Face l’intransigeance du syndicat de l’enseignement de base, la fermeté tardive du gouvernement n’arrange guère la situation catastrophique de notre enseignement.
Par Mohamed Ridha Bouguerra*
La décision prise jeudi 11 juin 2015 par le ministère de l’Éducation nationale et communiquée, pour plus de solennité, par la présidence du gouvernement, est une décision qui a eu l’effet de la foudre dans de nombreux foyers. On rappelle, pour mémoire, qu’il est question, exceptionnellement cette année, du passage de tous les élèves du primaire d’une classe à l’autre sans examens du troisième trimestre et sans conseil de classe.
C’est là, sans aucun doute, une mesure historique qui entrera, hélas, dans les annales et qui aura d’immenses répercussions sur le plan psychologique essentiellement. On ne fera pas l’injure aux initiateurs officiels de cette mesure en avançant qu’ils n’ont pas prévu toutes les conséquences qui découleraient de cet acte auquel ils ont été acculés suite à l’intransigeance du syndicat de l’enseignement de base et à la rupture des négociations avec l’administration de tutelle.
Une bien tardive fermeté gouvernementale
Il n’empêche que c’est là une décision qui ne pourra qu’aggraver la sinistrose ambiante dans laquelle l’on se débat actuellement. Elle se veut, incontestablement, comme une mesure de fermeté gouvernementale afin d’endiguer la vague de revendications sociales sans précédent qui s’est emparée de tous les secteurs d’activité.
C’est là, néanmoins, une bien tardive fermeté après l’abdication des autorités ministérielles devant les exigences du syndicat de l’enseignement secondaire dont la lutte et le «succès» ont fait des émules, sinon des envieux, décidés à arracher, à leur tour, des avantages similaires à n’importe quel prix. Celui-ci fût-il désastreux, non seulement pour la communauté nationale et ses finances mais, pire encore, pour le prestige, bien écorné, en ce moment, de l’État !
Le choc dans lequel cette annonce a plongé l’opinion publique dans son ensemble, que l’on soit concerné ou non par la mesure en question, découle de la brutale prise de conscience – et l’on pèse ici ses mots – de l’ampleur de la dégradation du sens civique chez nos dirigeants syndicaux, de la coupure de ces derniers d’avec les réalités matérielles dramatiques qui pèsent sur le pays, de l’égoïsme corporatiste dont ils font preuve ainsi que de leur immaturité politique !
De quel sens civique pourrait-on parler, en effet, quand des pédagogues en viennent par leur chantage à porter atteinte à l’aura dont bénéficie tout le corps enseignant depuis l’aube de l’indépendance en raison de l’indéfectible dévouement dont il a jusqu’ici fait preuve pour former les cadres qui ont construit le pays?
De quel sens civique pourrait-on parler quand des pédagogues en viennent, pour des avantages bassement financiers, à prendre en otage le travail de toute une année scolaire, souvent, matériellement fort coûteuse pour la bourse de nombreuses familles?
De quel sens civique pourrait-on parler quand des pédagogues en viennent à ne se soucier que de l’intérêt pécuniaire – «de tous les intérêts, le plus mauvais et le plus vil», selon Rousseau – sans faire entrer en ligne de compte l’impact moral que le boycott des examens aura sur de jeunes enfants à qui l’on ne cesse d’inculquer, à juste titre, le respect des échéances et des examens scolaires?
Réveille-toi, Hached, ils sont vraiment devenus fous !
De quel sens civique pourrait-on parler quand des pédagogues en viennent à menacer leur ministre et, par ricochet, les parents d’élèves, d’une rentrée scolaire chaude en septembre?
De quel sens civique pourrait-on parler quand des pédagogues en viennent ainsi à détourner du secteur public des familles soucieuses de l’avenir de leurs progénitures et à gonfler, par conséquent, les effectifs des écoles privées?
Que vaut la soudaine fermeté du ministre de l’Education nationale Néji Jalloul face au syndicat de l’enseignement de base, après sa capitulation devant celui de l’enseignement secondaire?
De quel sens civique pourrait-on parler quand des pédagogues en viennent donc à approfondir encore davantage le fossé entre les classes sociales du pays en favorisant par leur action syndicale un enseignement à deux vitesses?
De quel sens civique pourrait-on parler quand des pédagogues en viennent à exiger la démission de leur ministre et à sacrifier sur l’autel de l’égoïsme d’un groupe social le chantier de la nécessaire réforme éducative que leur supérieur prône avec l’assentiment de la majorité de l’opinion?
De quel sens civique pourrait-on parler encore quand des pédagogues en viennent par leurs excessives revendications matérielles à sous-estimer les risques de la perte de notre souveraineté nationale en raison de l’ampleur de notre dette colossale vis-à-vis des bailleurs de fonds et autres institutions financières internationales qui ne se préoccupent que des seuls intérêts de leurs actionnaires?
Depuis le 14 janvier, certains se gargarisent à longueur de journées et d’années de soi-disant fidélité aux martyrs et rappellent à tout bout de champ le sacrifice de Farhat Hached. On voudrait leur demander, tout d’abord, d’avoir la décence d’arrêter de faire commerce du souvenir de nos morts. On voudrait leur demander aussi et enfin, si nos martyrs sont disparus afin qu’ils arrondissent, eux, leurs fins de mois!
Réveille-toi, Hached, ils sont vraiment devenus fous !
* Universitaires.
Illustration: Des instituteurs manifestants devant le palais du gouvernement àla Kasbah.
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