Entretien, hier soir, de Béji Caïd Essebsi sur la chaîne Al-Wataniya 1.
La proposition du président Caïd Essebsi de constituer un gouvernement d’union nationale est morte au moment même où elle était exprimée.
Par Ridha Kéfi
D’abord, la proposition faite par le président de la république de constituer un gouvernement d’union nationale n’est pas nouvelle. Elle reprend une revendication déjà exprimée par l’opposition, et notamment par Samir Ettaieb, secrétaire général d’Al-Massar, qui a appelé à un gouvernement de salut national.
Les mots et les choses
En changeant les mots, on ne change pas forcément le contenu, les deux propositions étant parties du même constat d’échec du gouvernement en place depuis janvier 2015 dans pratiquement toutes les missions qui lui ont été confiées : la situation sécuritaire a connu des hauts et des bas, et d’ailleurs plus de bas que de hauts; les mouvements sociaux se poursuivent dans pratiquement toutes les régions et tous les secteurs; la relance économique espérée tarde à se dessiner; et, last but not least, l’Etat a encore du mal à imposer le droit et à faire respecter la loi.
Le gouvernement conduit par Habib Essid, un commis de l’Etat sans réel soutien politique et manquant cruellement d’autorité et de charisme, hésite, tergiverse, recule face aux obstacles et continue de faire du surplace, ne sachant où donner de la tête et, en guise de réalisations, se contente d’effets d’annonces sans lendemain.
Béji Caïd Essebsi n’a pas manqué de faire ce constat d’échec, à demi-mot certes, mais le verdict est sans appel : un gouvernement n’est pas fait pour durer ad vitam aeternam, dira-t-il. Celui d’Essid a fait ce qu’il a pu, autant dire pas grand-chose, et avec les moyens dont il dispose, et il n’a pas beaucoup fait. En tout cas, le chef de l’Etat semble avoir épuisé la confiance qu’il avait en un Premier ministre qu’il avait lui-même choisi et dont il a défendu jusqu’ici le bilan pour le moins mitigé.
A défaut donc de pouvoir changer la situation générale dans le pays, le changement de gouvernement s’est imposé à M. Caïd Essebsi comme une nécessité, une urgence ou une sorte de coup de poker, comme le ferait le président d’un club, au terme d’une série de défaites, en changeant de coach, escomptant une relance à la faveur d’un choc psychologique que cela provoquerait parmi les joueurs.
L’UGTT dit non
Coup de poker menteur, car, en soulignant la nécessité de faire participer les deux grandes organisations nationales, l’UGTT et l’Utica en l’occurrence, au gouvernement d’union nationale qu’il appelle de ses vœux, le chef de l’Etat sait que la centrale syndicale n’accepterait pas d’y participer au risque de se voir enchaînée et prise entre deux exigences irréconciliables : être solidaire d’un gouvernement obligé de prendre des mesures très impopulaires et défendre les intérêts de ses membres auxquels ces mesures risquent de porter atteinte.
D’ailleurs, la réaction de la centrale syndicale n’a pas tardé, puisque sentant le piège, son niet a été aussi rapide que catégorique et définitif. De là à dire que la proposition de constitution d’un gouvernement d’union nationale est morte au moment même où elle était exprimée…
Dans sa volonté d’intéresser l’UGTT à sa proposition, le président de la république a commis, par ailleurs, une grande imprudence voire une grave erreur: il a indiqué que la centrale syndicale pourrait proposer des noms pour les ministères de l’Education et de la Santé, laissant ainsi entendre qu’il était prêt à lâcher, et c’est le cas de le dire, les deux membres les plus populaires du gouvernement, en l’occurrence Néji Jalloul et Saïd Aïdi, dont les réformes rencontrent de vives résistances de la part des syndicats.
On imagine que M. Caïd Essebsi – qui, à 90 ans, semble déjà postuler à sa propre succession, à la présidentielle de 2019 – soit pressé de se débarrasser de ces deux dirigeants de Nidaa Tounes qui montent dans les sondages (le pouvoir ça fait tourner les têtes les mieux faites!), mais cette manoeuvre politicienne n’est pas exempte de danger, car elle pourrait, au final, avoir un effet pervers, en démobilisant un gouvernement qui se sent lâché par tous, y compris par le chef de l’Etat.
Si on voulait aggraver une situation déjà largement compromise, on ne se serait pas comporté autrement…
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