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Démocratie tunisienne, un laborieux exercice d’équilibrisme

Caid-Essebsi-armee

Pour préserver la seule démocratie au monde arabe, le gouvernement tunisien devrait lever l’état d’urgence et réviser la nouvelle loi antiterroriste.

Par le Comité de rédaction du New York Times*

De tous les soulèvements du Printemps arabe, la Tunisie demeure indéniablement le seul pays à avoir mené à bien sa transition vers la démocratie. Cette réussite reste d’autant plus remarquable que la Tunisie a connu plusieurs décennies de dictature et qu’elle est à présent confrontée à des défis sérieux que pose un environnement régional déchiré par l’instabilité politique et menacé par l’Etat islamique (EI, Daêch) et Al-Qaida.

Face à la menace terroriste

Ces groupes extrémistes ont clairement exprimé leur détermination – avec leurs recrutements acharnés de jeunes Tunisiens désabusés et marginaux et leurs incessantes attaques sans scrupules contre les forces de l’ordre tunisiennes et les touristes étrangers – qu’ils ne reculeront devant rien pour mettre à mal la démocratie tunisienne naissante.

Cependant, il est tout à fait regrettable de constater que les récentes mesures prises par le Président Béji Caïd Essebsi, pour faire face à cette menace terroriste, peuvent, elles aussi, compromettre la démocratie en Tunisie. En effet, le 4 juillet dernier, M. Caïd Essebsi a instauré une nouvelle fois l’état d’urgence dans le pays, suspendant ainsi certaines libertés individuelles et collectives et accordant aux forces de l’ordre et à l’armée tunisiennes des pouvoirs d’exception.

Le 31 juillet, au lendemain de l’adoption par l’Assemblée des représentants du peuple d’une nouvelle loi antiterroriste, M. Caïd Essebsi a prolongé la durée de cet état d’urgence de deux autres mois. Evidemment, ces décisions n’ont pas manqué de susciter l’inquiétude de nombreux Tunisiens, qui craignent qu’il y ait là régression de leur pays vers les méthodes répressives du passé.

La nouvelle loi antiterroriste suspend un certain nombre de droits fondamentaux garantis par la Constitution du pays et fait fi de certaines normes internationales relatives aux droits humains. Elle criminalise, par exemple, le «dénigrement» des forces de police et de sécurité et inflige de lourdes peines pour les révélations faites sur «les secrets liés à la sécurité nationale.» La loi exonère aussi les forces de sécurité de toute responsabilité pénale dans l’accomplissement de leurs missions et dans leur usage de la force mortelle – même lorsqu’aucune vie n’est en danger – et autorise la police à garder en détention des personnes suspectes jusqu’à 15 jours, aggravant ainsi les risques de violation des droits de l’Homme. L’Association tunisienne de lutte contre la torture enquête actuellement sur près de 70 cas présumés de tortures qui ont été portés à sa connaissance.

Un juste équilibre entre la sécurité et la liberté

Cette réaction disproportionnée à la menace terroriste pourrait, donc, accroître encore plus la polarisation de la société tunisienne et aggraver le désenchantement vécu par la jeunesse tunisienne. En effet, quelque 5500 Tunisiens ont déjà rejoint les rangs de groupes extrémistes en Syrie et en Libye.

La Tunisie est loin d’être la seule démocratie au monde qui s’échine à trouver un juste équilibre entre la sécurité et la liberté – tant s’en faut. Toutefois, les institutions démocratiques tunisiennes viennent à peine de naître. Le gouvernement de M. Caïd Essebsi devrait lever au plus vite l’état d’urgence et réviser la nouvelle loi antiterroriste.
En dernière analyse, le meilleur rempart contre les forces qui cherchent à mettre à terre la Tunisie demeure une défense plus solide des libertés démocratiques pour lesquelles les citoyens tunisiens ont consenti des efforts considérables.

Traduit de l’anglais par Moncef Dhambri

Source : ‘‘New York Times’’.

*Le Comité de rédaction du ‘New York Times’ (‘NYT’) est composé de 19 journalistes aux compétences et spécialistes étendues et variées. La première responsabilité de ces «penseurs» du quotidien américain consiste à rédiger l’éditorial du ‘NYT’, qui représente le point de vue de l’équipe éditoriale, le rédacteur-en-chef et le directeur du journal.

**Le titre et les intertitres sont de la rédaction.

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