Dans certains cas, lors de la procédure d’angioplastie réalisée en urgence un dimanche après-midi dans une clinique, l’absence du réanimateur en salle pourrait être jugée encore préférable à sa présence, comme le laisserait penser le cas dont il est ici question.
Par Dr Mounir Hanablia *
Il arrive dans la carrière quelques situations qui malgré tout ne fassent pas regretter la profession choisie. Ainsi ce patient, un compatriote résidant à l’étranger qui m’a été adressé par un collègue installé en France de la considération et de la confiance duquel je m’enorgueillis.
Ce compatriote a présenté des douleurs à la poitrine non évocatrices d’angor avec un ECG normal. Leur seul caractère inquiétant était leur accompagnement par des malaises avec des sueurs profuses.
L’épreuve d’effort initialement indiquée avait été annulée parce qu’il avait augmenté modérément ses troponines, demandées par acquit de conscience .
Une coronarographie réalisée alors en urgence révélait une sténose hyperserrée très excentrée de la partie moyenne de l’artère interventriculaire antérieure, appelée aussi «artère de la mort subite».
Un moment de flottement se paie cash
Hospitalisé aux soins intensifs pendant près de 48 heures afin de le stabiliser, il avait bénéficié avec succès d’une angioplastie coronaire accompagnée de la mise en place d’un stent sur la sténose, sans la présence du réanimateur, et j’en préciserai la raison.
Mais nous sommes dans un pays où rarement les choses se passent sans anicroche. Le pansement compressif avait été serré autour du poignet et le patient en avait perdu connaissance en soins intensifs, nécessitant l’intervention du réanimateur de garde.
En effet, certains auxiliaires compriment de la même manière une artère de 3 mm superficielle et une artère de 10 mm profonde. C’est là encore une autre raison pour un praticien, qui souvent quitte la procédure épuisé, de ne pas se relâcher et de ne laisser à quiconque d’autre que lui-même la tâche de faire le pansement, un geste qui, quand il s’agit de l’artère radiale, petite et superficielle, paraît à priori anodin. Mais c’est oublier qu’en cathétérisme, c’est comme opérer en territoire ennemi; vos faits et gestes sont guettés, on ne peut compter que sur soi-même, et souvent un moment de flottement se paie cash.
Donc le patient ayant brièvement perdu connaissance victime d’un nerf vague chatouilleux et d’un aide soignant trop «zélé», et il est heureux que ce malaise soit survenu après la procédure, les infirmiers avaient réagi efficacement, le réanimateur était intervenu rapidement mais pour constater le réveil du patient, bref le stent implanté dans la coronaire avait subi l’épreuve du feu avec succès, mais à mon arrivée rien n’avait été mentionné sur le dossier, et c’est moi-même qui m’en étais chargé.
Je n’ai plus envie de critiquer mes collègues anesthésistes réanimateurs même quand cela est justifié. Il m’est arrivé de le faire, mais quand on fréquente les cliniques, même de temps à autre, il vaut mieux entrer en conflit avec ceux parmi eux qui le méritent quand on ne peut pas faire autrement, ou mieux, les éviter, mais avec le travail en équipe ce n’est pas toujours possible; quelques-uns sont en effet versés dans la provocation et vous font très bien sentir que pour eux vous n’êtes rien. Cela est encore préférable à avoir toute la corporation sur le dos en suggérant des réformes qu’ils ne souhaitent pas.
Dans le cas de ce patient, il avait néanmoins été adressé en clinique, avec la demande expresse qu’il soit examiné à son admission par un médecin anesthésiste réanimateur. Cela n’avait pas été fait et le patient était demeuré plusieurs heures, certes en soins intensifs, mais aucun médecin ne l’avait vu. J’ai immédiatement évalué la gravité des faits et en les rapportant le soir même au directeur médical et au Conseil de l’Ordre des Médecins par un mail, et en agissant ainsi j’ai tenté de couper court à une situation qui s’annonçait compliquée, dans l’intérêt du patient avant tout, afin d’obtenir une coopération entière sans arrière pensées de ceux qui étaient fondés à me l’accorder.
Avis aux exhibitionnistes de la profession
Néanmoins la conséquence en a été que, lors de la procédure d’angioplastie réalisée en urgence un dimanche après-midi, l’absence du réanimateur en salle avait été jugée par moi-même encore préférable à sa présence, et somme toute, mis à part l’incident du pansement survenu ultérieurement tout s’était bien passé.
Je le dis aux exhibitionnistes de la profession, et ils sont nombreux, qui veulent faire croire que leur habileté est sans limites; dernièrement ils se sont encore manifestés à Kairouan, ceux qui prétendent être des grands du cathétérisme se sortant immanquablement de toutes les situations périlleuses dans lesquelles ils n’hésitent pas à s’engager : messieurs dames (!), nous en sommes encore au stade des pansements et des chausse-trapes, alors cessez de parler de stenting du tronc commun ou de stent «tunnelé» dans l’intima de la coronaire.
Donc le patient avait finalement quitté l’établissement, «ad integrum», avec une lettre à son médecin traitant en France et une demande de complément d’explorations. J’ai eu l’agréable surprise de le revoir 5 mois après, en bonne santé avec un solide dossier médical en provenance d’un grand cardiologue parisien. Cette sommité française n’avait pas jugé utile de changer le traitement que j’avais moi-même prescrit à la sortie.
Si ce patient avait atterri entre les mains de quelques-uns des collègues locaux, il est plus que probable que l’ordonnance eût été changée, peut-être dans sa totalité, et qu’on l’eut persuadé avec plus ou moins de doigté de l’avoir échappé belle, ce qui dans un sens est vrai, mais pas dans celui péjoratif suggéré.
Après cela, les chances de le revoir eussent été quasiment nulles. Mais il paraît que chez nous cela se passe souvent ainsi entre collègues. C’est du moins ce que m’avait confié il y a près de 30 ans l’un des pontes de la profession. Et il n’y a aucune raison de croire que les choses aient changé.
* Médecin de libre pratique.
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