La ligne de protection que la Tunisie érige sur ses frontières avec la Libye empêchera les infiltrations et les agressions extérieures de tous genres.
Par Mohamed Nafti*
Dans la hiérarchie des besoins de Maslow, le besoin de protection ou de sécurité vient après les besoins physiologiques (nourriture, vêtements, rémunération…). Se protéger contre un danger est tout à fait naturel et légitime. Edifier une ligne de protection à nos frontières, pour interdire aux terroristes de s’infiltrer dans notre pays pour commettre des exactions et semer le désordre («fassad»), est un acte de légitime défense. On ne l’appellera pas mur ni muraille ni même ligne de défense mais tout simplement une ligne de protection.
Cette ligne que la Tunisie s’active à ériger sur les frontières avec la Libye sera longue de près de 250 km et sera prête, dans sa première étape, fin 2015. Ces travaux de protection seront prolongés dans un deuxième temps jusqu’à Borj El-Khadra au point triangulaire de la frontière commune entre la Tunisie, la Libye et l’Algérie. Au total, la ligne de protection sera édifiée sur une distance de près de 500km.
C’est tout ce qui a filtré de la conception de cet ouvrage de protection. Les responsables politiques au gouvernement n’ont pas donné de détails sur le sujet. Encore une fois ce manque de communication au public pour lui expliquer les objectifs et les avantages de cette action a laissé libre cours à la critique de certains opposants et d’une partie de la population des régions proches de la dite ligne de protection des frontières. La critique est aussi acerbe de la part d’un courant politique libyen (les islamistes de Fajr Libya, Ndlr). Certains responsables tunisiens se montrent de fervents défenseurs du «mur» et le considèrent comme un acte de souveraineté, d’autres tempèrent et notent que les barrières seront provisoires.
Il est de notre droit de renforcer les mesures visant à protéger nos frontières, notre territoire et notre population de tous les dangers qui nous guettent. Néanmoins, il est souhaitable que ces mesures soient inscrites dans le cadre du respect de nos voisins (qui ne sont pas nos ennemis).
Ce papier est une opinion sur la justification et la légitimité de cet ouvrage de protection des frontières et une approche sur sa conception. Le but est de contribuer à une meilleure explication pour un public désireux de mieux comprendre ce sujet pour mieux le juger et le soutenir.
1- Définitions :
Quelques définitions brèves se référant au dictionnaire sont utiles pour comprendre les termes utilisés dans les pages qui suivent.
* Obstacle : ce qui arrête ou ralentit le mouvement des véhicules.
* Fossé : fosse creusée en long pour la défense d’une place. Le terme est aussi utilisé dans le combat anti-char. Le «fossé anti-char» est conçu pour bloquer la mobilité de l’ennemi ou la progression des véhicules. Leur largeur doit être de 3m en moyenne. Quant à la profondeur 2 m suffisent.
* Remblai : masse de terre rapportée pour élever un terrain. Elle peut former un obstacle au mouvement des véhicules si la hauteur et la pente sont importantes.
* Tranchée : c’est un fossé étroit et long.
* Barrière : c’est un obstacle mobile.
* Barrage : par extension le terme définit un obstacle sur une route.
* Champ de mines : zone de terrain (ou de mer) sur laquelle on a placé des mines pour bloquer ou ralentir le mouvement.
* Mur : ouvrage destiné à séparer deux zones dans un souci de protection.
* Muraille : se distingue du mur par la hauteur et la longueur qui sont plus importantes.
* Obstacle naturel : œuvre de la nature tel que rivière ou montagne ou falaise.
* Ligne de défense : fortification édifiée autour d’une agglomération pour sa défense. Elle désigne aussi ligne de fortifications militaires qui s’appuient sur un obstacle naturel. La Ligne Mareth au sud tunisien durant la seconde guerre mondiale, la Ligne Barlev sur le canal Suez.
* Incursion : invasion d’un groupe armé très mobile dans un territoire ennemi pour une courte durée pour exécuter un raid ou un coup de main.
* Mur d’obstacle : terme utilisé dans le sport hippique.
2- Justification :
Il est utile de porter au minimum trois justifications pour concevoir une approche objective des mesures entreprises pour le renforcement de la sécurité des frontières.
* Légitimité : la Tunisie, pays souverain, a tout le droit de renforcer la sécurité de ses frontières pour se prémunir des dangers qu’elle encourt. Protéger son territoire, ses institutions et sa population relève de la légitimité. Edifier des travaux sur son territoire pour s’opposer aux exactions des terroristes est un acte de souveraineté qui relève de la légitime défense.
* Dénomination : la Tunisie s’est toujours engagée à agir dans un cadre de respect mutuel avec ses voisins. Tout ce qui pourrait leur porter préjudice ou les «gêner» ou même réveiller leur susceptibilité est à revoir ou à discuter.
* Mur : si le terme «mur» est par définition une séparation, il doit être écarté car ce n’est pas de cette façon qu’on réussira à édifier l’Union du Maghreb arabe (UMA).
* Barrières : elles sont provisoires pour nous et pour le voisin. Un jour, elles fourniront un prétexte pour créer une mésentente. Le terme utilisé par un responsable politique (ministre de la Défense en l’occurrence, Ndlr) ne parait pas rassurant pour l’avenir.
* Ligne de défense : elle implique des mesures contre un ennemi qui est plus fort que nous. Le voisin ne l’est pas jusqu’à ce jour. Il est préférable d’ignorer ce terme. Et on ne peut pas être dans la défensive contre les terroristes.
* Ligne de protection : même si le terme n’est pas courant dans la littérature militaire, il justifie au mieux ce que nous voulons édifier. La protection est un besoin légitime. Nous nous protégeons sur notre territoire. Aux juristes de fignoler le reste.
* Moyens : on parle ici des moyens humains mobilisés et l’armement lourd qui sera mis en place sur les frontières. Ceci mérite une «discussion» entre les deux pays voisins. Le rayon d’action d’un radar terrestre implanté sur les frontières influe sur la sécurité du voisin. La portée d’une arme lourde fera de même. Ceci pourrait être discuté ou négocié et faire l’objet d’un «mémorandum d’entente».
3- Thèse du gouvernement :
* Le chef du gouvernement a annoncé que «la construction d’un mur de protection à la frontière, de Ras Jedir à Dhehiba qui servira de barrage contre toute incursion de terroristes et de contrebandiers… ce mur sera accolé d’un fossé qui servira d’obstacle particulièrement pour les véhicules des trafiquants». Et d’ajouter que «l’armée a procédé à l’édification d’obstacles naturels par des dunes de sable et une tranchée large de 3 mètres. Ce travail étant jugé insuffisant pour décourager terroristes et contrebandiers».
* Le terme «protection» utilisé à juste titre par le chef du gouvernement est la meilleure dénomination des travaux entrepris sur les frontières. Par contre le terme «mur» pourrait être troqué par «ligne». Au lieu de «mur de protection» on utilisera «ligne de protection».
* Le terme «barrage» est nécessaire mais insuffisant car les barrages sont placés sur les axes de communication (pistes et routes). Or les contrebandiers se déplacent en tout terrain.
* Le terme «incursion» mérite une attention particulière. Il fait allusion à la nouvelle menace des groupes armés (terroristes) qui pourraient monter des attaques limitées dans le temps et l’espace et visant des objectifs à l’intérieur du territoire national et s’exfiltrer après leur coup.
* La notion d’«incursion» ne s’applique pas aux trafiquants et aux contrebandiers. On pourrait utiliser le terme «passage illégal à travers la frontière».
4- Objectif :
Un objectif clair favorise une meilleure conception de l’opération. L’objectif est le premier principe de la guerre. Le commandement militaire aura la tâche facile si l’objectif est formulé d’une manière précise par les autorités politiques.
On pourrait prétendre que les objectifs de la ligne de protection seraient :
* empêcher les infiltrations de tout genre : éléments voulant franchir la frontière de façon illégale, armés ou non armés, contrebandiers, trafiquants de drogue;
* s’opposer à toute agression d’éléments terroristes visant la violation des frontières nationales et/ou la mise en danger des institutions ou des points sensibles sur le territoire nationale.
5- Exécution :
Le commandement militaire, fort des orientations de l’autorité politique sera en mesure de concevoir un plan d’action qui répond aux objectifs énumérés. Il n’est pas raisonnable d’étaler ce domaine qui nécessite autant de discrétion et qui est l’œuvre exclusive des responsables militaires. Le seul point important sur lequel il faut insister pour faciliter l’exécution c’est d’élaborer les règles d’engagement sur le terrain. Les consignes de tir sur les éléments qui menacent nos unités, les tirs de sommation et surtout les éléments douteux devront être très claires et rédigées.
6- Discussion :
Quelques points méritent une attention particulière.
* La ligne de protection ne sera efficace que si elle est élaborée sur la base d’une étude synthétique du terrain, de l’ennemi et de la météo. Tantôt le terrain facilite la mise en œuvre d’un obstacle tantôt il présente des contraintes qu’il va falloir prendre en considération. Une étude de l’adversaire concernant ses modes d’action traditionnels n’est pas suffisante, il faut prévoir ses comportements face aux nouveaux obstacles. Enfin, la météo est parfois capricieuse au Sahara surtout durant la saison du printemps.
* La mer n’est pas à exclure de la ligne de protection. Si la frontière terrestre est assez hermétique, les contrebandiers s’adapteront aux nouvelles voies de communication disponible : les voies maritimes.
* Dans le même esprit, d’autres malintentionnés essayeront certainement de contourner la ligne au sud de Dhehiba. Aussi, n’est-ce un secret pour personne que les infrastructures pétrolières se situent dans cette zone. C’est pourquoi il serait sage d’étendre la ligne au plutôt jusqu’à Borj El-Khadhra.
* Au sud de Dhehiba, la zone est sous le contrôle de l’armée et n’abrite aucune présence de citoyens civils. L’emploi des mines pour interdire certains passages de la frontière serait plus facile et dissuadera les hors la loi. Et même si l’ONU interdit ce mode d’action, la sécurité du pays n’a pas de prix.
* La ligne de protection sur les frontières n’implique pas la mise en œuvre des obstacles sur un tracé parallèle à la frontière et à égale distance. L’étude du terrain dictera en grande partie le tracé. Il est aussi nécessaire d’attribuer à la ligne de protection une certaine profondeur pour permettre la mise en place des éléments d’intervention et de réserves.
* La ligne de protection sera compartimentée en zones d’action.
* Les éléments placés sur le devant de la ligne serviront de guet et de sonnettes d’alarme en premier lieu. Les éléments de réserve seront orientés vers l’intervention dans les zones d’action respectives.
* Il est aussi nécessaire d’agir en économie de forces. La ligne demandera beaucoup de moyens. Il est préférable d’utiliser les moyens de détection et de surveillance électronique pour compenser le déficit des moyens humains.
On dit que les murs de protection, ou lignes comme on voudrait les appeler, répondent généralement à trois caractéristiques: ils sont édifiés autour d’une grande agglomération, sont d’une longueur courte et leur coût de réalisation est exorbitant. Notre ligne de protection des frontières n’obéit à aucune de ces caractéristiques. Edifiée en grande partie dans le désert, longue telle une muraille et nous voulons la bâtir avec le moindre coût. Mais elle sera efficace.
* Général retraité.
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