Outre les caprices du climat, l’ogre de l’endettement et la voracité des intermédiaires, les agriculteurs font face aussi aux voleurs de fruits et de bétail.
Par Abderrahman Jerraya*
L’on entend rarement parler des agriculteurs. Pourtant tout un chacun voit tous les jours et en toute saison, le fruit de leur labeur garnir les étals des marchés et qui fait le régal et le bonheur des consommateurs.
A quelques exceptions près, ces producteurs de l’ombre travaillent dans la discrétion la plus totale, du lever au coucher du soleil, prenant soin de leurs bêtes et entretenant leurs cultures. Sans se plaindre des conditions de vie qui est la leur et qui est loin de tout repos.
Le maillon faible
En effet, les difficultés auxquelles ils sont confrontés au quotidien ne manquent pas, loin s’en faut. Non seulement, ils doivent composer avec dame nature qui ne fait qu’à sa guise, alternant allègrement pluviosité généreuse et sécheresse redoutée. Ils doivent aussi faire face aux affres du surendettement, et de la voracité des intermédiaires peu scrupuleux tant en amont avec les vendeurs d’intrants (semences sélectionnées, bio fertilisants, pesticides) qu’en aval avec les distributeurs.
Dans ce combat où ils constituent le maillon faible, ils laissent souvent des plumes. Il leur arrive cependant d’exprimer leur colère, leur mécontentement, leur ras-le-bol, en laissant pourrir sur place leur production ou la jetant sur la voie publique (tomate, pomme de terre, oignon ou lait). Puis, après de vagues promesses, ils retournent à leurs champs, étables, poulaillers comme si de rien n’était. C’est dire que les problèmes qu’ils n’ont de cesse d’endurer ne date pas d’aujourd’hui. Ils sont d’ordre structurel. Aussi pénalisants soient-ils, nos agriculteurs ont appris à vivre avec, à s’en accommoder.
Le jeu du chat et de la souris
Mais la goutte qui risque de faire déborder le vase est de toute autre nature. Il s’agit rien de moins que d’actes de vandalisme qui ciblent essentiellement les producteurs de fruits et les éleveurs de bétail. Bien que ce type de vol ne soit pas nouveau, il a tendance à prendre de l’ampleur après la révolution.
Face au déficit d’autorité qui s’en est suivi, les producteurs sont en première ligne, leurs biens étant particulièrement difficiles à mettre sous clé, à l’abri des délinquants de tous acabits. Ils vivent dans l’insécurité totale, dans l’angoisse permanente d’être volés, d’être dépossédés d’une partie, voire de la totalité de leurs récoltes ou cheptel, s’agissant de leur gagne-pain.
Lorsque les produits volés sont des fruits (pomme, oranges, amandes…), ils peuvent être exposés pour la vente, sur le bord du trottoir attenant à l’exploitation, au nez et à la barbe du propriétaire. Celui-ci porte souvent plainte auprès du siège de la garde nationale le plus proche. Peine perdue! Les services de sécurité ont, semble-t-il, trop de chats à fouetter pour diligenter une enquête auprès de ces jeunes délinquants qui agissent au vu et au su de tout le monde. Quoi faire? A défaut d’une association dont les membres se relaient la nuit pour monter la garde et assurer la protection de leurs biens comme c’est le cas sous d’autres cieux, nos agriculteurs confient cette tâche à des gardiens dont l’effet de dissuasion est loin d’être satisfaisant. Alors s’instaure entre les protagonistes un jeu s’apparentant à celui du chat et de la souris. Excédé, le gardien finit au mieux par alerter le propriétaire et au pire à abandonner la partie. Dans un cas comme dans l’autre, l’agriculteur se voit délesté d’une partie plus ou moins importante de sa récolte.
Voilà le cauchemar que vivent certains producteurs et éleveurs de bétail surtout ceux dont la malchance est d’avoir une exploitation agricole à quelques encablures d’une cité populaire. Si cet état d’impunité perdure, il est à craindre que certains d’entre eux ne finissent, la mort dans l’âme, par transformer leurs propriétés en jachère ou par changer de métier et c’est toute la communauté nationale qui en serait perdante!
* Universitaire.
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