L’année 2017 pourrait être celle d’une seconde révolution en Tunisie si les attentes et les exigences du peuple ne sont pas vite prises en compte par le pouvoir en place.
Par Farhat Othman
Pour commencer ce bloc-notes, placé sous la férule de son illustre prédécesseur, François Mauriac, il n’y a rien de tel que de s’y référer en le citant. Voici ce que ce dernier disait dans son bloc-notes du 20 août 1955: «Un grand esprit politique, s’il n’a pas de coeur, doit agir parfois comme s’il en avait. Et s’il est dépourvu de principes, il doit, par habileté, se mettre à la place de ceux qui en ont et agir comme eux.»
C’est de coeur qu’on aura besoin en cette nouvelle année qui pourrait se placer sous le signe du chiffre 7 au symbolisme certain. C’est la «fortitude» qui doit enfin marquer nos actes, car de sagesse immémoriale, il est dit : donne et tu recevras !
Plus rationnellement, 2017 est l’année du centenaire de la révolution bolchévique qui a bien changé le monde. En irait-il de même pour 2017, du moins pour le monde arabe?
Tout porte à le croire, pour ce qui est de la Tunisie qui fête le 14 janvier le 6e anniversaire de son «coup du peuple», sa révolution virtuelle.
2017 dans le monde
On qualifie de cardinale l’année du triomphe du bolchévisme en Russie, non seulement pour ce pays, mais aussi pour l’histoire universelle et les péripéties de la Première Guerre mondiale.
Cette année-là a vu surtout l’émergence d’une idéologie qui a marqué tout le siècle, et ce à la faveur de la fondation d’un État issu d’une utopie au sens noble, mais finissant en dystopie. Outre la première hécatombe mondiale, elle a été aussi celle de l’entrée en scène du futur maître incontesté du monde, les États-Unis.
Mais ne l’oublions pas, ce fut en cette même année 1917 que le sort du Proche-Orient fut scellé avec la déclaration Balfour et la réalisation de l’idée de foyer national juif en Palestine.
Comme toujours, de tels événements politiques et d’autres n’ont été saillants qu’en tant que fils passés au travers de la chaîne constituant le fonds ou la trame sur lesquels ils se détachent, une armure de tissu sociopolitique en fait.
Car la sortie de la première hécatombe mondiale, qui a permis aux humains de mesurer à quel point leur civilisation peut être cruelle, a été propice aussi à un élan vital bien génial de créativité. On a, par exemple, pris conscience de la nécessité d’oser vivre et innover, être original; d’où le surréalisme, le dadaïsme et les créations les plus diverses dans le domaine des arts et des techniques.
C’est ce qui amena à une soif de vivre dont l’excès fut fatale à la spiritualité, désenchantant le monde en le matérialisant à outrance, donnant naissance au capitalisme tirant la justification de ses turpitudes, quand il verse dans la sauvagerie, de l’esprit protestant et son éthique, faisant déjà du catholicisme une lecture biaisée, intégriste même.
2017 dans le monde arabe
Le monde arabe est en ébullition. Il l’était déjà, bien avant ce qu’on a appelé «Printemps arabe»; mais les dictatures en place permettaient de ne rien laisser apparaître, du moins au grand jour. Ce qui n’empêchait pas les convulsions de travailler en profondeur les bases de ces États, les fragilisant encore plus.
Aussi, un certain nombre d’entre eux vola-t-il en éclat, ou faillit le faire, quand le capital mondial devint soucieux de renouveler ses marchés à la faveur d’un émiettement plus grand de ce monde, synonyme de plus de marchés et d’affaires. Aussi a-t-il su user de cette double arme bien dont il a su marier les effets pourtant opposés : la faim de droits et de libertés des populations arabes et le sentiment religieux jugé vivace chez elles.
Or, si la faim de liberté est bel et bien un marqueur de la réalité arabe, la religiosité ne l’est pas, n’étant qu’un trait identitaire relevant plutôt de la culture et de la spiritualité.
Ce sont les retombées néfastes d’une telle confusion axiologique que l’Occident négligea en jouant à fond la carte islamiste. Si cela a réussi pour partie, comme en Libye, en Tunisie ou en Égypte un temps, cela ne le fut pas ainsi qu’espéré en Syrie surtout, ce qui amène un changement radical de la donne initiale.
D’autant plus que pareille stratégie emportait de périlleuses retombées dont on mesure désormais la gravité en Occident même avec la recrudescence des actes terroristes.
C’est à ce niveau que se focalisera probablement l’année 2017 qui, tout en enregistrant encore des drames de l’extrémisme religieux, permettra assurément de prendre mieux conscience du sursaut qui s’impose impérativement afin de le juguler avec une plus grande solidarité entre les nations devant s’unir pour la paix.
Cela ne manquera pas de se manifester en Palestine surtout où la récente résolution du Conseil de Sécurité pourrait amener à de nouvelles et sérieuses initiatives en vue du nécessaire et inéluctable retour à la légalité internationale. Ce qui supposera certes la rupture avec l’intransigeance d’Israël, mais aussi le changement radical de l’attitude arabe aussi inepte que puérile en refusant de reconnaître cet État, continuant à ne le qualifier dogmatiquement que d’entité.
2017 en Tunisie
Le signal en ce sens pourrait venir de Tunisie qui continue son ascension vers l’échafaud des vaines politiques politiciennes avec le malsain jeu qu’y joue le parti islamiste profitant du soutien quasi inconditionnel de l’Occident.
Or, il ne lui sera plus acquis comme avant et l’islam en Tunisie se doit enfin de confirmer ses prétentions à jouer le jeu démocratique, et ce en cessant de louvoyer sur les questions sensibles, osant donc la réforme mentale nécessaire à travers celle de la législation nationale obsolète en matière de vie privée notamment.
On annonce d’ailleurs, pour ce début d’année, la venue devant le parlement du texte réformant l’inique loi 52 sur les stupéfiants. Or, le projet gouvernemental est une simple réformette et il est bien trompeur. Car il se suffit de solutions sans réelle consistance ni portée, se limitant à montrer de la clémence pour un primo-consommateur de ce cannabis dont la nocivité est sujette à caution, étant en tout cas moindre que celle du tabac vendu librement.
Pour être juste et éthique, on doit impérativement aligner le cannabis sur le tabac et se concentrer enfin sur vrai problème, celui du trafic et ses filières. C’est ce que recommandent, au demeurant, les instances les plus sérieuses et ce qu’impose aussi le succès éclatant des politiques de dépénalisation tentées dans certains pays ou régions, comme en Espagne ou au Colorado. Il est donc temps de sortir de notre actuelle hypocrisie.
Il en va de même pour les violences faites aux femmes; un projet de texte devant aussi être examiné à l’ARP sous peu. Or, s’il détaille toutes les formes imaginables de la violence faite aux femmes, il en néglige la plus importante, celle de l’inégalité successorale.
Pourtant, c’est par cette violence absolue qu’il faut commencer, quitte à heurter certains esprits rétrogrades continuant à faire une fausse lecture de l’islam qui permet et impose même une telle reconnaissance, l’égalité en islam de tous les croyants nonobstant leur sexe étant une certitude, tout comme l’élévation du statut de la femme. Qui en douterait? Or, cela commande la parfaite égalité en parts successorales dont l’inégalité n’a rien d’islamique, étant du pur machisme.
À noter, par ailleurs, que ce même texte prévoit l’abolition d’un certain nombre d’articles du Code pénal; or, il est bien surprenant et saugrenu même qu’il s’arrête à l’article 227 bis et n’ose pas pousser par le nécessaire et salutaire toilettage moral jusqu’au fameux article 230. Pourtant, sur sa base, se font bien nombre de pratiques de violences banalisées à l’égard des femmes, comme le test de virginité!
C’est déjà une raison suffisante pour exiger son abolition, outre celle que commande qu’on en finisse en Tunisie avec cette tare homophobe assise sur cet article honteux, négation absolue du vivre-ensemble démocratique. C’est d’autant plus impératif que la preuve a été faite que l’islam n’est nullement homophobe et que cet article, une survivance coloniale, ne s’inspire pas du Coran ni de la Sunna authentique, mais de la Bible.
Aussi, avec l’abolition de l’article 230 du Code pénal, il s’agira bien et à la fois d’une manifestation de nouvelle décolonisation que d’affirmation de la souveraineté tunisienne et la confirmation de l’État de droit.
Mais il n’y a pas que ce seul aspect éminent pour conformer notre droit à la Constitution et à ses acquis restés lettre morte au nom d’une fausse conception de la religion et une vision obsolète de la morale. Il y a aussi tous ces autres textes restreignant les libertés privatives, comme le droit au sexe librement entre adultes consentants ou la libre pratique de la vente et de la consommation d’alcool.
On l’a déjà démontré : l’alcool n’est nullement interdit en islam qui interdit seulement l’ivresse. Aussi, on pourrait bien reprendre en Tunisie le slogan publicitaire : un verre d’alcool est licite, ce qui est illicite n’étant que l’abus pouvant commencer avec trois verres. Ne serait-ce bien plus moral et pertinent, tout en étant efficace, pour lutter contre l’alcoolisme, cette tare sociale qu’encourage une interdiction sans fondement religieux ?
En cette année 2017, il est de la plus haute importance de sortir enfin de la confusion des valeurs qui marque notre société, ses élites particulièrement, tout autant que notre rapport à la politique et à la religion.
Citons à ce titre un autre exemple : celui de ne pas oser dire tout haut, pour dénoncer le terrorisme, que le jihad mineur est obsolète et qu’il ne reste en islam de licite que le jihad majeur! C’est ainsi et ainsi seulement qu’on en finira vraiment avec cette horreur terroriste se faisant au nom d’une foi humaniste et paisible. Le fera-t-on donc en ce début d’année, veille du 6e anniversaire de la révolution tunisienne ?
On sait que je qualifie de coup du peuple la révolution 2.0 de Tunisie; or, comme il peut cacher un contrecoup, un coup peut aussi avoir des répliques ! Rappelons-nous déjà : il y a bien eux, en 1917 deux révolutions en Russie ! Cela pourrait être le cas aussi en Tunisie si les attentes et les exigences du peuple ne sont pas vite prises en compte par le pouvoir en place pour une révolution par le haut se devant d’être législatif.
Cela dépend donc encore une fois du courage de nos politiciens. Aussi, comme on a commencé, terminons avec Mauriac qui écrivait ceci dans son Bloc-Notes du 19 décembre 1953: «Selon Chateaubriand, ‘‘Dieu fait les hommes puissants conformes à ses desseins secrets: il leur donne les défauts qui les perdent quand ils doivent être perdus’’. L’impuissance, voilà le défaut de nos hommes puissants. Et qu’ils ne cherchent pas d’excuse dans les institutions démocratiques: sous tous les régimes, tout est obstacle à qui tient la barre. L’homme d’État digne de ce nom est celui qui fait prévaloir ses desseins sur les passions d’un Parlement, comme il saurait, s’il était dictateur et maître absolu, réduire au silence ses propres passions.»
Bonne année 2017 à toutes et à tous; qu’elle soit lumineuse grâce au meilleur en nous qu’on doit offrir sans restriction !
Donnez votre avis