Dans son film scandale ‘‘Much Loved’’, le Marocain Nabil Ayouch a voulu mettre la société arabe face à l’un de ses tabous : la prostitution.
Par Fawz Ben Ali
Interdit de projection au Maroc et source de grosse polémique dans ce pays, la Tunisie est le premier pays arabe à diffuser le film marocain ‘‘Much Loved’’ de Nabil Ayouch, dans le cadre des 26e Journées cinématographiques de Carthage, clôturé samedi dernier. Mieux, ce film, qui a figuré dans la compétition officielle de la section «long-métrage fiction», a remporté le Prix du Jury. Un beau geste contre la censure, prouvant encore une fois que la Tunisie a fait des pas de géant en matière de liberté d’expression et de respect de l’art.
Une longue file devant le guichet du Colisée.
A guichet fermé
Le jour de la projection de ‘‘Much Loved’’, un afflux énorme et inhabituel de spectateurs s’est rassemblé dès 9 heures devant la salle Le Colisée pour acheter les tickets du film, dont la projection n’était prévue qu’à 16 heures. Précédé par les échos de la polémique qu’il a provoquée sur l’opportunité d’évoquer le phénomène de la prostitution dans un pays musulman, le film événement a affiché complet dès le matin.
Présent à la salle Le Colisée pour présenter son film, le réalisateur était, on l’imagine, ému devant un aussi grand public (1.800 spectateurs). Il a tenu à remercier Ibrahim Letaïef et l’ensemble de l’équipe des JCC qui lui ont permis de diffuser ‘‘Much Loved’’ pour la première fois dans un pays arabe.
Nabil Ayouch: «La société refuse de se voir en face.»
Né d’un père marocain et d’une mère franco-tunisienne, Nabil Ayouch a fait ses premiers pas dans le cinéma avec trois courts-métrages (‘‘Vendeur de silence’’, ‘‘Hertzienne connexion’’ et ‘‘Les pierres bleues du désert’’) primés dans divers festivals internationaux. Il s’est ensuite lancé dans la réalisation de longs-métrages dont ‘‘Mektoub’’ et ‘‘Ali Zaoua prince de la rue’’ qui lui ont valu de nombreux prix et deux présélections aux Oscars.
En 2015, il couronne sa série de films à succès avec ‘‘Much Loved’’ qui crée la plus grande polémique dans l’histoire du cinéma marocain. En choisissant un sujet tabou tel que la prostitution, Nabil Ayouch savait que son audace lui couterait cher surtout avec des scènes assez osées du quotidien de prostituées marocaines.
Malgré une sélection au Festival de Cannes 2015 et des prix dans des festivals internationaux (Valois d’Or et Valois de la meilleure actrice pour Loubna Abidar au Festival du film francophone d’Angoulême 1015 et le Bayar d’Or de la meilleure comédienne également pour Loubna Abidar au Festival international du film francophone de Namur 2015), ‘‘Much Loved’’ est interdit de projection au Maroc, jugé comme portant atteinte aux valeurs du royaume et à l’image de la femme marocaine.
Quatre femmes pour une polémique
Nabil Ayouch dit être victime «d’une campagne d’hystérie collective» allant jusqu’aux menaces de morts à son encontre et à celle des actrices du film. D’ailleurs, Loubna Abidar, actrice principale, a été victime, deux semaines avant le coup d’envoi des JCC, d’une agression physique à Casablanca, suite à laquelle les autorités policières ont refusé d’enregistrer sa plainte et les hôpitaux de lui ouvrir leurs portes.
Le réalisateur dénonce l’hypocrisie sociale.
Nabil Ayouch explique la censure et la violente polémique qui ont accompagné son film par le refus de la société de se voir en face.
La prostitution existe bel et bien au Maroc, tout le monde le sait mais personne ne veut en parler. D’où l’intention du réalisateur, qui, loin de vouloir nuire à l’image du Maroc, a souhaité lever le voile sur un problème social omniprésent dans son pays et dans tout le monde arabe.
A travers l’histoire de quatre jeunes femmes (Noha, Souhaïna, Randa et Halima) vivant à Marrakech, Nabil Ayouch donne chair au tabou de la prostitution. Il nous dépeint le combat quotidien des «filles de joie» pour survivre, les raisons qui les ont poussées à vendre leur corps, mais surtout l’hypocrisie de la société dite «conservatrice» qui les condamne tout en les utilisant, que ce soit les flics corrompus, les familles qui les rejettent mais prennent leur argent «sale», ou les hommes riches des pays du Golfe soi-disant «pieux», qui dépensent des fortunes au cours de soirées arrosées d’alcool et voué à l’amour tarifé.
Seules contre tous, marginalisées mais dignes, ces jeunes femmes payent le prix fort du mépris et de l’humiliation pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs proches tout en rêvant à un futur meilleur où elles n’ont plus à vendre leurs corps. Prostituées, oui, elles sont, presque à leur insu, mais elles sont aussi des femmes avec un grand coeur, qui luttent et qui rêvent.
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