Pour espérer réussir, Youssef Chahed doit choisir une équipe gouvernementale capable de faire appliquer la loi avec fermeté contre les gros pontes de la corruption et de la contrebande.
Par Nadya B’Chir
Youssef Chahed a été désigné par le président de la république Béji Caïd Essebsi pour succéder à Habib Essid à la tête du gouvernement. Les Tunisiens attendent de lui les miracles dont le pays a vraisemblablement besoin pour sortir de l’ornière de la crise où il se morfond depuis la révolution de janvier 2O15. Mais à défaut de miracles, il pourrait, au moins, mettre en place les prémices d’une relance économique sur un fond de stabilité sociopolitique et de sécurité consolidée.
Une équipe complémentaire et homogène
Les Tunisiens espèrent beaucoup du nouveau chef de gouvernement, au moment où il est en train de mener un marathon de consultations et de négociations pour choisir les membres de son équipe. Car, c’est, précisément, de ce qu’ils pourraient apporter (ou pas) que dépendra le succès (ou l’échec) du prochain gouvernement. Il est indéniable aussi que l’équipe doit être complémentaire et homogène, car le travail gouvernemental doit être mené de concert et assuré par des éléments collaboratifs, animés par un esprit collégial et qui opèrent en une relative harmonie.
Qu’espèrent, concrètement, les Tunisiens de Youssef Chahed et de son gouvernement, qui sont, disons-le ouvertement, sont attendus au tournant, comme le furent d’ailleurs tous leurs prédécesseurs?
D’abord, il est essentiel de redonner l’espoir à la population et de rétablir la confiance dans l’Etat, deux éléments cruciaux qui ont souvent manqué jusque-là. Les Tunisiens n’ont plus confiance ni en l’Etat ni en ses structures pour redresser la situation du pays et résoudre leurs problèmes de la vie quotidienne.
Un simple petit micro-trottoir fera prendre conscience aux gouvernants de la dégradation de cette confiance et de la fin de l’espoir en des lendemains meilleurs. Les Tunisiens sont lassés des promesses creuses, des projets planifiés et qui tardent à se réaliser et des surenchères des politiques souvent non suivies d’effet. Ils attendent donc des résultats concrets et des réalisations palpables.
Les chantiers de haute priorité
Les difficultés qui empoisonnent la vie du Tunisien sont connus de tous: la complexité des relations avec l’administration publique, tatillonne, lourde et gangrenée par la corruption, la dégradation constante du pouvoir d’achat, le délabrement de l’environnement et le manque d’emploi pour les cohortes de chômeurs souvent de longue durée doivent être les chantiers de haute priorité de Youssef Chahed et de son équipe.
Ces derniers doivent comprendre que bon nombre des difficultés quotidiennes peuvent être résolues par une application rigoureuse de la loi et par la restauration du droit. Mieux encore, si tout un chacun s’attelait à sa tache de manière congrue, beaucoup de difficultés se dissiperont d’elles-mêmes.
La solution miracle serait d’ordre éducatif ou pédagogique, par l’explication, la persuasion, la dissuasion et, surtout, l’implication des citoyens dans la décision et l’action publiques. Les résultats se feront certes ressentir sur le moyen ou le long terme, mais on pourrait aussi commencer à en ressentir les prémices rapidement.
Cette pédagogie doit être appliquée à tous les niveaux de l’Etat, à commencer par la municipalité, où le contrôle doit être plus rigoureux, notamment en ce qui concerne la bonne conduite des travaux mis en route ou les dépassements de tous genres constatés quotidiennement par les citoyens: constructions anarchiques, amoncellement des ordures dans les rues, commerces non autorisées, marchés parallèles, etc.
Dans son premier discours, où il a évoqué le plan d’action de son gouvernement pour la période à venir, Youssef Chahed a parlé de la lutte contre la corruption, fléau qui a proliféré au cours des cinq dernières années, alors qu’on pensait en avoir tari la principale source : le clan de l’ancien président Ben Ali.
De nombreuses initiatives ont certes été lancées pour lutter contre ce problème qui nuit gravement à l’économie du pays, mais on en attend toujours les résultats escomptés. Plus grave encore, le sentiment de l’impunité est partagé par beaucoup de Tunisiens et les fraudeurs en tout genre semblent avoir l’avenir pour eux, au grand désespoir des contribuables intègres et honnêtes, qui respectent la loi et payent leurs impôts.
Combattre le monstre à deux têtes
Youssef Chahed doit donc clairement donner l’exemple et ne pas y aller du dos de la cuillère, car il est des sujets, comme celui de la corruption, où l’indulgence n’a pas de place. A cet effet, il est essentiel que tous les efforts déployés dans la lutte contre ce fléau par les structures officielles (comme l’Instance nationale de lutte contre la corruption) ou officieuses (comme les organisations de la société civile) soient unifiés et harmonisés pour avoir les effets escomptés.
Troisième casse-tête auquel le prochain chef de gouvernement doit s’attaquer, la contrebande et l’économie informelle, qui gangrènent scandaleusement l’économie du pays.
La contrebande, on le sait, est intimement liée au terrorisme. Ce véritable monstre à double têtes doit être combattu avec les moyens adéquats, et d’abord en faisant appliquer rigoureusement la loi et en sanctionnant durement les contrebandiers et leurs soutiens dans les structures de l’Etat, aux échelles centrale et régionale. Les précédents gouvernements ont manifesté une certaine incapacité à combattre ce phénomène, par complicité, laxisme ou manque de moyen, mais celui de Youssef Chahed ne peut plus se permettre de le laisser prospérer au risque de provoquer la destruction de l’économie et une banqueroute généralisée.
Pour cela, il doit d’abord identifier les gros bonnets de la contrebande, dont certains hantent les coulisses des partis politiques qu’ils alimentent de leur argent sale, et prendre des mesures vigoureuses pour les démasquer, les poursuivre en justice et les mettre hors d’état de nuire. Tout laisser-aller, par complaisance ou par intérêt ambigu, serait fatal pour l’Etat. Et Youssef Chahed sait très bien que pour redonner le sourire aux Tunisiens et les inciter à se remettre au travail, il doit commencer par combattre et triompher de ce monstre-là. Pour cela, il doit faire preuve de poigne et ne pas craindre de faire appliquer la loi contre toute personne qui la transgresse.
Aussi, le choix de l’équipe gouvernementale doit-il être fait en tenant compte, non pas des appétits des partis, dont la plupart sont phagocytés par les gros poissons de la corruption, mais de la compétence, de la loyauté, de la rigueur et de la capacité des candidats à participer à cette œuvre de redressement national.
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