Entre Nabil Karoui, qui se rêve faiseur de présidents, et Rached Ghannouchi, qui se voit déjà au Palais de Carthage, s’est noué un pacte diabolique. Les Tunisiens ne se laisseront pas faire…
Par Chedly Mamoghli *
Il fut un temps où le communiquant faisait partie de la galaxie de Béji Caïd Essebsi (BCE). Il s’est imposé auprès de l’homme d’Etat charismatique comme le monsieur Com’ par excellence et ce depuis 2011. Déjà, à l’époque où BCE était à la Kasbah, il lui a mis à sa disposition Moez Sinaoui, ancien directeur de la communication de Nessma devenu conseiller porte-parole du chef du gouvernement. Et après avoir quitté la primature, «la chaîne de la famille» est devenue un relais médiatique pour celui qui était alors chef de l’opposition et qui accédera, après la présidentielle de 2014, à la magistrature suprême. Aujourd’hui, les temps ont changé et le tonitruant Nabil Karoui a changé de cheval de course.
Nabil Ghannouchi et Rached Karoui : «Rassin fi chéchia»
Certes, il a mis dans sa poche Hafedh Caïd Essebsi, le fils du président de la république, et l’a aidé à faire main basse sur le parti Nidaa Tounes, dont il se targue d’être le co-fondateur, mais aujourd’hui les rapports ne sont plus comme avant entre les deux hommes.
Egalement, Béji Caïd Essebsi n’est pas docile au goût de Karoui, surtout depuis l’avènement de Youssef Chahed à la tête du gouvernement, poste que ce même Karoui briguait le plus sérieusement du monde, et l’offensive du locataire du palais de la Kasbah contre la corruption, qui a vu la chute du copain de Nabil Karoui, le sulfureux Chafik Jarraya, poursuivi par le tribunal militaire pour trahison, atteinte à la sûreté publique et intelligence avec une armée étrangère (excusez du peu !).
Ces deux derniers sont devenus inséparables, «rassin fi chéchia» (deux tête dans un même bonnet), comme le dit si bien l’adage bien de chez nous.
Chassé du Palais de Carthage, Nabil Karoui va trouver refuge chez les islamistes, ses nouveaux protecteurs.
Il convient aussi de rappeler, dans ce contexte, l’enquête publiée par l’Ong I Watch en juillet 2016 accusant le groupe Karoui & Karoui d’évasion fiscale via une nébuleuse de sociétés dans plusieurs pays, ce qui a donné lieu à l’ouverture d’une enquête par le parquet.
Tous ces éléments font que le vent a tourné. Le communicant se sent vulnérable et se cherche une protection donc la nouvelle stratégie c’est devenir le spin doctor, l’architecte de la communication politique de Rached Ghannouchi et d’en faire le prochain président en 2019.
Le numéro médiatique de la soirée du mardi 1er août 2017 sur Nessma, avec l’entretien du président du parti islamiste Ennahdha, en est la parfaite illustration. Se rendre indispensable aux islamistes et porter leur chef à la présidence est en soit le meilleur moyen pour se protéger et pour qu’ils lui deviennent redevables. Dans l’espoir que les dossiers ouverts par la justice sur ses activités financières pas très orthodoxes soient… enterrés, comme ont été enterrés ceux relatifs aux prévarications de Rafik Abdessalem Bouchlaka, ancien ministre des Affaires étrangères et, accessoirement, gendre de Ghannouchi, qui a dilapidé d’importants fonds publics. Et jusque-là impunément.
Le coup du «frère musulman cravaté»
Le numéro médiatique auquel nous avons assisté mardi dernier était sacrément «karouiste», jusqu’aux moindres détails. La cravate, c’était lui car l’image et son effet sont primordiaux pour les communicants. Surtout quand l’objet marketing qu’on présentait ce soir-là était le chef des islamistes en personne. Donc lui faire porter une cravate, c’est tout un symbole car chez les Frères musulmans, la cravate n’est pas un simple bout de tissu, c’est un symbole d’acculturation et d’aliénation à l’Occident.
Pour se la jouer moderne et réussir son numéro de bluff consistant à faire croire qu’Ennahdha a évolué, Ghannouchi s’est prêté volontiers au jeu préparé à l’avance. Mais comme ils aiment bien prendre les téléspectateurs pour des imbéciles, ils lui ont posé la question sur le choix du port de la cravate comme s’ils ne savaient rien. Peut-être que la cravate provient d’un dressing de Nessma ou de la garde-robe de Nabil Karoui lui-même?
Et le numéro de bluff continua, Ghannouchi nous demanda de ne plus parler d’islam politique, mais de parler de musulmans démocrates par référence aux chrétiens démocrates, comme si la comparaison pouvait, historiquement et idéologiquement tenir. Ce leurre ne trompera que ceux qui voudront bien se faire tromper. Et ils sont malheureusement foison les opportunistes toujours prêts à manger dans tous les râteliers : de Ben Ali à Ghannouchi, il n’y a finalement qu’un pas, et beaucoup l’ont déjà fait.
Monsieur Com’ propose ses services aux plus offrants.
N’est pas Jacques Pilhan qui veut
Le chef d’Ennahdha a, en tout cas, bien appris et bien récité sa leçon de Com’ dictée par Karoui. Ce dernier croit qu’il est le fabricant des présidents tunisiens. Il croit qu’il est devenu le Jacques Pilhan tunisien, celui qui était surnommé en France le sorcier de l’Elysée et qui fut le gourou médiatique de Mitterrand puis de Chirac.
Avec Gérard Collé, Pilhan a fait gagner Mitterrand en 1981. Le candidat socialiste avait une image qui lui collait à la peau, celle d’un homme ambigu, looser, ringard, bref d’un homme du passé, sauf que les deux communicants ont décelé en lui un produit mal exploité. Ils ont travaillé dans la plus grande discrétion et ont produit le document fondateur de la stratégie de François Mitterrand intitulé «Roosevelt contre Louis XV ou l’homme qui peut contre l’homme qui plait». Ce document confidentiel jetant la base de la communication politique moderne a été rendu public en 2016. Et ainsi doté d’une équipe de Com’ professionnelle et d’une stratégie implacable, «Tonton» a battu Giscard d’Estaing. Le même tandem a œuvré pour lui en 1988 et l’a fait réélire. En 1993, Pilhan s’est mis à rencontrer Chirac secrètement et l’a fait gagner en 1995 en établissant la stratégie pour inverser la tendance qui était au début en faveur d’Edouard Balladur.
Pilhan a formé Claude Chirac avant d’être emporté par un cancer en 1998. Après sa disparition, c’est la fille du président qui s’occupera de la communication de son père jusqu’en 2007 en appliquant les recettes apprises auprès de Pilhan.
Ceci est important et indispensable pour comprendre les enjeux de la communication politique. Nabil Karoui se rêve en Pilhan tunisien. Sauf qu’il y a un hic, lui et Rached Ghannouchi ont commis une grave erreur et se sont plantés. En disant que Youssef Chahed ne doit pas se présenter en 2019, Ghannouchi croyait choisir lui-même ses adversaires et se libérer la voie pour Carthage mais c’était une faute monumentale et une stratégie contre-productive car ceci n’a fait qu’augmenter la popularité de Chahed et accru les soupçons dans lesquels les Tunisiens tiennent le chef du parti islamiste, qui plus est coaché aujourd’hui par un orfèvre des volte-face, des mensonges et des retournements de veste.
Karoui toujours bien entouré : ici avec Chafik Jarraya, et l’islamiste Noureddine Bhiri.
De toutes les façons, la partie est loin d’être terminée, Nabil Karoui peut tout entreprendre pour faire gagner Ghannouchi en 2019 et espérer qu’une fois ce dernier élu, il sera lui-même protégé et gagnera en puissance.
En mettant au pouvoir un président bleu et sans la moindre connaissance de l’Etat, il pourrait croire qu’il lui sera docile contrairement à Béji Caïd Essebsi, homme d’Etat sachant faire la part des choses.
Il peut jouer au gourou du gourou. Bilou Karoui peut devenir Cheikh Nabil mais les dès sont loin d’être jetés et la Tunisie n’acceptera pas de subir un destin «erdoganien», elle résistera avec tous ses anticorps et finira par rejeter les islamistes et les opportunistes qui les servent.
* Juriste.
Donnez votre avis