Moins de deux jours après l’entretien d’une délégation de congressmen américains avec le président de la république tunisienne, le 4 septembre, au sujet de la situation politique en Tunisie après le 25 juillet 2021, les ambassadeurs des pays du G7 accrédités à Tunis se sont réunis et ont publié, mardi 6 septembre, un communiqué commun sur le même sujet, qui s’apparente à une feuille de route destiné à… Kaïs Saïed.
Par Raouf Chatty *
Par cet acte politique majeur, les chefs des représentations diplomatiques des sept puissances industrielles accentuent clairement leur pression sur la Tunisie dont la la stabilité commence à leur donner de très sérieux soucis. Ils démontrent qu’ils sont préoccupés par les développements que pourraient connaître la situation politique, économique et sociale dans notre pays dans les prochaines années. Ces pressions se feront encore plus fortes aussi longtemps que la feuille de route attendue du président n’est pas publiée…
Quand on sait que deux délégations d’officiels américains de haut rang se sont rendues à Tunis le 13 août dernier et le 4 septembre courant et ont été reçues par le président de la république, on est en droit de s’interroger sur les raisons de cette pression, alors que le chef de l’Etat a rassuré les États-Unis, maître d’œuvre du G7, sur l’avenir de la démocratie, des droits de l’homme et de l’Etat de droit en Tunisie, dissipant, un tant soit peu leurs appréhensions et démentant les allégations de ses détracteurs, en particulier le parti islamiste Ennahdha parlant d’un complot contre la constitution conduit par le président de la république et de l’avènement d’un régime présidentiel dictatorial en Tunisie…
Éviter à la Tunisie de sombrer dans l’instabilité et le chaos
En effet, la date de la réunion et la publication du communiqué du G7 interpellent à plus d’un titre. Elles sont loin d’être fortuites. On perçoit dans le communiqué l’empreinte forte des pays de l’Union européenne qui ont des rapports étroits avec la Tunisie, notamment la France, l’Allemagne et l’Italie qui sont soucieux au premier chef de leur stabilité, laquelle pourrait être menacée si la Tunisie sombre dans l’instabilité et le chaos.
Il se dégage de ce communiqué le sentiment que ces pays attendent avec une certaine appréhension la feuille de route du président et les actions que celle-ci va contenir pour l’avenir politique en Tunisie. Ces pays commencent, en raison de l’absence à ce jour de cette feuille de route, à nourrir des doutes sérieux sur sa teneur. Ils appréhendent sérieusement que la situation politique en Tunisie ne dégénère en dérapages et en instabilité, suite à l’écartement du parti islamiste Ennahdha du pouvoir, et ne soit négativement impactés par les nouvelles mesures qui vont être décidées par le président de la république dans les domaines institutionnel, politique, économique, fiscal et de la lutte contre la corruption, laquelle pourrait viser des groupes puissants.
Gagner du temps et éviter les sauts dans le vide
Les partenaires de la Tunisie se soucient des conséquences pouvant être générées par les tergiversations politiques qui reviennent en force et par les difficultés économiques dans lesquelles se débat le pays depuis des années. Ces pays savent bien que la situation en Tunisie risque de devenir incontrôlable et que les partis écartés et les corporations mafieuses neutralisées ne vont pas accepter de sitôt leur exclusion…
Les pays du G7 savent que ces difficultés ne manqueront pas de compliquer davantage la crise en Tunisie et d’exposer la Tunisie à plus d’instabilité, alors que le pays vit dans une région mouvementée, en raison de la situation explosive en Libye et de la rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc.
Appréhendant ces développements et se souciant de la stabilité en Tunisie, en raison de son impact sur l’espace sécuritaire européen (ils craignent les vagues d’émigration illégale et l’insécurité à leurs frontières sud…), les pays du G7 laissent entendre implicitement à travers leur communiqué qu’ils souhaitent que le président s’inspire de leur feuille de route pour élaborer la leur, gagner du temps et éviter les sauts dans le vide.
Les informations au sujet de la théorie politique du président de la république («le peuple veut» et «le gouvernement direct des masses populaires») rappelle aux puissances industrielles l’expérience de l’ancien Guide libyen Mouammar Kadhafi.
Rédigé en termes clairs, le communiqué met l’accent sur l’engagement européen en faveur du partenariat entre la Tunisie et l’Union européenne, insistant sur les principes de la bonne gouvernance, de l’honnêteté, de l’efficacité et de la transparence qui doivent caractériser ce partenariat.
Les pays du G7 savent que ces valeurs sont entièrement partagées par le président de la république, qui a fait son credo de la primauté du droit, de l’Etat de droit et de la lutte contre la corruption.
Une feuille de route pour la feuille de route du président
Le communiqué se veut une feuille de route pour la feuille de route du président. Il rejoint le communiqué publié le 13 août dernier par la Maison blanche suite à l’entretien de la délégation de haut responsables américains de la Maison blanche avec le président Saïed. Il recommande fortement le retour à un cadre constitutionnel dans lequel un parlement élu joue un rôle significatif. Il parle d’un cadre constitutionnel. Cela veut dire qu’il ne tient pas nécessairement à la présente constitution. Cela veut dire que ces pays appuient clairement la volonté des Tunisiens qui réclament une nouvelle constitution et un nouveau régime politique.
Le communiqué parle d’«un parlement élu qui aura un rôle significatif». Cela veut dire clairement que le parlement gelé par le président est devenu caduque et qu’il n’est pas question de le réhabiliter. Cela veut dire aussi que le prochain parlement doit jouer un rôle important dans la vie politique, sans être hégémonique, au détriment du président de la république, d’où la nécessité de prévoir désormais un équilibre réel entre les pouvoirs au sein de l’Etat.
Le communiqué insiste sur l’urgence pour le président de nommer un chef de gouvernement et précise même les qualités que ce dernier doit remplir : «être apte à faire face aux crises économique et sanitaire». Il va jusqu’à parler de l’une des missions du chef du gouvernement, à savoir «la création d’un espace inclusif», c’est à dire ouvert à tous les partis et forces politiques et autres sans exclusive pour «dialoguer sur les réformes constitutionnelles et électorales proposées.» Cela veut dire que les Tunisiens sont libres de décider de l’avenir politique de leur pays.
Le communiqué rejoint les statuts écrits sur son compte Twitter par le chef de la délégation des congressmen américains à Tunis. Il indique que ces questions doivent être réglées dans un cadre tuniso-tunisien, c’est à dire sans ingérence extérieure.
Le communiqué insiste enfin sur le respect des droits politiques, économiques et sociaux de tous les Tunisiens et sur la primauté de l’Etat de droit.
En filigrane, il insiste sur la nécessité de cadrer par le droit les limitations des libertés individuelles qui ont commencé à se faire jour et souligne que «plus tôt le président agira dans une direction claire, plus l’avenir sera meilleur.» Il réitère enfin son attachement à une Tunisie démocratique partageant avec le G7 les valeurs universelles de démocratie et des droits de l’homme. Soit un signal pour éviter au pays les mésaventures de toute nouvelle philosophie politique qui pourrait conduire le pays dans le chaos de la décentralisation excessive et porter un coup fatale à l’autorité de l’Etat. très malmené durant ces dix derrières années…
Bref, il est extrêmement important que le président de la république saisisse très bien ce message dans toutes ses dimensions au-delà de tout sentimentalisme, présente très vite une feuille de route réaliste dans le droit fil des attentes du peuple tunisien et conforme au tempérament des Tunisiens qui ont toujours privilégié la modération et l’équilibre. Cela devra permettre au pays de partir de nouveau sur des bases solides susceptibles de le mettre sur les rails, rompant définitivement avec l’islam politique et les extrémismes de tous bords, après cette longue décennie de déboires sans précédent.
Le président est bien placé pour le faire aujourd’hui. Il dispose du soutien de larges franges du peuple et de l’appui de la communauté internationale…, autant de facteurs qui devront permettre aux Tunisiens de rebâtir la Tunisie et de lui redonner sa place pleine et entière sur la scène régionale et internationale comme un Etat pleinement souverain.
* Ancien ambassadeur.
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