La stratégie nationale de l’économie numérique fait du surplace à cause du manque d’engagement des pouvoirs publics, estiment les opérateurs du secteur.
Par Wajdi Msaed
La Fédération nationale des technologies de l’information et de la communication (FNTIC) relevant de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica) a déploré, lors d’une conférence de presse, vendredi 4 mars 2016, la réticence manifestée par les pouvoirs publics à mettre en œuvre la stratégie nationale relative à l’économie numérique.
Sonnette d’alarme
«Nous tirons la sonnette d’alarme parce que deux ans après avoir adopté le programme national stratégique ‘‘Tunisie Digitale 2018’’, le gouvernement n’a rien fait pour le mettre en oeuvre et on arrive à une phase de grande déception», a déclaré Kais Sellami, président de la FNTIC. «Pas de grands projets, beaucoup de populisme», a-t-il lancé, avec une grande amertume, et de s’interroger : «Où sont-ils passés les grands projets qui vont créer de l’emploi pour nos jeunes?»
Déplorant la passivité du Conseil supérieur de l’économie numérique, dont les réunions sont censées être trimestrielles et qui ne s’est pas réuni depuis une longue date, M. Sellami a précisé que la stratégie nationale élaborée sur la base du partenariat public-privé prévoit la création de 80.000 emplois sur 5 ans et la réalisation par le gouvernement de 60 projets qui tardent encore à voir le jour, dont celui relatif à la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam), malgré l’engagement exprimé par plusieurs entreprises
Les emplois perdus
Dans le cadre de «Tunisie Digitale 2018», l’Etat s’est engagé à réaliser des projets stratégiques dans plusieurs domaines (infrastructure, e-gov, e-business, e-tourisme, e-santé, e-transport, off-shoring, innovation technologique…), a rappelé le président de la FNTIC, qui a regretté le nombre d’emplois qui n’ont pas été créés suite à la non réalisation de ces projets inscrits dans le cadre des missions confiées à Smart Tunisia et qui doivent permettre à la Tunisie de renforcer sa position dans le secteur des nouvelles technologies de l’information sur le plan international.
«Les résultats de ce projet sont proches de zéro, deux ans après sa création», a estimé M. Sellami. «Certes, plusieurs dizaines de contrat d’off-shoring seront signés, mais la machine de Smart Tunisia n’avance pas assez rapidement à cause des problèmes logistiques et des entraves administratives», a encore souligné le président de la FNTIC. Il semble, par ailleurs, que l’équipe mise à la tête de cette entreprise est très limitée pour pouvoir assurer la prospection client à l’international.
Avec les moyens matériels et humains dont elle dispose, Smart Tunisia ne peut être la vitrine de l’économie numérique en Tunisie ni aider à transformer notre pays en un hub numérique régional, surtout lorsque cette entreprise, publique en l’occurrence, se voit refuser une demande d’appel d’offres pour recruter une agence de communication et marketing qui l’aiderait à mieux communiquer à l’international.
Le haut débit par fibre optique
Taoufik Halila, vice-président de la FNTIC, a évoqué, de son côté, le projet national d’infrastructure haut débit, qui consiste à couvrir l’ensemble du territoire de fibre optique en remplacement des câbles en cuivre, et qui est financé à concurrence de 80% par le secteur privé. Il a déploré, lui aussi, le «manque d’engagement de la part des opérateurs téléphoniques présents sur le marché tunisien qui sont censés être les véritables moteurs de développement du secteur».
Eu égard à la part minime devant revenir à la partie tunisienne du montant global des investissements alloués à ces projets, le vice-président de la FNTIC a tenu à signaler que «des concessions imposées aux entreprises de télécommunication étrangères au moment de la signature des contrats auraient été bénéfiques dans la mesure où on aurait imposé aux investisseurs des compensations en termes de software, de fournisseurs d’équipements et de solutions, ou encore de la sous-traitance»
«Cette action aurait pu donner un excellent moyen de pression pour l’Etat tunisien afin de booster l’emploi et la productivité des jeunes», a expliqué Taoufik Halila, en soulignant la nécessité de «demander à la partie étrangère de consacrer ne serait-ce que 20% de ses investissements dans des projets à réaliser en Tunisie».
Le numérique est notre salut
«Nous devons tenir bon et faire pression pour la mise en ouvre de la stratégie nationale numérique et révéler les obstacles entravant sa bonne marche», a renchéri Karim Ahres, membre du bureau fédéral de la FNTIC., qui a ajouté : «Le numérique est notre salut pour résoudre les problèmes du commerce parallèle, celui de la gestion et de la consommation des médicaments dans les hôpitaux et les problèmes de tous les jours dans nos administrations».
Déplorant le grand retard dans la réalisation de certains projets tel celui relatif au e-tourisme, qui aurait dû démarrer le 3 mars courant et qui demeure encore au niveau de l’étude, Karim Ahres a regretté, encore une fois, les milliers de postes d’emploi qui sont en train d’échapper à nos jeunes en raison de la réalisation des projets programmés.
Khalil Zahouani, membre de la Chambre nationale des sociétés de services et d’ingénierie informatique (Infotica), s’est plaint, lui aussi, de la situation prévalant dans le secteur numérique qui, au lieu d’avancer, est «en train de reculer et faire perdre à nos jeunes de grandes opportunités». «C’est vraiment déplorable, a-t-il ajouté, notre pays investit beaucoup dans les ressources humaines, qui sont ensuite confiées à des pays étrangers, qui les utilisent pour créer de la valeur et de la richesse».
Peut-on se rattraper? «Oui, affirme en conclusion Kais Sellami, si on ne se rattrape pas dans une première phase, on peut le faire dans d’autres, à condition de faire du numérique une culture et d’être capable d’assurer la bonne gouvernance».
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