Le pouvoir du spectacle, ce que Platon nommait théâtrocratie, est ce qui définit le mieux de nos jours les élections en démocratie; que dire dans une sous-démocratie comme la Tunisie !
Par Farhat Othman *
Il ne faut ni se voiler la face ni chercher à tromper un peuple éveillé de par sa sagesse populaire ancestrale : la Tunisie est au mieux une sous-démocratie; elle l’est voulue par certaines puissances étrangères servant leurs intérêts propres, prétendant en faire un modèle sui generis, une exception dans le monde arabe. Ce qui leur suffit pour fermer les yeux sur les insuffisances flagrantes d’une telle fausseté.
De tels intérêts étant intrinsèques à l’ordre des choses généré par la mondialisation, outre la situation stratégique de la Tunisie, il ne sert à rien de nier leur action ou jouer à la dénoncer. Il faut plutôt se rendre à l’évidence que le pouvoir du peuple que suppose la démocratie se limite au spectacle, joute de souk ou opéra bouffe politicien.
Un spectacle au service du grand capital
La démocratie en pouvoir du peuple est une lubie pour les intérêts capitalislamistes en œuvre dans le pays. Tout concourt à satisfaire les affairistes de tous bords, la mercantilisation du monde faisant du pays un marché pour le grand capital. Au demeurant, dans ce cadre entre le recours à l’encre électorale imposée aux pays en transition démocratique au nom de l’intégrité de l’acte électoral alors qu’elle ne sert que ses commerçants.
Au vrai, on a fait du vote une occasion en or de faire de l’argent, le marché étant mondial et devant durer quelque temps jusqu’à ce qu’on se réveille à la nature d’arnaque commerciale de ce qui n’est qu’un stigmate de sous-développement. Ce qui rend risible et honteux même ce geste de naïve fierté d’exhiber un doigt taché d’encre alors que c’est une flétrissure, telle la marque au fer rouge des bagnards d’antan.
L’intégrité de l’acte électoral est bien ailleurs, dans une authentique indépendance de l’instance en charge des élections, se manifestant par des listes électorales saines, que l’Instance supérieure indépendante des élections (Isie) affirme, d’ailleurs, tenir à jour. Qu’elle démontre alors son indépendance en faisant savoir aux électeurs que, légalement, l’encre n’est pas obligatoire et que, du moment que leur identité ne fait nul doute lors du vote, ils ne sont point obligés de se salir le doigt pour voter. Gageons qu’elle ne le fera pas !
En effet, elle n’a déjà pas fait montre d’indépendance dans la sélection des candidats comme l’en accusent nombre parmi les recalés soutenant avoir été écartés du fait qu’ils ne rentraient pas dans les critères devant assurer le spectacle ou étant de nature à le chahuter. C’est le cas de cette candidature qui voulait amener au cœur du débat public la question homosexuelle, essentielle pour l’acceptation du différent, et donc du vivre-ensemble paisible en Tunisie. Or, c’est le dernier souci des élections qui ne sont qu’affaire commerciale et de riches.
Ainsi, outre l’encre, le supposé droit pour tous de se porter candidat est réservé aux mercantis, ceux qui sont en mesure de se passer d’un million de dinars, la somme nécessaire pour se porter candidat, mais non restituée en cas de refus de la candidature. Et que n’a-t-on dit, d’ailleurs, sur le monnayage des parrainages des élus ! L’argent n’était point absent, comme avec l’encre électorale à laquelle ne tiennent, outre ses distributeurs, que les partis monnayant l’acte de vote, la tache sur le doigt étant la condition pour payer l’électeur corrompu.
À l’instar de cette encre indélébile censée protéger l’intégrité de l’acte électoral alors qu’elle le vicie, nos élections ne sont point saines. On n’a affaire qu’à un spectacle bien ficelé pour de l’épate, faire croire à la démocratie d’une dictature juste ripolinée, le peuple ployant toujours sous une législation scélérate, abolie pourtant par une constitution restée cependant lettre morte dans ses plus essentielles dispositions, telle la mise en place de la Cour constitutionnelle.
Un spectacle bien ficelé au résultat prédéfini
On sait la démocratie formelle occidentale reine dans l’organisation du spectacle en jeu de cirque; c’est le cas de ces élections tunisiennes labellisées démocratiques. Allié à l’islam politique, le capital mondial veille au grain à ses intérêts dans le pays, qu’il a su colorer d’une touche indigène grâce à son alliance stratégique avec Ennahdha. Ce parti n’est donc pas prêt de disparaître de la scène politique pays jusqu’à son hypothétique mue en démocratie musulmane.
Par conséquent, après le deal des précédentes élections où le parti islamiste a été amené à s’effacer nominalement pour continuer à agir dans les coulisses, on s’attend à un nouveau scénario dans le même sens. Si, à la surface, il confirme le recul des islamistes et de la thématique intégriste, dont l’absence de Carthage, il ne garantira pas moins sa perdurance dans les rouages politiques du pays. Ce qui signifie le maintien le plus longtemps possible des lois scélérates tout en continuant, en parallèle, le renforcement de la présence capitaliste dans le pays, l’islamisme n’étant qu’un libéralisme sauvage.
Pour le chef d’Ennahdha, le rêve d’entrer à Carthage a mué en une volonté de maîtriser, sinon diriger, au parlement les inéluctables batailles de réforme législative sur les sujets tabous. Pour la présidence de la République, on a opté pour un émule du président défunt, profil plus conciliant que celui d’un chef de gouvernement ne devant pas avoir le beurre de Carthage et son argent, la Kasbah. Serait-ce mauvais deal, le vrai pouvoir demeurant, après tout, la présidence du gouvernement outre Le Bardo ?
Une telle cuisine électorale aux apparences surréalistes ne surprend que les esprits épris d’éthique; or la politique ne l’est pas, même en démocratie avérée; il suffit de penser au système américain consacrant le décalage entre voix obtenues et résultat final. Sans éthique, la politique est accommodements et algorithmes électoraux particulièrement en l’absence d’indépendance des organismes supposés neutres et surtout d’un vote massif empêchant la modération. Pour cette présidentielle, la pléthore de candidatures ne serait qu’un biais servant un dessein prédéfini.
* Ancien diplomate et écrivain.
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