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Université de Manouba: Habib Kazdaghli président… en toute logique

Plaidoyer en faveur d’un historien rigoureux, universitaire respecté et militant d’exception pour les libertés, qui mérite la reconnaissance de ses pairs.

Par Habib Trabelsi *

La «révolution du jasmin», toujours inachevée, passe, surtout en Occident, pour une exception, un modèle, dans le sens où le dialogue et la négociation se sont imposés en lieu et place de la violence et ont empêché que la Tunisie ne sombre dans le chaos.

La palme de cette exceptionnalité est revenue au Quartet du Dialogue national, qui s’est vu attribuer le Nobel de la paix. Mais il ne faut pas minimiser l’importance de «la mère des batailles» menée farouchement en 2011-2013 par Habib Kazdaghli, le doyen de la Faculté des lettres, des arts et des humanités de Manouba (FLAHM), avec le soutien de la société civile et les démocrates du pays, contre les assauts répétés des Salafistes.

«Les salafistes, bien renseignés, connaissent bien la source du mal et les foyers de la ‘‘perversion’’: les facultés des lettres et des sciences humaines et sociales. D’où l’assaut précoce et la volonté tenace d’en découdre avec ces universités. La question du niqab (voile intégral), salle de prière, (…) ne sont que des prétextes. Les salafistes ont jeté le dévolu sur la FLAHM pour forcer les portes du temple de la rationalité, de l’esprit critique, de la tolérance et de la liberté d’agir et de penser», écrit Abdelmajid Bedoui, professeur d’université, professeur de civilisation arabe moderne et contemporaine, dans ‘‘Grandeurs et misères de la révolution tunisienne’’ (L’Harmattan).

«Monsieur Drapeau», «Doyen du Courage»

N’en déplaise à la cohorte d’opportunistes charriés par la «révolution du jasmin», et aux ténors «tout à l’ego» de la politique de pacotille, Habib Kazdaghli peut s’enorgueillir d’être l’un des acteurs d’une Histoire qui s’écrit au présent, rien que pour avoir tout fait pour que ce «temple» ne tombe pas dans l’escarcelle des obscurantistes et pour avoir empêché que notre drapeau national soit profané et vandalisé.

Cette résistance, ainsi que sa défense infatigable des valeurs académiques, de l’indépendance des instances pédagogiques et celle des causes des minorités, sans compter son combat pour la sauvegarde et la valorisation du patrimoine culturel national en péril, lui ont conférée une renommée et une reconnaissance internationales. Il suffit de rappeler qu’il a été sacré «Doyen du Courage» à Amsterdam par le réseau Scholars At Risk pour avoir empêché que la Tunisie devienne un Tunistan, qu’il a été honoré par l’Université de Nanterre du titre de docteur honoris causa et continue d’être invité par plusieurs universités étrangères.

Habib Kazdaghli, que je connais de près depuis sa prime jeunesse, est un bel exemple de probité, d’intégrité, d’humilité et déni de soi. Il refuse les privilèges, ne court pas derrière les honneurs ni, encore moins, cherche à être «panthéonisé». Depuis son élection doyen de la FLAHM en juin 2011, «Monsieur Drapeau», comme le surnomment ses étudiants et ses admirateurs, a assuré ses cours avec la régularité d’un métronome.

L’auteur en discussion avec « Monsieur Drapeau ». 

«La république a besoin de ses symboles»

Des Tunisiens et des Tunisiennes de cette envergure, dont la devise est «Servir sans se servir», méritent bien d’être honorés non seulement après leur décès, mais aussi de leur vivant.

Voici ce que j’avais posté sur ma page facebook lorsque la polémique enflait à propos de la statue équestre de Habib Bourguiba: «La république a besoin de ses symboles. N’en déplaise à tous les ‘cloportes’ charriés par le ‘printemps’, qui pestent et protestent contre le retour triomphal du ‘Combattant suprême’ au cœur de le capitale, qui pètent et tempêtent contre ‘l’adoration des hommes’, la République a bien besoin de dresser des statues, des mémoriaux, voire un Panthéon dédié à ses hommes/femmes illustres. Certes, le culte de la personnalité et l’adulation excessive d’un ‘‘Père de la Nation’’, d’un ‘‘Père Fondateur’’ ou d’un ‘‘Grand Timonier’’, est caractéristique des régimes totalitaires. Une République idéale peut se passer de symboles. Mais lorsque la République, trahie et ruinée, est menacée de perdre ses repères et sa mémoire, lorsque des citoyens se mordent le doigt et regrettent amèrement d’avoir trempé leur index dans l’encre et leur bulletin dans l’urne, lorsqu’une cohorte de prétendants se bousculent au portillon de Carthage (…), la République ne peut plus se passer de Habib Bourguiba, son symbole, fût-il un despote, mais un despote éclairé et visionnaire. Mais pourquoi faut-il attendre leur décès pour honorer ces héros et ces héroïnes ? Des honneurs posthumes, soit ! Mais aussi des honneurs ‘‘anthymes’’ pour développer une morale et une pédagogie fondées sur les exemples vivants qu’offrent aux nouvelles générations les hommes et femmes illustres qui servent la république, chacun/chacune dans son domaine».

J’avais alors proposé quelques «symboles», dont Habib Kazdaghli, pour des hommages ‘‘anthymes’’.

Une consécration méritée

Aujourd’hui, à la veille de l’élection, vendredi, du Conseil de l’Université de Manouba, pour élire le président de l’UMA, mon devoir de citoyen me dicte d’exhorter le collège électoral d’ouvrir la voie, par leur vote, à Habib Kazdaghli pour qu’il puisse continuer le combat qu’il a mené avec eux pour une Université libre, affranchie de l’obscurantisme et tout esprit dogmatique.

Une telle consécration serait une juste reconnaissance et ne trahirait pas la mémoire de feu Ahmed Brahim, le leader emblématique du courant progressiste, celui-là même dont la première mesure prise après la révolution lorsqu’il était à la tête du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique a été la généralisation du principe de l’élection à tous les responsables des établissements universitaires et aux présidents des universités.

Elections cruciales

Habib Kazdaghli sera en lice vendredi avec deux prétendants: Jouhaina Gherib, une fine technicienne dans son domaine de gestion et qui a été pendant deux mandats (2011-2017) vice-présidente de l’UMA, mais qui n’a jamais pris de position publique dans une université où les occasions n’ont pas manqué, dit-on dans les milieux universitaires.

Riadh Farah, directeur pendant deux mandats (2011-2017) de l’Institut supérieur d’arts et multimédias (Isamm), travailleur infatigable mais à qui on n’a jamais connu la moindre prise de position sur les événements de l’UMA, selon ces mêmes sources.

Il s’agit du troisième scrutin universitaire depuis 2011. Auparavant, les élections se déroulaient uniquement dans douze facultés, aujourd’hui 204 institutions profitent de la décision courageuse de Ahmed Brahim, de même que les treize présidents des universités publiques.

Cependant, les professeurs-chercheurs de l’Institut d’Histoire de la Tunisie contemporaine, qui se trouve au sein de l’UMA, université de la Manouba, en sont privés. Dans son programme électoral, le candidat Kazdaghli s’engage à faire tout pour que la revendication de ses collègues soit satisfaite.

Les élections du conseil scientifique de l’UMA, qui se sont déroulées à une date historique pour l’Algérie voisine (le déclenchement de l’insurrection armée par le FLN. le 1er novembre 1954) sont un baromètre des rapports des forces existants et du degré de prise de conscience des enjeux actuels et futurs défis de la Tunisie presque 7 ans après sa révolution.

La victoire de la liste de Habib Kazdaghli ne fera que consacrer l’ancrage des acquis de son combat pour les libertés académiques et l’indépendance des instances pédagogiques.

Sa défaite sera interprétée par ceux qui ont été de ce combat en Tunisie et dans le monde, comme un signal de recul.
Ces libertés sont donc un butin de guerre qu’il faudra farouchement défendre et jalousement garder.

* Journaliste tunisien basé en France.

 

 

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