la république devrait éviter les interventions longues et monocordes, les Américains sont des gens pratiques et pragmatiques, rétifs aux discours fastidieux et redondants. Il devrait en particulier, et sans aucun besoin de se justifier :
1- souligner que l’opération a été menée dans le respect des dispositions et de l’esprit de la Constitution et ce pour débloquer la crise institutionnelle et politique grave dans lequel le pays s’est retrouvée;
2- que l’opération a été menée sans heurts et dans la quiétude et qu’elle visait à répondre aux revendications exprimées massivement par le peuple souverain, le 25 juillet, lors de manifestations à travers toute la République;
3- que la feuille de route faisant état des actions qu’il entend entreprendre sera rendue publique très vite et qu’elle sera fidèle à l’attachement de la Tunisie au projet d’un État démocratique, souverain, crédible répondant aux attentes légitimes de son peuple et agissant comme pôle de stabilité politique dans la région du Maghreb;
4- que la Tunisie est un État de droit, que les droits de l’homme et les libertés individuelles et publiques y sont strictement respectés, que personne n’est inquiétée pour ses opinions politiques ,(aucun cadre ou membre du parti islamiste Ennahdha n’a été inquiété pour ses positions et Dieu que celles-ci sont fortement hostiles au président de la république), que les personnes qui ont été arrêtées ou mis en résidence surveillée l’ont été pour leur implication dans des affaires de droit commun;
5- que la justice engagera en toute souveraineté des actions contre les personnes impliquées dans des affaires de corruption;
6- qu’il est déterminé à conduire les réformes institutionnelles, politiques, économiques et sociales dans le respect total des lois de la république, de la démocratie et des droits de l’homme universels auxquels la Tunisie est attachée;
7- que la Tunisie continue de compter sur le soutien des États-Unis pour l’aider à relever les défis.
* Ancien ambassadeur.
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