Face à la crise qui frappe de plein fouet leur secteur, les professionnels du tourisme ont-ils le droit de se morfondre dans le pessimisme et le désespoir?
Par Wajdi Msaed
Il faut dire que les attaques terroristes contre le musée du Bardo (le 18 mars) et l’hôtel Riu Impérial Marhaba de Sousse (le 26 juin) ont eu de graves répercussions sur le tourisme et toutes les activités dépendant de ce secteur vital de l’économie tunisienne.
Absence de visibilité pour l’arrière saison
Tous les opérateurs se plaignent de la crise du secteur et énumèrent les difficultés qu’ils rencontrent : départs massifs des touristes déjà sur place et annulation des réservations pour les touristes qui ont programmé des séjours en Tunisie, suite aux instructions des gouvernements européens et notamment ceux de Grande-Bretagne et de Belgique, qui ont conseillé à leurs ressortissants de ne pas se rendre en Tunisie. Après la déprogrammation des vols en direction de la Tunisie par les principaux tours opérateurs européens, beaucoup d’établissements hôteliers se sont trouvés dans l’obligation de fermer leurs portes en espérant des jours meilleurs, ou de tourner au ralenti ou encore de lorgner vers les clients locaux ou maghrébins, notamment algériens.
Malgré le pessimisme ambiant et la crainte de voir de nombreuses sociétés étrangères opérant sur la destination Tunisie quitter notre pays pour aller s’implanter ailleurs, Afif Kchok, président de l’Observatoire tunisien du tourisme (OTT), veut encore croire que l’espoir est permis. Et pour cause: «Le taux d’occupation est actuellement très satisfaisant, grâce à une grande affluence de la clientèle tunisienne mais aussi étrangère, plus précisément algérienne», explique-t-il. Il s’empresse cependant de tempérer son optimisme.
«Cette situation se poursuivra jusqu’à la fin août, mais à partir de cette date, il n’y aura aucune visibilité pour la prochaine étape qui semble encore incertaine», ajoute Afif Kchok, qui prévoit la fermeture de 80% des hôtels à partir de septembre prochain et le départ d’autres sociétés étrangères gérant des hôtels en Tunisie.
Première moitié d’août, dans un hôtel situé au coeur de la station balnéaire de Monastir, un établissement de renommée d’une capacité d’accueil de 2.500 lits et d’une superficie de 17 ha : beaux paysages naturels, infrastructure hôtelière de qualité (piscines à ciel ouvert et couverte, toboggans, aires de loisirs et de distraction), un personnel qualifié et hospitalier, un service de niveau acceptable… Enfin, tout ce qu’un vacancier souhaite trouver pour passer un séjour agréable.
Habituellement, à pareille période de l’année, l’hôtel affiche presque complet : 90% de ses clients sont européens, principalement britanniques, mais aussi allemands et des pays de l’Europe de l’Est et les 10% restant sont Tunisiens et Algériens. Pour la haute saison 2015, l’affluence a beaucoup régressé et ces taux se sont renversés. Pas plus d’une centaine de touristes étrangers, en majorité français, tchèques, russes et polonais. Mais pas un seul britannique. Le gros de la clientèle est constitué de Tunisiens et d’Algériens. En plein été, le nombre total de pax dépasse difficilement le millier.
Le tourisme intérieur : un palliatif
«Le tourisme intérieur a aidé à combler le vide et nous a permis d’atteindre, certaines journées, jusqu’à 65% de notre capacité d’accueil», explique le directeur de l’hôtel. Reste que le coeur n’y est pas et l’atmosphère dans tous les compartiments de l’établissement est maussade. Dans les restaurants, locaux commerciaux et autres boutiques d’artisanat, les employés ont le sourire forcé et le regard fuyant, qui traduisent un sentiment d’amertume et une crainte de l’avenir.
«Dommage pour notre tourisme et pour notre pays. Nous ressentons une grande peine de voir un secteur qui fut florissant péricliter si rapidement devant nos yeux jour après jour», confie un chef de rang. «Il est malheureux aussi de voir des pays amis s’empresser d’interdire à leurs ressortissants de visiter notre beau pays», ajoute-t-il. Une touriste française partage cet avis: «Rien ne justifie cette décision abusive, surtout que les attaques terroristes, qui ont touché auparavant plusieurs pays européens, y compris la Grande-Bretagne et la France, n’épargnent aujourd’hui aucun pays. Nous ne sommes nulle part en sécurité, mais nous n’allons rester enfermés chez nous», dit-elle.
«On a visité plusieurs régions et sites touristiques en Tunisie. Nous avons certes constaté d’importants dispositifs sécuritaires partout où nous étions, mais tout nous a paru calme. Les gens sont moins joyeux que d’habitude, mais toujours aussi paisible et accueillant. Rien n’incite vraiment à l’inquiétude et à l’affolement», souligne la jeune dame, venue en vacances avec son époux et ses deux enfants.
Un touriste russe sur une chaise roulante, accompagné de toute sa famille, déclare dans un anglais approximatif: «J’ai passé un agréable séjour dans ce beau pays. J’en suis très content. J’y retournerai quelles que soient les conditions», confie-t-il.
«Les touristes européens vont commencer à revenir en Tunisie à partir de septembre», lâchent des agents de l’hôtel, exprimant davantage un espoir qu’une réelle conviction. Il espèrent voir leur établissement retrouver sa dynamique d’avant et réintégrer leurs collègues mis au chômage forcé avec le départ des premiers contingents de touristes anglais, fin juin dernier, juste après l’attaque de Sousse.
Cet espoir est nourri par les rares bonnes nouvelles publiées par certains médias étrangers à propos d’une possible reprise des flux touristiques vers la Tunisie. Tel cet article du quotidien du soir britannique ‘‘Express & Star’’ annonçant le maintien par certains voyagistes britanniques des réservations sur la Tunisie sur leurs sites internet, enfreignant ainsi à la décision du Foreign Office et proposant des séjours à des tarifs très alléchants, ne dépassant pas 180 livres sterling (l’équivalent de 550 dinars, billet d’avion compris).
Une culture touristique à développer
Pour revenir au tourisme intérieur, il ne suffit pas de souligner le rôle grandissant qu’il pourrait jouer dans le soutien et le développement de l’industrie touristique tunisienne. D’autant que les tarifs appliqués à cette clientèle, même en période de crise, restent au-dessus des moyens de la classe moyenne, dont le pouvoir d’achat est en constante dégradation.
Les hôteliers ont certes été soulagés de voir des clients tunisiens et algériens combler le vide laissé par le forfait de leurs clients européens habituels, mais ils ne se privent pas de se plaindre du comportement de certains de ces clients, pas toujours facile à satisfaire et qui dégradent parfois les équipements.
«Le tourisme est une culture et cette culture n’a commencé à se développer chez les Tunisiens que depuis une dizaine d’années», a expliqué un agent, comme pour justifier le comportement décalé de certains clients locaux. Son collègue a apporté un autre éclairage : «L’industrie touristique tunisienne a été conçue, dès le début, en tenant compte des besoins du client européen. Il va falloir l’adapter à ceux du client maghrébin en général et tunisien en particulier», a-t-il renchéri.
Quand on voit des femmes se baigner à la piscine en maillot «halal» (ou maillot Kangourou anti-hygiène), des plats archipleins non consommés finissant dans les poubelles, des enfants et des adolescents provoquant l’anarchie dans tous les compartiments de l’hôtel, et d’autres phénomènes incompatibles avec la culture touristique, on comprend les réserves de certains de nos hôteliers vis-à-vis du tourisme intérieur et on mesure le chemin qui reste à faire pour réconcilier les Tunisiens avec leur industrie touristique.
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