La Tunisie et les calculs géostratégiques de l’Occident

Ceux qui s’attendaient à ce que la question de l’état des droits et des libertés en Tunisie fasse des étincelles lors du 18e Sommet de la Francophonie, tenu les 19 et 20 novembre 2022 à Djerba, en ont finalement eu pour leurs frais.

Par Imed Bahri

En effet, les dirigeants occidentaux participant à ce sommet qui, dans des communiqués communs du groupe des pays du G7, ont souvent reproché au régime de Kaïs Saïed sa dérive non-démocratique et ont appelé le président de la république à ouvrir le débat avec les partis de l’opposition sur les questions engageant les réformes constitutionnelles, se sont abstenus de faire étalage de leurs griefs, se contentant, pour la plupart, du strict minimum pour contrer les critiques à ce propos pouvant émaner de leurs opinions publiques intérieures.

Le service minimum de Legault et Trudeau

François Legault, premier ministre du Québec (Canada) a  ainsi indiqué, hier soir, lors d’une conférence de presse, en marge du sommet à Djerba, qu’il avait fait part de sa préoccupation au président Saïed, au sujet de la démocratie en Tunisie. «Il est important que la Tunisie soit un exemple de démocratie», a ajouté M. Legault en prenant soin de ne pas froisser son hôte, d’autant que le Québec a besoin des compétences tunisiennes dans certains domaines pour faire redémarrer son économie éprouvée par la pandémie et la guerre russo-ukrainienne.

Rencontre François Legault – Kaïs Saïed à Djerba.

Quant au Premier ministre du Canada, Justin Trudeau, il a fait dire, via les médias de son pays, qu’à moins d’un mois des élections législatives en Tunisie, il a «craint de légitimer le régime du président Saïed s’il acceptait de le rencontrer de façon plus formelle, au-delà des événements et plénières auxquels l’ensemble des leaders de la Francophonie participent», sans dire clairement qu’il a refusé de rencontrer le chef d’Etat tunisien, mais le laissant néanmoins entendre, ce qui reste bien entendu à prouver puisque, du côté tunisien, il n’y a eu aucun commentaire à ce sujet.

Quant on sait les réserves exprimées il y a deux ans par Ottawa sur la tenue du 18e Sommet de la Francophonie en Tunisie et le suspense qu’a fait durer M. Trudeau sur sa venue à Djerba, cette manière de faire la fine bouche par médias interposés ne peut être assimilée à une position politique clairement exprimée. Et M. Saïed, qui n’aime pas écouter les opinions différentes des siennes, n’a aucune raison de prêter l’oreille à des récriminations exprimées à reculons ou en murmurant par M. Trudeau.

La non-ingérence de Macron

En ce qui concerne Emmanuel Macron, qui ne fait pas mystère de son soutien personnel à Kaïs Saïed, on peut dire qu’il a fait mieux que MM Legault et Trudeau en affirmant qu’il ne veut pas d’ingérence dans les affaires tunisiennes, se contentant de réitérer le soutien de la France à la Tunisie et de faire part de son souhait que les élections législatives du 17 décembre prochain soient inclusives pour toutes les forces politiques, feignant ainsi d’ignorer que la loi électorale promulguée récemment par son hôte n’est pas du tout inclusive, qu’elle défavorise les partis politiques et désavantage les femmes et les jeunes, sans oublier les conditions draconiennes pour présenter sa candidature aux élections, griefs du reste exprimés par la société civile tunisienne. Comment, dans ces conditions, «toutes les forces politiques» peuvent-elles participer aux élections législatives, comme le souhaite M. Macron?

Le président français aurait été plus crédible s’il avait exprimé plus clairement son soutien au président Saïed et avait assumé ouvertement ce soutien, et non en se cachant sournoisement derrière une vague volonté de non-ingérence.

M. Macron, qui multiplie les déclarations de presse où il pointe l’activisme de la Russie de Poutine en Afrique, et dont la France est, selon lui, la principale cible, cherche visiblement à ménager les régimes en place au sud de la Méditerranée où son pays est en train de perdre pied, au profit des Chinois, des Russes et des Turcs, lesquels sont aux frontières sud de la Tunisie. La géostratégie, on le sait, n’a jamais rimé avec les droits de l’homme…

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