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Le Foot-Gate: Un scandale d’Etat

Stade-de-RadesQui osera dénoncer les scandales à répétition du football tunisien et secouer le cocotier politico-footballistico-affairiste, dernier avatar de notre «révolution»?

Dr Fethi El Mekki *

La Tunisie cancane, la Tunisie potine… Dans ce doux et beau pays, on veut à tout prix, faire triompher les vilaines langues et les mauvais esprits…

Ces derniers temps, deux tristes événements ont eu lieu… Avec une impression de déjà-vu… Sans que ça n’a attire l’attention de beaucoup de personnes.

Tout d’abord, le vol a l’arraché a été fêté, dans la rue, au vu et au su du monde entier, et donc officieusement légalisé, en attendant de l’être officiellement…

Ensuite, on découvre tout d’un coup, que l’Etat et le gouvernement sont anesthésiés… et que dans le berceau de la révolution, il n’y a pas d’enfant.

Aujourd’hui, en Tunisie on ne rêve plus. C’est bel et bien le règne de l’indécence.

Comme dans un film:

Le mardi 2 juin 2015, dans les 8 dernières minutes d’un match de football, comptant pour la dernière journée du championnat de Tunisie, un pénalty imaginaire a été accordé, permettant à l’équipe bénéficiaire de remporter ce misérable trophée au détriment bien évidemment d’une autre équipe. C’était clair et net, simple et précis, sans bavure. Ce n’est pas très glorieux, mais bon, l’arbitre fait un sale métier, mais au moins le fait-il salement…

Ce qui est pittoresque, c’est que suite à ce magistral hold-up, des centaines de milliers de personnes se sont retrouvées à la rue pour chanter et danser, grossièrement, légalisant du coup ce vol… et célébrant, du même coup, la cour des miracles.

En Tunisie, désormais, on célèbre, on glorifie et on exalte les rapines et les larcins à l’air libre, sur la chaussée et le trottoir… l’allégresse, la gaieté, la liesse, la joie et l’exultation étant sans limites.

En Tunisie, désormais, on chantonne, on fredonne, on hulule et on hurle tout en se trémoussant, en sautillant et en gigotant pour célébrer le brigandage et le pillage.

En Tunisie, désormais, on fête les escroqueries et les détournements, entre voisins, entre copains, en couple et en famille, avec femme et enfants.

Le grotesque a rejoint l’intolérable et personne parmi l’élite bien-pensante ne s’en offusque. L’enterrement est réussi: a priori, les escrocs n’iront pas en prison. Ils ne rendront même pas de compte.

La pizza nostra :

Le niveau de cette fête obscène a été relevé par une omerta médiatique indécente, malséante et criminelle, sur le coup de pouce arbitrale, digne des grands jours de Slim Chiboub et de Don Corleone.

Sur la dizaine d’émissions sportives qui ont commenté l’événement, seule celle de Mehdi Kattou a relevé l’anomalie du coup de réparation et donné la parole à l’équipe lésée. Le must c’est la disparition de l’arbitre habituel, le très honnête Hichem Guirat, qui relève les anomalies arbitrales au cours de l’émission et son remplacement à la dernière minute par un illustre inconnu qui a, bien sûr, mis en doute la thèse du penalty imaginaire. Yes we can…

C’est la fameuse théorie de la «censure par le vide». Heureusement pour les puristes, plus d’une quinzaine de chaines sportives internationales ont mis en exergue la tricherie, en la commentant en long et en large.

A tout cela, il faudrait ajouter la touche finale : l’humiliation de toute une région…

Où va le bateau ivre du sport tunisien? Ce n’est plus de l’ambition, c’est de la démence !

Le club des étouffeurs :

Dans cette sombre affaire, l’ensemble des journalistes sportifs et des sportifs tunisiens s’est retranché derrière un mutisme de confesseur, qui se conjugue mal avec la gravité de la cause. Ils sont paralysés de révérence. Tout le monde est content. Et personne ne voit rien. Ils ont conquis haut la main une place dans le club des étouffeurs.

Cette secte percluse de génuflexions, perdue, immobile et silencieuse, composée de figurants se confondant avec le décor, a formé, a priori «spontanément», une coalition invisible, pour étouffer ou empêcher de commenter l’insoutenable.

De peur de se retrouver en vacances à perpétuité, il fallait sourire, prendre dans ses bras, embrasser goulument, féliciter «les vainqueurs» et commenter avec un art consommé de la langue de bois cette «formidable performance», bref aller carrément à la soupe.
Peut-on encore, oui ou non, aujourd’hui, exprimer une opinion personnelle dans une émission sportive? A priori non. De toutes les manières, on n’organise pas indéfiniment la conspiration du silence.

Gouverner c’est prévoir :

L’esclandre couvait depuis plus de deux mois, quand les dirigeants de l’équipe arnaquée ont commencé à hurler à l’escroquerie du fait des injustices arbitrales criardes soit en leur défaveur soit en faveur de la future équipe «championne», à tel enseigne qu’on les a qualifiés d’hystériques et de pleurnichards. Lorsqu’on y pense aujourd’hui, on a un peu honte d’avoir sous-estimé leurs plaintes.

Ils ont crié à l’arnaque durant deux mois, personne n’a bougé. Ils ont crié à l’arnaque la semaine qui a précédé le match du fait que l’arbitre désigné n’a arbitré qu’un seul match cette saison et qu’il est en fin de carrière, là aussi personne n’a bougé. Ils ont été roulés le jour du match dans la farine du théâtralisme et de l’indécence, comme on l’a vu. Là aussi personne n’a bougé.

Circulez, il n’y a rien à voir ! Le vainqueur a été déjà désigné. Proclamé. Fêté. Encensé. Et adulé. Dans les ombres et pénombres des sombres coulisses de la décadence et de l’insouciance.

Devant les accusations et les lamentations de l’équipe flouée, durant plus de soixante jours, le ministère de tutelle concerné et le gouvernement ont répondu par une inertie bouddhique. Peut-être parce que ce n’est pas un sport d’intellectuel. Pourquoi personne n’a réagi à la Kasbah ou à Carthage, avant le match de la honte?

On a eu droit à un silence radio magistral. C’était déni et amnésie et caricature. Yes yes, yes…

Le mélange des genres :

Le président de l’équipe «championne» étant le président d’un «parti» qui est représenté à la Chambre des représentants du peuple par 16 élus et au gouvernement par 3 ministres dont celui et, excusez du peu, de la Jeunesse et des Sports… Les «politiques» sont montrés du doigt et impliqués malgré eux…

Il aurait fallu que le chef du gouvernement et que l’Etat réagissent. Ça n’a pas été le cas…

Dans cette affaire, il n’y avait pas de chef, il n’y avait pas d’Etat et l’électroencéphalogramme gouvernemental était plat. Ce n’est plus la Kasbah, c’est l’antichambre de la mort.

On aurait souhaité un gouvernement fort et responsable, récupérant la crise et la dénouant par une action claire et ferme… Ça n’a pas été le cas…

Il aurait fallu, tout simplement, convoquer les différents protagonistes, en présence de leur ministre, des «responsables» de la fédération du football et du bureau fédéral et sommer fermement tout ce beau monde de se tenir à carreau… Mais bon…

Nous retrouvons ainsi tous les éléments qui font conjurer un Titanic politique avec en sus le déshonneur: aveuglement sur la nature du péril, absence de lucidité et de courage, cécité volontaire, silence gêné et surtout grosse indifférence…

En politique le ridicule ne tue pas. Heureusement d’ailleurs. On vient de découvrir que c’est aussi le cas en football.

Et quand c’est aussi flou, c’est qu’il y a un loup…

Jouer en solo :

Pour être honnête, ces faits ne constituent nullement une surprise. Voilà un jeune et brave monsieur, à la carrière météorique, devenu chef de «parti» et «président» d’un club, par un jeu des circonstances et un sympathique clin d’œil de la petite histoire. Qui veut sauver le pays par des bouts de ficelles imaginaires… Et qui, suite à un cruel et furieux don de voyance, a déclaré, depuis quelques temps, que tout serait possible durant son mandat. Il l’a prouvé. Bravo !

En sport, il connait les erreurs à éviter. La preuve, il les a toutes commises…

Il vient de remporter son premier trophée. Au vu de la pantalonnade et de l’inconvenance des faits, c’est un échec sonnant et retentissant. Sa carrière sportive, pour le moment, sent la poudre et le feu. Pour lui, on reste quand même optimiste…

Dans ‘‘L’art de la guerre’’, Sun Zi, grand stratège militaire Chinois du 6e siècle avant J.-C. avait pourtant prévenu: «Ne livre que les batailles que tu peux remporter!».

Danse de l’irrévérence :

Sous Ben Ali, durant une bonne décennie, le sport tunisien a souffert du brigandage et des malversations, pratiqués par Slim Chiboub. Après le 14 janvier 2011, on a eu la vague impression qu’un coup d’un grand vent de sincérité a soufflé sur notre univers politique et donc économique et sportif. Et bien non! Les  pratiques douteuses sont toujours de mise. On à l’image mais pas le son…

Qui a désigné l’arbitre de ce match? Pourquoi un arbitre qui n’a officié qu’une seule fois cette année? Pourquoi personne n’a réagi au niveau du bureau fédéral lorsqu’on a a hurlé au loup? Où est le président de la Fédération tunisienne de football? Pourquoi se terre-t-il? Pourquoi personne n’a réagi au niveau du ministère avant et après le scandale. De qui a-t-on peur? Que nous cache-t-on?

Pourquoi un seul député sur les 217 que compte l’assemblée, en l’occurrence Faycal Khelifa, a-t-il dénoncé la mascarade et demandé des explications? A quoi sert alors un député, un conseiller ou un ministre si ce n’est que pour tapisser les murs des bureaux  et baisser pudiquement le regard devant ces sordides affaires? Est-ce que ces messieurs sont là pour résoudre ou parer à ce genre de crises ou bien pour faire de la figuration et afficher leurs sourires éclatants aux anges sur du papier glacé? Pourquoi se comportent-ils telle une momie à la recherche de sa pyramide? Qui cherche à nous couvrir de boue?

Ça baigne dans l’huile :

Qui est derrière ce curieux aveuglement collectif? Qui a donné l’ordre de substituer Hichem Guirat de l’émission de Mehdi Kattou? Et surtout qui lui a passé un coup de fil lui intimant l’ordre de rebrousser chemin alors qu’il était sur le point de pénétrer à la télévision tunisienne? Qui se moque des Tunisiens en toute impunité et cherche à les défier? Et que va-t-on faire pour les prochaines années? Qui va assumer les dérapages (espérons que non) lors du prochain match de coupe entre ces deux  équipes?

Est-on entré de plain pied dans la civilisation de la liasse sans nous en apercevoir? Pourquoi tous les journalistes sportifs se sont-ils donné le mot pour gommer le penalty de leurs émissions? Qui a donné cette consigne marécageuse? De qui a-t-on la frousse? Qui cherche-t-on à  protéger? Et pourquoi? Que nous réserve-t-il? En vaut-il vraiment la peine?

Si tel est la si déplorable situation du sport tunisien qu’en est-il alors de l’économie, des finances, des banques, du tourisme et de l’énergie, là où l’enjeu notamment financier est à coup de centaines de milliards? Aie, aie, aie… Dans quelles conditions se font alors, les appels d’offres nationales et internationales? Qu’en est-il des hôtels mis en vente pour défaut de paiement et des biens immobiliers de l’ex famille régnante? Qui gère cette montagne de la république souterraine? Et comment? Est-ce vrai qu’aujourd’hui, la morale, c’est la morale du plus riche? Que se passe-t-il dans notre pays? Au vu de ce cirque, peut-on contredire les rares personnes qui affirment qu’il n’y a pas eu de «révolution»?

Est-on aux premières loges d’un véritable Foot-Gate qui va secouer le majestueux et rayonnant cocotier politico-footballistico-affairiste, dernier né de cette fabuleuse «révolution»? Espérons-le…

Enfin qui est capable d’éteindre l’incendie morale et politique, qui nous asphyxie et carbonise en catimini ?

Ils se réveillent?

L’époque est à la vacuité, au brouhaha et aux impudeurs…

L’histoire nous apprend que l’histoire n’apprend rien aux individus pressés «d’arriver»

Ceux qui ont une poussiéreuse conception de l’honneur et des principes refont les mêmes erreurs que leurs prédécesseurs… Tant pis pour les sourds et les aveugles qui ne veulent pas comprendre…

Les élus doivent bien se méfier de l’ivresse des sommets qui endort. Il faut qu’ils  s’arrachent à l’atonie, qui aggrave les doutes et les prépare à une cuisante déroute.

Le 26 janvier 2014, est née la seconde république tunisienne. Son premier gouvernement devait s’occuper de l’emploi, des  réformes, des investissements… Et des dettes souveraines, voilà qu’il s’occupe des dattes du souverain.

Notre histoire contemporaine est devenue une fable où un lion tient sa cour: les animaux de la jungle font cercle en ronronnant, avec un manque de tact réjouissant. Sous d’autres cieux, on aurait eu un déluge de démissions.

Recourir à des stratagèmes apocryphes et illicites, discrédite à tout jamais, politiquement et sportivement, celui qui s’en sert et celui qui en profite.

Comme l’histoire est un éternel recommencement, c’est le temps, notre maitre à tous, qui se chargera de leur donner les leçons nécessaires…

* Pneumo-allergologue.

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