La haine de l’Etat d’Israël ne doit pas justifier la sympathie de la vox populi pour le Hezbollah, cet instrument de la politique expansionniste iranienne.
Par Salah El Gharbi *
Autant la vague d’indignation et le mouvement de protestation quasi-unanime contre la déclaration du Conseil des ministres arabes de l’Intérieur accusant le parti libanais Hezbollah d’avoir commis des actes terroristes sont compréhensibles, autant cette levée de boucliers doit nous interpeller.
Ainsi, les voix tonitruantes qui enflamment le web dénonçant la position de notre gouvernement au nom de la solidarité pan arabe avec la cause palestinienne ne doit pas nous occulter le vrai débat, contourner les véritables questions : les «bons sentiments» que nous entretenons en nous, qu’ont-ils apporté à nos frères palestiniens? Les réactions intempestives et les postures radicales, qu’ont-elles fait avancer d’un iota la cause ?
Une lecture manichéenne et réductrice
En fait, depuis des décennies les opinions publiques arabes sont victimes de la manipulation de leurs médias, mais aussi d’un certain discours politique qui cherche à exploiter la sympathie et l’adhésion sincère des peuples arabes à la cause palestinienne…
Depuis des décennies, on ne fait que flatter les bas instincts, susciter les émotions, privant ainsi tant d’hommes et de femmes de tout esprit critique, en leur offrant une lecture manichéenne, et par conséquent réductrice, de la réalité politique, les empêchant ainsi d’en saisir la complexité.
Il est malheureux de constater que la sympathie de la vox populi pour le «Parti de Dieu» soit si inconditionnelle, si exclusive… La haine de l’Etat d’Israël aussi légitime soit-elle doit-elle annihiler notre esprit critique vis-à-vis du Hezbollah, cet instrument de la politique expansionniste persane…?
Il est temps qu’on comprenne que le monde n’est pas fait de «bons» et de «méchants», que les enjeux stratégiques sont complexes. Ennemi de mon ennemi n’est pas forcément mon ami… Ainsi, on peut comprendre l’intervention des miliciens de ce parti chiite en Syrie contre les groupuscules obscurantistes soutenus par les pays du Golfe, tout en émettant des réserves à propos de son action au Yémen, ou ailleurs…
Par ailleurs, on oublie souvent de remarquer que les pays du Golfe, dont on fustige la prise de position aujourd’hui, et malgré les réserves qu’on pourrait avoir à leurs égards, sont les plus grands pourvoyeurs d’aides aux Palestiniens et ce, depuis des décennies… Ce qui explique l’adhésion de l’Autorité palestinienne à la décision du conseil des ministres arabes de l’Intérieur réunis cette semaine à Tunis. Donc, ne soyons pas plus royalistes que les rois.
Certes, la cause palestinienne reste chère à tous ceux qui, de par le monde, sont épris de justice. Mais ce ne sont ni les slogans des politicards, ni les incantations des Mollahs, ni les escarmouches des miliciens qui vont «libérer Jérusalem»…
Fanfaronnades et gesticulations des tribuns
Depuis plus d’un demi-siècle, les fanfaronnades des tribuns et les gesticulations sporadiques et spectaculaires n’ont rien fait pour améliorer le quotidien des millions de Palestiniens qui continuent de vivre enclavés, privés du droit élémentaire d’avoir un Etat souverain et indépendant…
Au contraire, malheureusement, après chaque «action de résistance», on assiste à la détérioration de cette situation dramatique qui dure… Si la question stagne, c’est le remède est inapproprié. C’est l’approche de la question que l’on doit réviser sans pour autant trahir la cause. Je conclurai en citant un extrait de mon dernier ouvrage où le personnage central écrit ce qui suit(1): «Qu’ai-je fait de ma haine? Elle m’étrangle, m’étouffe, m’enfonce. Elle me cache la lumière du soleil et me prive de sa chaleur… Des décennies et ma haine, vaine, m’aliène. Insidieusement, elle m’habite. Je la porte en moi depuis ma naissance, comme la tortue porte sa carapace. A ma place, on a choisi mon ennemi, ennemi de mon père, ennemi de mon fils… ennemi de toujours… Et l’on a décidé qu’en partant, je prenne ma haine, avec moi, réchauffer ma nuit éternelle, comme mon père, comme Baba Azizi…
Je haïs, donc, j’existe. L’ardeur de ma rancune, qui me glace les veines, devait, explique-t-on, rendre la justice, rétablir le droit, restituer les terres spoliées, essuyer les larmes des veuves et des orphelins… Et moi, avec ma liberté colletée, ma joie confisquée, pour que vive la dignité collective… à reconquérir ?… Hélas ! Otage de ma rancune, otage de la ‘‘Cause’’, je dois agréer le mensonge et la bêtise, priser la laideur, applaudir les bombes vives…
Et si Je cessais d’être ma haine ? Je serais ‘‘parjure’’, argue-t-on… Non ! Halte à l’imposture ! Je la repousserai ma haine, sans rougir, sans regrets… Et, affranchi, je lèverai la voix de ma raison… Désormais, libre, je suis. Qui oserai t m’empêcher de frémir pour Anne Frank, d’être bouleversé par la mort de Mohammed Al Dorra, le petit palestinien, de frissonner pour la Liste de Schindler…? Mêmes émois, même indignation, même colère d’homme».
* Universitaire et écrivain.
** In ‘‘Révolution, dites-vous…’’, éditions Arabesques, Tunis, 2015. PP. 176-177.
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