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Polémique : Maya, ou l’ignorance enveloppée dans le voile de l’illusion

La démarche de Maya Ksouri consiste à déprécier la Foi au nom de la Raison et la religion au nom de la Science. C’est ce qu’elle a fait récemment en critiquant le charlatanisme que constitue à ses yeux la prière de la pluie (ou salat al-istisqa), en usant de la science pour imposer ses convictions, de la même manière que l’Etat ou le parti Ennahdha le font en usant de la Religion. En agissant ainsi, elle a l’illusion de combattre le terrorisme. Il est vrai que Maya en sanskrit signifie l’ignorance enveloppée dans le voile de l’illusion.

Par Dr Mounir Hanablia *

En 2003 , alors que l’administration Buch préparait sa guerre contre l’Irak, interrogé par des journalistes sur la réalité des armes irakiennes, le secrétaire d’Etat à la Défense Donald Rumsfeld avait suscité l’ironie en évoquant, dans le renseignement, ce que l’on sait en sachant qu’on le sait, ce qu’on ne sait pas en sachant qu’on l’ignore, et ce qu’on ne sait pas, en ignorant qu’on l’ignore. Il aurait pu ajouter à sa classification du savoir, ainsi que l’a précisé un journaliste, ce qu’on sait dont ignore qu’on le sache, c’est-à-dire justement le déni de ce que l’on sait, à savoir que l’Irak qu’on allait alors envahir ne disposait pas des armes de destruction massive.

La récente polémique suscitée par la déclaration de Maya Ksouri relativement au caractère «folklorique» et «sorcier» de la prière de la pluie (ou salat al-istiqsa) pratiquée dans les mosquées, censée lever le courroux divin, en l’occurrence une sécheresse catastrophique issue de nos péchés, m’a un peu rappelé cette catégorisation du savoir et de l’ignorance soucieuse de donner une assise rationnelle à une guerre qui en était dépourvue, ou du moins dont les raisons ne furent pas du tout celles annoncées.

Le pavé dans la mare de la religion

Mme Maya Ksouri fidèle à son image d’agnostique militante a en effet une fois de plus jeté le pavé dans la mare de la religion, en affirmant que rapporter à la radio nationale des pratiques selon elle charlatanesques censées résoudre les conséquences d’un phénomène naturel, entrait en contradiction avec le programme scientifique rationnel dispensé dans les établissements de l’enseignement, et risquait de provoquer chez les jeunes une «dissonance cognitive».

J’ignore si Mme Ksouri, qui n’est pas psychologue, a choisi cette expression avec soin en tant que reflet de sa pensée, ou bien si elle a fait usage ainsi dans le feu de l’émotion, ou encore si elle l’a utilisée pour donner un aspect savant à des convictions politiques. La dissonance cognitive étant les pensées ou les comportements issus de deux ou plusieurs convictions contradictoires chez un même individu, elle traduirait un état névrotique, ce qui ne saurait être flatteur pour quiconque censé professer des croyances contradictoires avec ce que Mme Ksouri considère être la Vérité, la Science, ou la Réalité.

Que notre célèbre avocate n’aime pas les religions qu’elle considère comme des superstitions, qu’elle élève ses enfants selon ses vues sur la question, nul ne pourra contester que cela soit son droit. Mais accuser les jeunes croyants de névrose relève plus de l’anathème que de l’analyse objective dont elle prétend faire usage.

En réalité, beaucoup de fidèles vivent leur foi dans la sérénité malgré les multiples contraintes du monde moderne, et les normes contemporaines de la connaissance souvent contradictoires avec les récits et les enseignements sacrés. Loin de sombrer dans la dissonance cognitive, ils s’adaptent en réfutant au besoin les théories qui leur semblent contradictoires avec leurs croyances, au besoin par le déni, de la vérité et de soi-même, mais cela constitue un autre aspect du problème, si on le considère ainsi.

L’importance vitale de l’eau dans toutes les civilisations

Il reste à savoir si ce qui est incriminé soit ou non spécifique à l’islam. Cela, Mme Ksouri aurait dû le préciser mais elle ne l’a pas fait. Elle ne niera cependant pas que des sorciers des Indiens d’Amérique à ceux des tribus de l’Afrique en passant par les grands prêtres des antiques rites de la fertilité, les civilisations antiques agricoles de l’Egypte à la Chine via la Mésopotamie et l’Inde aient toujours conféré les plus grands pouvoirs politiques et symboliques à tous ceux qui étaient chargés de gérer le problème de l’approvisionnement et de la répartition de l’eau. Les grands fleuves ont d’ailleurs été souvent les berceaux autour desquels ont fleuri des villages et des cités qui se sont transformées en Etats puis en Empires.

Que l’islam ait hérité des traditions qui l’ont précédé dans le Croissant fertile, en Egypte, et au Yémen, ne saurait étonner, d’autant que originaire du désert, il ne pouvait pas ne pas se faire l’écho moins qu’ailleurs de l’importance vitale de l’eau pour ses habitants. Peut-on aujourd’hui qualifier cela de folklore?

S’il y a charlatanisme, ce serait celui de l’Etat

En général le folklore est une réminiscence de pratiques répondant à des besoins qui n’ont plus cours, et autour duquel une communauté s’individualise en partageant des souvenirs. La prière de la quête de l’eau en ferait peut-être partie si l’eau ne constituait pas un problème aigu toujours et plus que jamais d’actualité du fait du réchauffement climatique induit par l’activité humaine, et surtout la quête effrénée du profit et de la croissance. Et l’ Etat, au lieu de chercher et trouver des solutions à ce problème crucial dont dépend l’avenir du pays, celui d’assurer et sécuriser un approvisionnement en eau permanent répondant aux besoins présents et futurs du pays, organise avec force propagande ces prières masquant dix années de carence au plus haut niveau.

S’il y a charlatanisme, ce ne peut être que cela. Mais Mme Ksouri en sautant comme toujours à bras raccourcis sur la foi de nombre de ses concitoyens a ainsi perdu une nouvelle occasion d’aborder ces problèmes là et en parlant d’anticyclone, elle a omis de mentionner le zéro carbone, le réchauffement climatique, et même le dernier sommet climatique de Glasgow.

Les Hindous ont l’habitude de parler de trois champs d’approches de l’ existence. Il y a d’abord le substrat inconnaissable, qui échappera toujours à notre entendement, dont nous ignorons que nous l’ignorons, selon les termes de Donald Rumsfeld. Il y a ensuite les lois (mathématiques, physiques, statistiques) qui préexistaient à l’apparition de l’univers et qui en régissent le fonctionnement. Enfin il y a l’univers lui-même qui réunit les observateurs que nous sommes dans l’espace et dans le temps.

Chacun choisit sa voie dans la quête de la vérité

Le premier champ ne peut être approché que par la méditation et la religion; le second par la connaissance; le dernier par la jouissance ou l’expérience. Chacun est donc libre de choisir la voie qui lui convienne dans sa quête de la vérité. Le non-sens, c’est l’affrontement entre l’un et l’autre, sous le prétexte que l’une des voies soit meilleure que les autres. Un religieux, un savant, ou un ivrogne ne seront donc jamais plus que des quêtes individuelles par des voies différentes vers un sens déterminé de l’existence; c’est cela l’essence du respect et de la tolérance.

La démarche de Mme Ksouri, celle de déprécier la Foi, est en contradiction avec ceci, elle use de la science pour imposer ses convictions, de la même manière que l’Etat ou le Parti Ennahdha le font  en usant de la Religion. En agissant ainsi, elle a l’illusion de combattre le terrorisme. Il est vrai que Maya en sanskrit signifie l’ignorance enveloppée dans le voile de l’illusion. 

* Médecin de libre pratique.

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