La femme diplômée des grandes écoles n’est-elle pas en droit de réclamer, en Tunisie, la place qui lui revient dans les postes de décision et de responsabilité?
Par Wajdi Msaed
Pour répondre à cette question, le réseau féminin de l’Association tunisienne des grandes écoles (Atuge) a organisé une dîner-débat, le lundi 20 juillet 2015, dans le cadre agréable et pittoresque du restaurant Fondouk El Attarine, en plein cœur de la Médina de Tunis (autrefois refuge pour les marchands, entrepôt de marchandises, hôtel et lieu de restauration).
La soirée a rassemblé, dans une ambiance conviviale, chaleureuse et décontractée, une pléiade de Tunisiennes, toutes diplômées des grandes écoles françaises, de diverses compétences (économistes, ingénieurs, financières, chercheuses, enseignantes…), pour débattre de ce sujet qui se pose avec pertinence, non seulement en Tunisie, mais un peu partout ailleurs: «Les femmes aux postes de décision: atouts et difficultés».
Une problématique légitime
La femme occupe-t-elle la place qui lui revient dans les hautes sphères de décision ou bien est-elle reléguée aux seconds rangs en raison de son statut de femme, même si elle est compétente, de haut niveau intellectuel, scientifique, technologique et disposant de qualifications qui la mettent à pied d’égalité avec l’homme, si elle ne le dépasse pas parfois?
Poser cette problématique est d’autant plus légitime que les statistiques sont là pour le prouver et confirmer la supériorité des femmes dans le domaine des études supérieures: 61% des bacheliers et 4 sur 7 des lauréats de cette année sont des filles, alors qu’on ne trouve, à la tête des 30 plus grandes entreprises publiques, que 4 femmes uniquement, sans parler de la faible représentation de la femme dans les conseils d’administration. Pourquoi donc si peu de femmes au sommet de la pyramide décisionnelle en Tunisie?
Des témoignages sont venus illustrer cette frustration de la femme qui peine à atteindre le haut de la hiérarchie, aussi bien dans les instances politiques que dans l’administration ou dans les secteurs public et privé.
Latifa Lakhdhar, ministre de la Culture et de la Sauvegarde du Patrimoine, étant venue juste pour saluer l’initiative et partir aussitôt pour des empêchements professionnels, c’est Samira Merai, ministre de la Femme, de l’Enfance et de la Famille, qui a présidé la séance, brillamment animée par Samar Louati, du groupe «Atuge femme de Tunis». La jeune et dynamique «Atugéenne» a commencé par présenter son groupe qui a vu le jour début février 2015 à Paris et début mai à Tunis et qui a pour vocation de créer un réseau de femmes tunisiennes dédié au partage des expériences et à la mise à profit de tous les parcours et les compétences au service de l’intérêt du pays
Miser sur la femme
«Le pays a besoin de toutes les compétences et doit compter sur ses élites», a lancé la ministre de la Femme, qui a ajouté : «Nous devons rendre un grand hommage au leader Habib Bourguiba qui a permis à la femme tunisienne de rayonner dans son environnement régional et à la Tunisie d’occuper les premiers rangs dans le classement international relatif au développement humain». «Si nous voulons avoir une vision claire de l’avenir de la Tunisie à l’horizon 2030, nous devrions miser sur la femme et sur son rôle grandissant dans notre vie socio-économique», a-t-elle encore précisé.
Relatant son parcours professionnel dans le domaine médical, la ministre a évoqué les difficultés d’être femme médecin à la fonction publique, les injustices qu’elle y subit de la part de l’administration. C’est ce qui l’a poussée, a-t-elle dit, à «intégrer le monde de la politique avec l’espoir de participer, un tant soit peu, à changer cette situation».
Ayant vécu l’expérience politique comme tête de liste aux dernières élections législatives, Mme Lakhdhar déplore la faible participation de la femme à la vie politique: «On est pour la parité, mais où sont-elles les femmes?», se demande-t-elle, en appelant à «une implication accrue de la Tunisienne aux prochaines élections municipales afin qu’elle participe activement et efficacement à la gouvernance locale». Et de conclure : «Je suis fière de voir ce nombre de femmes aussi jeunes, aussi actives et aussi rayonnantes dont la Tunisie a grand besoin comme elle a besoin de ses compétences résidant à l’étranger».
Najla Harrouche, ex-ministre du Commerce et de l’Artisanat et Pdg de Biat-Assurances, a exprimé son admiration pour la femme qui s’engage dans l’action politique, ce qui lui a beaucoup manqué dans son parcours, malgré le portefeuille ministériel qui lui a été confié et qui n’a jamais été occupé, auparavant, par une femme.
«Dans l’exercice de mes fonctions de ministre, je n’ai pas rencontré des problèmes ayant trait à mon statut de femme, bien au contraire, les collaborateurs hommes ont été d’un grand apport et la réussite reste aussi tributaire de l’attitude personnelle», a-t-elle affirmé.
Sihem Jouini, professeure et maître de conférences en management-innovation et 1ère femme présidente de l’Atuge Tunisie depuis 25 ans, estime que «la réussite est tributaire du travail et celles qui ont réussi sont celles qui ont travaillé et beaucoup donné d’elles-mêmes». Toutefois, précise-t-elle, «la femme ne sait pas réclamer et ne s’accroche pas à ses droits. Il faut se battre et faire les pressions qu’il faut; et c’est l’une des missions de l’Atuge».
Savoir faire des calculs
Faouzia Charfi, ex-secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique et ex-directeur de l’Ipest, constate que, malgré le taux élevé de réussite des jeunes filles aux examens du baccalauréat, leur présence est très faible dans les domaines de l’ingénierie et de l’architecture. «Les femmes ne savent pas faire les bons calculs pour s’orienter vers les secteurs où l’emploi lui est davantage ouvert», dit-elle. Et Mme Charfi d’ajouter: «La femme, qui doit avoir confiance en elle-même, attend un grand effort de la part de la société, au niveau des structures d’accueil telles que les jardins d’enfants et les crèches, au sein des universités, des entreprises et des lieux de travail d’une manière générale, pour lui permettre de concilier ses obligations professionnelles et familiales».
Cet avis est partagé par Habiba Hadhri, qui appelle à un soutien plus accru de la part du mari et au développement d’une culture porteuse d’une nouvelle vision du rôle de la femme dans la société.
La difficulté d’accès de la femme aux postes de décision est-elle un problème propre à la Tunisie, qui est pourtant considérée comme pionnière dans le monde arabo-islamique en matière d’émancipation de la femme ou bien touche-t-il également les pays développés?
Salha Amara, la doyenne des Atugéennes, tire des leçons de sa propre expérience professionnelle. Suite à une exclamation de son patron à Tunisie Telecom «Comment pourrais-je vous confier une équipe de 50 hommes?», elle décide de quitter le pays pour aller s’installer en France et intégrer France Telecom. Elle précise, cependant, que «même en France, le même problème se pose avec la même ampleur et les difficultés commencent dès qu’on accède à des postes de responsabilité».
Les études spécifiques très poussées aident-elles à contourner ce problème?
La réponse viendra du Centre de recherches, d’étude, de documentation et d’information sur la femme (Credif) qui est en train d’élaborer des études sur cette problématique partant du paradoxe existant entre les taux élevés de réussite scolaire féminine et la faible occupation de postes de responsabilité et de décision par les femmes aussi bien dans le secteur public que le privé. «Les femmes ont besoin d’avancer dans leurs carrières et le Credif s’est engagé à mener le travail de sensibilisation nécessaire», a déclaré la directrice générale de cet établissement, Dalenda Bouzgarou Largueche.
La question nécessite d’être approfondie et les festivités programmées par le ministère de la Femme pour marquer l’anniversaire du 13 août 1956 (date de la promulgation du Code du statut personnel ) constituera une autre occasion pour poursuivre le débat.
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