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Faut-il supprimer le ministère du Tourisme ?

Selma-Elloumi-Rekik

La ministre du Tourisme, Selma Elloumi Rekik va chercher les touristes jusqu’en Chine.

S’il y a bien, en Tunisie, un ministère à supprimer c’est bien celui du tourisme, devenu une source de dépenses inutiles et de gâchis public.

Par Yassine Essid

10.000 touristes par-ci, 5000 touristes par-là. Des chiffres étalés comme un tableau de chasse par une ministre qui ne sait plus quoi faire et nous plus trop quoi penser.

Il y a quelque chose de pathétique chez cette dame, jadis sévère dignitaire qui avait pour fonction de veiller sur la gestion des biens d’un parti politique qui sera bientôt une mémoire morte.

On a rarement vu ministre responsable d’un secteur jusque-là prospère et insouciant se démener avec une verve aussi désolante, affichant sans retenue sa satisfaction tout en perdant son temps et notre argent pour des broutilles.

Un secteur attiré par le fond

Pour venir au secours d’un secteur moribond, quoi de mieux que l’évasion, vivre en vraie touriste, en personne en état de loisirs qui dispose de tout son temps et des moyens pour payer ses déplacements. Alors elle voyage, visite un pays après l’autre, entreprend des démarches futiles, signe des accords creux et  finit par se noyer entre le nombre croissant des hôtels qui ferment, le poids excessif des emplois perdus, le nombre des touristes qui débarquent au compte-gouttes et les vaines promesses de gains futurs des partenariats signés avec les gouvernements étrangers. Mais que ne ferait-on pas pour conserver son poste à la tête d’un secteur qui n’a pas cessé d’afficher une croissance continue, florissante même et qui se retrouve brutalement exposé au risque des attentats et de l’insécurité. Alors le peu d’industriels du tourisme qui résistent nagent péniblement avant d’être à leur tour attirés par le fond.

Qui pourrait motiver ces 10.000 visiteurs inattendus et apparemment peu exigeants à venir en Tunisie «à l’insu de leur plein gré»? On sait tous que les principales raisons pour lesquelles les Chinois voyagent c’est pour essentiellement pour visiter les pays d’Occident qui leur  furent longtemps fermés en se procurant au passage des produits de luxe réputés pour leur qualité et leur authenticité. Il est même question de «folie du shopping» des Chinois en  Europe, aux Etats-Unis et au Japon: vêtements, sacs, cosmétiques, montres, alcools, ont beaucoup de valeur à leurs yeux et permettent aux plus jeunes d’entre eux d’affirmer leur statut social et leur succès.

Chercher les touristes jusqu’en Chine

Chaque pays visité est également réputé pour ses paysages, ses terroirs, son raffinement, sa gastronomie, ses musées et sa culture. En revanche on trouve plus grand-chose en Tunisie. L’univers de la création artisanale, du savoir-faire local, de l’éthique professionnelle et de la qualité n’y sont plus des critères importants et ont quasiment disparu. C’est plutôt des produits de contrefaçon fabriqués en Chine, et qui inondent notre marché, que le visiteur chinois  risque de se voir proposer.

On voit donc difficilement ce qui pourrait les inciter à venir et s’enthousiasmer à l’idée de visiter un pays qui vit l’état d’urgence permanent, et dans lequel des attentats terroristes ont coûté, cette année, la vie à plus d’une cinquantaine de touristes étrangers.

Ces visiteurs Chinois mandatés par leur Etat craignent-ils moins la mort que les Européens? Possèdent-ils la faculté de résister à tout? Sont-ils si indifférents au malheur? C’est que dans leur culture on n’a pas à se réjouir de la vie, comme on n’a pas à se sentir contrarié par la mort. Celle-ci n’est qu’un processus naturel régi par une loi objective qui fait que personne ne peut fuir la mort quels que soient les efforts qu’il puisse déployer.

Des «commandos» de touristes iraniens

Quant à l’Iran, qui s’est engagé à son tour par un accord dûment signé et paraphé à nous livrer des volontaires qui viendront en touristes alors que leurs concitoyens meurent en Syrie, ils seraient à leur tour insoucieux des vicissitudes de l’avenir et rempliront nos hôtels en pensant à autre chose qu’à la mort, comme celle qui a fait 464 victimes parmi les pèlerins iraniens  lors de la bousculade de la Mecque. Mais quelle que soit l’appréhension qu’ils aient envers la manière dont on meurt, le fait de la mort reste pour eux un fait certain. Car lorsqu’on arrive d’un pays où les distractions sont rares, la mixité impitoyablement réglementée, l’existence des merveilles dans un monde qui leur reste interdit et qu’on aspire avidement à une liberté qui leur est déniée, risquer sa vie en voyageant devient alors tout à fait relatif.

Laissons de côté les effets du terrorisme sur cette activité et passons aux atouts qu’un pays de tourisme est appelé à offrir aux visiteurs étrangers. Jusque-là notre marché était essentiellement composé d’une clientèle à dominante européenne, accessoirement algérienne, sans oublier les Tunisiens de l’étranger. Sauf que toute culture vit d’échanges, c’est-à-dire de différences. Et plus les ressources échangées sont homogénéisées, moins les curieux se pressent au portail. La planétarisation des techniques et des marchés, qui a véhiculé des rationalités à prétention universelle, a aussi produit une uniformisation des modes de vie. Alors les vraies destinations se doivent d’exprimer la nostalgie de paysages perdus, de l’ailleurs, de nouveaux espaces d’échanges et l’aspiration à des formes de vie qui ne soient  pas laminées par l’uniformité du marché.

Il ne faut pas s’étonner dès lors, attentats ou pas, que le tourisme ne soit pas isolable des autres phénomènes : l’emploi, les qualités des prestations, la salubrité publique, la protection des ressources naturelles, la privatisation massive du territoire littoral, les espaces le plus souvent coupés des populations locales et les hôtels aux tarifs bradés pour la clientèle étrangère mais qui restent dissuasifs pour les gens du pays souvent ignorés et méprisés en temps de prospérité mais outrageusement sollicités en temps de crise. N’oublions pas enfin les recettes générées par cette industrie dont une bonne partie ne profite pas au pays.

Nous savons tous, y compris les bureaucrates du ministère, que le point faible de ce secteur est  sa sensibilité à l’insécurité, qu’elle soit réellement justifiée ou plus irrationnelle consécutive à la médiatisation des évènements géopolitiques internationaux. Le sentiment de sécurité éprouvé par les  touristes étrangers est donc un préalable indispensable à la survie de cette activité.

Un avenir incertain

La Tunisie, dont l’image s’est considérablement dégradée bien avant les attentats, se voit pâtir désormais d’une profonde et insurmontable défiance qui risque, à terme, de placer le pays hors champ touristique.

Par ailleurs, Chinois, Japonais, Russes, Italiens ou Espagnols figurent parmi la clientèle la plus frileuse. Il serait donc plus raisonnable de ne pas trop compter sur nos «amis» Chinois, Iraniens ou Russes pour ranimer cette activité. De même qu’on a rarement vu des gouvernements inciter leurs nationaux à aller visiter un pays plutôt qu’un autre. Alors faute de mieux, les techniques marketings vont bientôt carburer à plein régime proposant les forfaits vacances en ciblant, contraints et forcés, la clientèle tunisienne.

Au vu de ces éléments et l’avenir incertain d’un secteur attentif à la qualité de vie et à la sécurité, il serait grand temps de mettre fin à la mascarade de la relance par une ministre qui vit dans le déni de réalité et ne cherche qu’à justifier l’impuissance. Le Premier ministre s’est engagé à rétrécir son prochain gouvernement. S’il y avait bien un ministère à supprimer c’est bien celui du tourisme, devenu une source de dépenses inutiles et de gâchis public. Ses différentes prérogatives seraient alors confiées à des opérateurs privés, missionnés par l’Etat. Certes, cela  nous ferait une chômeuse en plus, mais ça aurait le mérite du bons sens et de la rationalité.

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