Biden devrait appeler le bluff du dictateur tunisien

Saïed affirme qu’il bénéficie d’un soutien populaire, mais lorsque les Tunisiens ont eu l’occasion de s’exprimer, ils ont clairement indiqué à quel point ils désapprouvaient sa prise de pouvoir. Cela ferait un bon changement pour Biden d’appeler le bluff d’un dictateur.

Par Bobby Ghosh *

Rarement un président américain n’a vu son bluff rappelé aussi rapidement et aussi sommairement. Moins d’une semaine après avoir réuni les dirigeants africains à Washington pour renverser la perception selon laquelle les États-Unis ignorent le continent, Joe Biden a fait une démonstration définitive de la négligence américaine. Dans le processus, il a également exposé le vide des prétentions américaines de promotion de la démocratie.

La réaction de l’administration Biden aux élections législatives en Tunisie, le premier vote africain après le sommet, équivaut à un haussement d’épaules diplomatique. Après que les Tunisiens ont désigné leur dictateur, Kaïs Saïed, en restant chez eux – le taux de participation était inférieur à 9% –, le porte-parole du département d’État, Ned Price, a déclaré que l’exercice avait été «une première étape essentielle vers la restauration de la trajectoire démocratique du pays».

Un pouvoir quasi absolu

C’est exactement le contraire qui est vrai : le vote fictif a été la dernière étape de la consolidation par Saïed d’un pouvoir quasi absolu. Cela a commencé en juillet 2021, lorsqu’il a limogé le gouvernement élu et suspendu le Parlement, puis s’est accéléré en février dernier lorsqu’il a entravé le système judiciaire indépendant. Pour faire bonne mesure, il a pris le contrôle de la commission électorale, muselé les médias et emprisonné les opposants politiques.

Saïed affirme qu’il bénéficie d’un soutien populaire, mais lorsque les Tunisiens ont eu l’occasion de s’exprimer, ils ont clairement indiqué à quel point ils désapprouvaient sa prise de pouvoir. L’été dernier, moins d’un tiers des électeurs éligibles ont participé à un référendum sur une nouvelle constitution qui lui a donné encore plus de pouvoir que l’ancien dictateur tunisien, Zine El Abidine Ben Ali, qui a été renversé lors du printemps arabe de 2011. Le taux de participation embarrassant (aux législatives du 17 décembre dernier, Ndlr) représente le mépris des Tunisiens pour ce qui sera au mieux une législature ornementale, avec peu de pouvoir pour retenir le président.

À chaque occasion de demander des comptes à Saïed, l’administration Biden n’a plutôt offert que des homélies sur l’importance de la démocratie. Cela vient d’enhardir le dictateur. Lorsque le secrétaire d’État Antony Blinken s’est alarmé de «l’érosion des normes démocratiques», le ministère tunisien des Affaires étrangères (Othman Jerandi, Ndlr) l’a accusé d’«ingérence étrangère inacceptable». Blinken a offert à Saïed le même vieux cliché à Washington. Le dictateur a de nouveau rejeté sans ambages toute critique de ses actions.

La «leçon» de Saïed aux autres dirigeants africains

Les autres participants au sommet auront appris une vilaine leçon du mépris que le dirigeant de l’un des plus petits pays d’Afrique a su montrer à ses hôtes sans crainte de conséquences. Et à quel point les dirigeants des six pays qui organisent des élections en 2023 – la République démocratique du Congo, le Gabon, le Libéria, le Nigéria, Madagascar et la Sierra Leone – auront-ils pris au sérieux la conférence sur la démocratie qu’ils ont reçue de Biden ?

Il n’est pas trop tard pour tourner autour de ce spectacle minable. L’administration Biden devrait qualifier les élections législatives tunisiennes de ce qu’elles étaient : une mascarade. (C’est ainsi que Biden a décrit le simulacre d’élections de Daniel Ortega au Nicaragua l’année dernière.) Il devrait se joindre à l’opposition tunisienne pour appeler Saïed à se retirer et à permettre la restauration de la démocratie.

Le dictateur doit savoir que s’il refuse de partir, il renoncera non seulement à l’aide américaine, mais encourra également un veto américain sur le prêt de 1,9 milliard de dollars qu’il demande au Fonds monétaire international. Le conseil d’administration du FMI devait statuer sur la demande (le 19 décembre dernier, Ndlr), mais a reporté la décision au début de la nouvelle année. Cela donne aux États-Unis un énorme levier pour faire pression en faveur de la démocratie, l’objectif de politique étrangère souvent déclaré de Biden.

Saïed a indiqué qu’il pouvait se passer du prêt, mais l’état de l’économie tunisienne laisse penser le contraire. Cela ferait un bon changement pour Biden d’appeler le bluff d’un dictateur.

Traduit de l’américain.

* Journaliste américain d’origine indienne, chroniqueur de Bloomberg.

Source : Washington Post.

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