Un 1er dialogue national a sauvé la transition politique. Un 2e nous semble nécessaire pour sauver les volets social et économique de cette transition.
Par Moncef Dhambri
Au bout de 2 ou 3 années après la révolution de janvier 2011, l’on s’est rendu compte que «dégager» Zine el-Abidine Ben Ali, tenir une élection libre qui a donné naissance à la Constituante et permis de former une alliance gouvernementale pour diriger les affaires du pays ne suffisaient pas pour résoudre les nombreuses crises postrévolutionnaires. Une première Troïka et une seconde s’y sont essayées… en vain. Le mal de la confusion et de l’islamisme rampant et incompétent a cédé la place au pire de la division, de l’incertitude et de la violence.
Récolter les dividendes de la success story
Souvenons-nous de ces moments où, l’été 2013, la Tunisie, sa révolution et son peuple marchaient sur la tête, où plus rien n’allait et où plus rien n’avait le moindre sens.
Il a fallu, alors, marquer un temps d’arrêt, remettre comme on pouvait tous les compteurs à zéro et puiser dans ce qu’il nous restait comme ressources essentielles pour résoudre nos surplaces, nos essoufflements et nos désillusions, inventer une fois encore notre exception tunisienne et trouver notre aller-de-l’avant – pour ne pas rétrograder, pour ne pas céder à la tentation du retour en arrière.
A la faveur d’une feuille de route élaborée dans le cadre du Dialogue national, la Tunisie a mis hors-jeu Ennahdha et sa Troïka 2, elle a confié les commandes des affaires du pays à une équipe de technocrates et sommé l’Assemblée constituante de boucler au plus vite la rédaction de notre nouvelle Loi fondamentale.
Le chapitre politique de la révolution s’est ainsi achevé avec l’adoption, en janvier 2014, de «la meilleure constitution au monde» (Ben Jaâfar dixit) et la tenue, en octobre et décembre de la même année, des premières élections législatives et présidentielle de la deuxième République de Tunisie.
Le peuple supposait que, cette partie politique ayant été remportée (?), il allait, automatiquement et immédiatement, récolter les dividendes de ses investissements en cette success story du Printemps arabe.
Tout le monde nous applaudissait, tout le monde citait en exemple notre œuvre démocratique, tout le monde nous encourageait à poursuivre… Hors de nos frontières, notre pays et ses nouveaux dirigeants librement élus ont désormais droit à tous les égards, à tous les honneurs, aux plus hautes estimes, voire à des traitements de faveur – les plus récents de ces privilèges étant le statut d’allié majeur non-membre de l’Otan que le président Barack Obama a accordé à la Tunisie et une place distinguée pour le président de la république Béji Caïd Essebsi à la table du G7 de Berlin, en mai dernier.
«La plus jeune démocratie», qui s’est soumise librement à 2 scrutins indépendants et transparents successifs (en 2011 et 2014), a été authentifiée et agréée par les théoriciens des révolutions et reconnue comme telle par le président de la plus ancienne des démocraties au monde, les Etats unis d’Amérique.
Le «chacun-pour-soi» général
Toutes ces distinctions et toutes ces belles paroles, même si elles ont été parfois jointes à quelques gestes concrets qui ont délié les cordons de certaines bourses, ne pouvaient suffire. Depuis plus de 4 années, les prêts et aides qui ont été accordés à notre pays – divers et variés en importances, conditions et origines – n’ont jamais permis de remettre la machine économique tunisienne en marche, ni convaincu les investisseurs nationaux et internationaux de donner raison à ceux qui s’attendaient à ce que les notions de justice sociale et de dignité de l’Homme soient bien plus qu’idéales uniquement et mais qu’elles prennent des formes palpables et quotidiennes.
Nombre de Tunisiens estiment qu’une patience mise à l’épreuve pendant plus 4 ans et des attentes constamment reportées ne devraient plus avoir lieu d’être, aujourd’hui. Ils veulent tout – peut-être même bien plus que tout! – et tout de suite. Ils se soucient peu de ce que le déluge de leurs revendications implique pour la bonne marche des affaires du pays et la relance de l’activité économique. Aveuglés par un opportunisme malsain qui leur fait croire que c’est «maintenant ou jamais» d’arracher droits, avantages, faveurs et autres privilèges.
Par ces temps du «chacun-pour-soi», les hautes valeurs du sacrifice pour la bonne cause nationale, de l’effort supplémentaire pour le sauvetage de la révolution ou du don de soi pour préparer un meilleur avenir aux générations futures, tous ces nobles principes souffrent terriblement en Tunisie de l’an 2015.
Par ces temps de tous les égoïsmes, de tous les corporatismes, de toutes les myopies et de tous les intérêts étriqués, l’on s’offusque que le chef du gouvernement Habib Essid déclare clairement son intention d’appliquer la règle logique «du non-paiement de service non-rendu.» L’on prend ombrage parmi certains syndicalistes et autres populistes opportunistes lorsqu’on leur explique que le droit de grève – garanti par la Constitution et que nul ne peut contester – doit admettre qu’une suspension de travail décidée par l’employé suppose que ce dernier, en lançant son action, ne doit pas s’attendre à ce qu’il soit rémunéré pour une journée qu’il a librement décidé de chômer.
La mesure totale vs le petit bricolage
Bref, nous sommes une nouvelle fois à la croisée des chemins et nous devons décider, de toute urgence, ce que nous souhaitons vraiment «faire» de notre révolution: soit lui donner les chances entières qu’elle mérite; soit lui accorder quelques petits soutiens et concocter quelques soins palliatifs qui ne serviront qu’à prolonger sa survie, mais ne garantiront jamais son véritable sursaut et son sauvetage définitif; ou tout simplement l’abandonner…
Nous écartons le dernier scénario, car aucun Tunisien digne de sa nationalité, j’ose croire, ne revendiquerait pareille tournure des évènements.
Procédons encore par élimination: entre la ferme détermination, la mesure totale et le soutien inconditionnel, d’une part, et les petits bricolages, rafistolages et réparations de fortune, d’autre part, j’estime que la première option s’impose de toute évidence – ou devrait s’imposer à tous ceux qui croient toujours qu’il existe une chance pour donner un sens plein à la success story tunisienne.
C’est autour de ce dénominateur commun le plus large qu’un dialogue national économique et social devra réunir le gouvernement, les institutions élues, les partis politiques, les organisations nationales et les associations de la société civile. Cette conférence nationale, outre le mérite qu’elle aura de réunir tous ceux qui de près ou de loin peuvent influencer le processus de la prise de décision, elle placera toutes ces représentations face à leurs responsabilités – non seulement en les écoutant et en tenant compte de leurs avis et suggestions, mais également en leur faisant clairement comprendre que la feuille de route, qui émanera de cette conférence, exigera le respect total de ceux qui la signeront.
Ce dialogue national sera également l’occasion d’apporter au gouvernement de M. Essid nettement bien plus que le soutien de quatre formations politiques représentées à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et la caution de la présidence de la République.
Il comblera aussi certaines lacunes programmatiques de l’actuelle équipe gouvernementale, définira les étapes de son travail et établira à sa place les priorités pour chaque station.
Et il dissipera cette impression que le successeur de Mehdi Jomaa est lui aussi «mollement ferme».
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