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Les terroristes en Tunisie: Comment agissent-ils et comment les combattre?

L’auteur propose une analyse objective de la situation sécuritaire en Tunisie et tire des enseignements utiles pour améliorer la lutte contre le terrorisme.

Par Mohamed Nafti*

En avril 2013, des spécialistes du renseignement stratégique ont procédé à l’analyse de l’environnement géostratégique de la Tunisie pour conclure que les terroristes s’apprêtaient à bâtir un émirat islamique au mont Chambi. Il fallait agir rapidement. L’armée s’est déployée d’urgence dans cette région avec pour mission d’occuper les lieux et de chasser les intrus. Chose faite, le drapeau tunisien est hissé sur le point culminant à 1.544 mètres.

Le 29 avril 2013, les terroristes ont ouvert les hostilités. Une mine a explosé au passage d’un véhicule militaire. Le résultat n’a pas été très grave: des blessés et un véhicule endommagé.

Une menace grandissante

Depuis, les actes terroristes vont se succéder. Après deux ans, le mont Chambi est entre de bonnes mains, l’émirat n’a pas été établi. Les terroristes frappent et plongent dans la nature environnante comme un poisson dans l’eau. La menace est toujours présente et le terrorisme continue de frapper en Tunisie. Les pertes en vies humaines sur le sol tunisien ne cessent de s’accroitre, l’impact sur l’économie est lourd de conséquences. Aucune mesure concrète n’a pu jusqu’à ce jour  éradiquer cette menace grandissante.

Malgré les efforts consentis par les forces de sécurité en menant des actions préventives dans le but de déjouer les plans des terroristes et qui se sont soldés maintes fois par des succès  et malgré la vigilance des unités militaires sur les frontières pour contrôler  les mouvements des hommes  et la circulation illégale de marchandises prohibées, le terrorisme sévit encore et d’une manière plus inquiétante.

On pourrait dire que la situation est sous contrôle, que des progrès respectables ont été accomplis par les forces de sécurité. On invoquera le manque de personnel et l’argent nécessaire pour doter les forces armées et les forces de sécurité d’équipements nécessaires pour améliorer leur prestation sur le terrain. Quelqu’un de bonne foi dira que la raison pourrait être la méconnaissance de notre ennemi. «Connaissez l’ennemi et connaissez vous-même, en cent batailles vous ne courrez aucun danger».

Aujourd’hui, il est urgent de faire une analyse objective de la situation sécuritaire du pays et tirer les enseignements utiles pour améliorer l’action de lutte contre le terrorisme. Chacun dans son domaine pourrait faire une After Action Review  (AAR) et tirer les conclusions nécessaires pour la suite de son action.

D’habitude l’analyse commence par une étude de l’environnement géopolitique et finit par une analyse tactique. Différents responsables se penchent sur ce processus et la majorité du temps ils ne travaillent pas ensemble. En outre, ce processus sert à une étude qui précède l’action. Elle reste toujours subjective. Une AAR est une analyse inverse. Elle partira de l’action tactique et orientera l’opératif et le stratégique. En d’autres termes elle est une aide à la vérification ou à l’évaluation de l’étude qui a été élaborée en amont. Et enfin ce travail s’intéresse seulement à l’analyse des actes terroristes qui ont visé les forces armées en  exploitant les sources ouvertes.

1- Synthèse des événements:

On partira des faits. C’est une synthèse des actes terroristes; ce qui a été planifié et exécuté et non ce que les terroristes ont subi comme actions de la part des forces de sécurité et des forces armées. Le but est d’essayer de comprendre leur intention et leurs objectifs.

Operations-terroristes-en-Tunisie

2- Analyse de la situation

* Niveau tactique :

– 2013 : Les terroristes ont mené toutes leurs actions durant la période estivale de mai à juillet au Mont Chambi. Au cours de ces actions, ils ont toujours utilisé des mines anti-char pour faire subir des pertes aux unités militaires. Une seule fois, les terroristes ont embusqué une patrouille militaire et ont exterminé la totalité de ses membres. C’est le 17e jour du mois de ramadan.

– 2014 : Le même scénario se répète avec une extension de zone d’action aux montagnes du Kef. Utilisation des mines et une embuscade dans chaque zone. Une embuscade à la même date, le 17e jour du mois de ramadan. Toutes les actions menées dans la région du Kef se situent au mois de juillet. Il est possible que ce soit la même cellule terroriste qui a changé de zone d’action.

– 2015 : Changement du mode opératoire : toutes les actions ont été menées dans les villes. Deux objectifs gardés par la garde nationale (GN) et 2 objectifs civils. Les touristes sont visés. L’Etat islamique (Daêch) a revendiqué l’attaque menée sur les objectifs civils. Les terroristes qui ont mené les attaques contre les touristes pourraient être isolés lors de l’attaque et ont évité les civils tunisiens.

– Conclusion : Les terroristes ont mené des actions d’usure à l’encontre des unités militaires en les attirant dans un milieu naturel difficile, les obligeant à un déploiement de longue durée et ne leur donnant aucune occasion pour les combattre. Le but est de les «frustrer» pour briser la volonté de combat des soldats. On a pu voir que les terroristes ont toujours attaqué des cibles faiblement protégées. C’est une règle. A partir du moment où ils ont constaté que les militaires sont plus vigilants et mieux protégés ils ont changé de mode opératoire.

* Niveau opératif :

Il est difficile de distinguer le mode opératoire à ce niveau du conflit asymétrique. Mais il est toujours possible d’imaginer un «centre de gravité» de l’ennemi. Est-ce que son commandement est rétabli après le coup de maitre de la garde nationale à Sidi Aich? Si 9 grosses têtes ont été éliminées c’est un coup dur pour les terroristes et il est assez difficile de s’en remettre. Est-ce que leurs moyens de communication, qui permettent de coordonner leurs activités et assurer leur sécurité et leur logistique, sont fiables? Mais leur soutien à l’intérieur du pays reste le plus important. Une partie de la population dans certaines villes leur est acquise et leurs «parrains» ne doivent pas y manquer.

Le changement de cibles dans les villes est-il une nouvelle orientation qui vise à satisfaire des objectifs stratégiques? S’attaquer au tourisme pourrait faire très mal à l’économie du pays. Les actes terroristes du Bardo et de Sousse ne sont pas gratuits. Les assaillants, qui agissent en loups isolés, ne seraient pas en mesure de choisir des cibles aussi sensibles.

* Niveau stratégique :

Quel est l’objectif stratégique des terroristes? «Conquérir la Tunisie hérétique» pourrait être la finalité de leur lutte. Dans ce cas, ils devraient mener en parallèle une action d’information et de propagande pour gagner le soutien de la population et préparer une insurrection. Cet objectif n’est pas réalisable dans le court terme. Mais l’objectif pourrait être conçu en vue de «créer les conditions favorables pour déstabiliser l’Etat en mettant à genoux son économie, nuire à la paix social et favoriser une prise de pouvoir avec l’aide d’un courant politique déterminé».

On pourrait alors s’attendre à la prochaine cible, pilier de l’économie, qui pourrait être  le transport aérien civil. Et si la production de phosphates continuera à fonctionner au ralenti, la situation va s’empirer.

3- Propositions :

Ce ne sont que des rappels à la vigilance :

* une vigilance accrue des forces armées et de sécurité au mois de ramadan et surtout le 17 pour éviter d’être surpris mais surtout pour réagir de  manière efficace;

* des mesures exceptionnelles pour protéger les installations hôtelières: le souci permanent est de procéder à un travail de renseignement continu pour donner un préavis suffisant aux sentinelles et aux agents de sécurité;

* une vigilance sur le réseau de transport aérien est nécessaire;

* il reste les deux piliers de notre sécurité nationale: la Diplomatie et le secteur de l’information qu’il importe d’exploiter au maximum pour se prémunir des agressions étrangères.

* Général retraité.

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