L’union entre Nidaa Tounes et Ennahdha est un désastre incommensurable pour les progressistes tunisiens, qui doivent changer de stratégie et de terrain de lutte.
Par Karim Abdellatif*
Moi qui ai voté blanc aux dernières élections – c’était bien par conviction et non une quelconque lubie passagère –, je m’abstiendrai de donner des leçons à mes amis de gauche qui ont voté pour Nidaa Tounes sans adhérer le moins du monde à son programme libéral, mais uniquement pour faire barrage à l’islam politique, que certains d’entre eux considéraient comme la pire menace pour notre nation.
Je ne serai pas sarcastique car nous sommes bien sur le même radeau… Je ne dis pas que l’union Nidaa Tounes-Ennahdha qui se profile à l’horizon était prévisible. Cependant l’accès au pouvoir de Nidaa Tounes représentait déjà pour moi, en tant que socialiste, un désastre incommensurable.
Le piège du «libéral-islamisme»
Tunisiens de gauche, vous avez perdu la bataille des urnes ! Si dans un avenir lointain, vous espérez remporter quelques victoires, vous devrez changer, et votre stratégie et votre terrain de lutte!
Il faudrait à mon sens, miser sur l’éducation et la culture, seuls moyens de faire prendre conscience à nos compatriotes que la religion et le libéralisme économique (alliés dans notre pays) ne résoudront pas tous les problèmes sociaux. Quand des gens de condition pauvre ou moyenne pensent réellement que le «libéral-islamisme» apportera plus d’équité et de justice sociales, il y a bien un dysfonctionnement dans leur façon de penser.
Si de «petits» ou de «grands bourgeois» soutiennent un programme libéral, c’est après tout cohérent. Ce courant politique est celui qui sert le mieux leurs intérêts. Mais quand dans un quartier populaire, un père ou une mère de famille qui ne peuvent pas acheter de la viande à leurs enfants, qui n’ont pas de voiture et qui ont des difficultés à «terminer le mois» pensent que Ennahdha ou un parti comme Nidaa Tounes, leur viendra en aide, je dirais qu’il y a comme un «couac».
Le but des «libéraux-islamistes» est de promouvoir la liberté d’entreprise sans se soucier véritablement de la redistribution des richesses. Pour les libéraux purs, c’est la possibilité de créer des entreprises en payant le moins de taxes et d’impôts qui prime; les plus extrêmes d’entre eux souhaitent même à terme un effacement de l’interventionnisme étatique.
L’islamiste Rached Ghannouchi, star du congrès des libéraux de Nidaa Tounes, le 9 janvier 2016, à Sousse.
Les islamistes misent sur la durée
Quant aux islamistes, ils voudraient conformer la société tunisienne à leur vision de l’islam. Mais s’ils ont momentanément renoncé à appliquer la charia, ils entendent bien remodeler un jour la Tunisie à leur guise. Leur stratégie comporte des buts à atteindre à court, à moyen et à long termes. Ce qui leur importe actuellement, c’est de ne pas être écartés du centre névralgique et décisionnel du pays afin de continuer à diffuser leurs idées dans les différents milieux de la Tunisie. Ils savent bien que dans dix ou vingt ans, un équilibre social sera trouvé. Enfin, nous l’espérons tous. Or au cours des années à venir, ils entendent bien «marquer le plus de buts» possibles et faire le plus d’avancées.
Les libéraux acceptent volontiers de «vendre leurs âmes au diable» tant que les intérêts économiques des classes dirigeantes ne sont pas menacés. L’islam politique n’a quant à lui aucun grief contre le projet économique libéral; la preuve en est la visite de leaders d’Ennahdha à la Bourse de Tunis juste après la proclamation des résultats de l’élection de l’Assemblée nationale constituante (ANC) en 2011.
La gauche doit changer de méthode
La vision politique de la «Gauche» est généralement basée sur la quête d’une plus grande «justice sociale» et sur la mise en avant d’idéaux progressistes. La «Gauche tunisienne» a une longue histoire en Tunisie. Elle a même joué par moments un rôle déterminant dans la vie du pays, mais elle est actuellement bien «mal-en-point». Pour lui redonner de la vigueur, il faudrait promouvoir les notions de «redistribution des richesses», d’égalité et de tolérance. Tout cela viendra je l’espère des militants de gauche et des intellectuels, artistes et enseignants qui partagent cette conception du «vivre ensemble».
«Quand il est évident que ton objectif est inatteignable, ne change pas d’objectif, change ta manière de l’atteindre», disait Confucius.
* Résident en chirurgie orthopédique.
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