La nomination de Youssef Chahed à la tête du gouvernement est un acte politique majeur et plein de sens. Car il rompt avec le passé et envoie un message positif à la jeunesse.
Par Salah El-Gharbi
Béji Caid Essebsi continue à défrayer la chronique en surprenant ses fans et en prenant de court ses adversaires. Au, le lendemain des élections de l’Assemblée nationale constituante (ANC), alors que ses adversaires le croyaient politiquement fini, le voilà qui renaît de ses cendres en créant Nidaa Tounes, en juin 2012, et hante les nuits de la Troïka, l’ancienne coalition gouvernementale conduite par le parti islamiste Ennahdha, avant de reprendre les rênes du pouvoir, en décembre 2014.
Débloquer le pays
Malgré sa faiblesse à l’égard de son fils, Hafedh, chef autoproclamé de Nidaa Tounes, son boulet et sa casserole, l’homme a toujours su s’accommoder de la situation, manœuvrer habilement, même dans les moments les plus critiques, en imposant son propre tempo.
En janvier 2015, en choisissant, par défaut, Habib Essid à la tête du gouvernement, le président cherchait, surtout, à ne pas effaroucher les dirigeants d’Ennahdha, soudain devenus ses alliés. Il était conscient des limites de l’homme, mais il savait aussi qu’il lui était interdit de prendre des risques, d’autant plus que le paysage politique était instable et que Nidaa montrait déjà ses premières fissures.
En juin 2016, au moment où il avait senti que le climat se dégradait et que le pays était dans l’impasse, et à la surprise générale, il a sorti de son chapeau la proposition de formation d’un gouvernement d’union nationale, qui a été, quoi qu’on dise, un franc succès pour le président, en premier lieu, en espérant qu’elle permettra d’impulser une nouvelle dynamique politique et socio-économique dans un pays presque bloqué.
Quarante-huit heures après le refus de renouvellement de la confiance à Habib Essid par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), Béji Caid Essebsi a décidé de nommer Youssef Chahed, ministre sortant des Collectivités locales, un cadre de Nidaa, au poste de Premier ministre. Même si cette nomination n’a pas surpris les observateurs de la vie politique, elle a provoqué des réactions à la chaine, aussi bien, parmi les hommes politiques que sur les réseaux sociaux.
Remous dans la scène politique
Politiquement, ce qui est presque certain, c’est que cette nomination pourrait provoquer des remous au sein d’Ennahdha, malgré les propos lénifiants de son porte-parole Imed Hammami qui a salué l’initiative du président sur les ondes de la Radio nationale. Car, au sein du mouvement islamiste, on reste méfiant à l’égard du «frère-ennemi» nidaiste et, surtout, de Béji Caid Essebsi.
En fait, les islamistes redoutent que le choix d’une figure prometteuse de Nidaa pour le Palais de la Kasbah puisse cimenter de nouveau le parti et consolider ses assises au moment où ils commençaient à miser sur son délitement pour aller vers les prochaines échéances électorales dans la posture de favoris.
Toutefois, et malgré la réticence de certains ténors d’Ennahdha, c’est la ligne consensuelle de Rached Ghannouchi qui continue à peser sur les orientations du parti et qui continuera sans doute de peser jusqu’à la de cette législature, en 2019.
Si les réactions négatives du Front, et celles des «Marzoukiens» (les partisans de l’ancien président par intérim Moncef Marzouki) étaient prévisibles et attendues, les réserves des cadres de Machrou Tounes suscitent l’interrogation. Manifestement, les dissidents de Nidaa, en faisant la moue, cherchent à se démarquer de leur ancien parti, eux qui ambitionnent de se positionner comme une alternative crédible. La nomination de Youssef Chahed pourrait compliquer leur tâche de conquête de l’opinion.
En somme et au-delà des polémiques, parfois mesquines, qui consistent à supposer un lien de parenté du présupposé futur chef de gouvernement avec le président de la république, la décision de Béji Caid Essebsi reste un acte politique majeur et plein de sens. Car il a choisi de rompre avec le passé et d’envoyer un message positif à la jeunesse.
Une nouvelle page s’ouvre pour le pays, il reste à savoir l’écrire. Ce serait la dernière carte du président, et ce serait au prochain chef de gouvernement de savoir bien fructifier ce capital de confiance, en montrant qu’il est l’homme des défis qui attendent la Tunisie pour les années à venir.
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