Ce n’est pas avec des nominations de complaisance que le gouvernement va réussir à désamorcer la bombe du système de sécurité sociale, qui a besoin d’une refonte profonde.
Par : Kamel Essoussi *
Le système de sécurité sociale est en pleine bourrasque. C’est même la débandade. Ballotté par les querelles politiques, phagocyté par l’absence de centre de décision, miné par la léthargie et l’incompétence de ceux qui président à ses destinées, le système se meurt, malade de ses finances et de sa gouvernance. Tous s’accordent à dire qu’il a besoin d’être au plus vite revu de fond en comble pour éviter que toute la bâtisse ne tombe sur la tête de tous.
Des nominations partisanes pour un programme de réformes inexistant
Et alors que l’on s’attendait à ce que l’UGTT et le gouvernement arrêtent leurs disputes de commères à propos de cette petite réformette stérile du recul de l’âge de la retraite, simple comprimé d’aspirine qu’on veut administrer à un grabataire qu’ils savent atteint de cancer du poumon, et proposent un vrai programme des réformes, les voilà qu’ils nous annoncent des nominations, aussi inattendues qu’incongrues. On vire tous les anciens Pdg des caisses, plus enclins à subir et obéir qu’à gérer ou imposer, et on met subitement aux commandes une nouvelle flopée d’illustres profanes dans cette galère de la protection sociale techniquement pointue, financièrement budgétivore et politiquement casse gueule.
C’est un peu comme si vous renvoyiez un chef chantier qui vous a ruiné à force de vouloir plaire aux ouvriers pour recruter à sa place un apprenti maçon que vous chargez de vous refaire le plan béton et de sauver de l’effondrement votre bâtisse qui craquelle de toutes parts.
Pour une sécurité sociale qui exige, impérativement et tout de suite, une maîtrise immédiate et parfaite de tous ses mécanismes de fonctionnement et des politiques qui la sous-tendent, une forte réactivité, une force de proposition innovante, une prise à bras-le-corps de ses problèmes et un courage à gueuler pour les solutionner et les imposer sans penser à son fauteuil tournant, ces nominations, récompenses de complaisance, sont un renvoi aux calendes grecques des réformes et, peut être, leur enterrement.
Un coup dur aussi aux deux plus illustres institutions qui composent le système de sécurité de sécurité sociale, la CNRPS et la CNSS – à la tête desquelles on a préféré encore une fois ces éternels profils d’énarques formatés à la seule gouvernance sous dictature, affidés d’un parti politique peut être fort mais à l’inexpérience avérée et gravement nuisible à la gestion saine et efficiente de la chose publique.
Non ça ne peut plus durer de la sorte. Les nominations à ces postes très sensibles et pour un secteur aussi fragile, et qui brasse annuellement des milliers de millions de dinars annuels, n’aurait pas dû être opérées aussi hâtivement et de façon si arbitraire, tant que la feuille de route n’est pas prête, tant que le programme des réformes n’est pas arrêté dans ses grandes lignes. Car c’est à la lumière de ce qu’on envisage pour les caisses et leurs régimes que les profils adéquats auraient dû être décelés pour diriger ces mastodontes financiers aux pieds d’argile.
Une esquisse du programme de réforme pour des nominations mieux ciblées
En fait, deux maîtres mots, deux grands axes autour duquel s’articulent la feuille de route, la stratégie à adopter qui a pour finalité une plus grande justice sociale et sur laquelle l’UGTT, l’Utica et le gouvernement ne peuvent qu’être d’accord: bancariser les mécanismes de fonctionnement et réformer en profondeur le contenu, les politiques et les régimes de la protection sociale. Les profils des dirigeants appelés à la barre n’en seront que plus clairs.
– Bancariser ne signifie nullement privatiser ou commercialiser les prestations sociales. C’est simplement ne pas avoir le couteau sous la gorge le 21 de chaque mois et se sentir obligé de débourser au profit des banques 300 millions de dinars pour la CNRPS par exemple. C’est garder sa trésorerie provisionnée et surtout lui permettre de souffler, l’enrichir et la fructifier en placements. Bancariser reviendrait aussi de ce fait à doter les assurés sociaux de comptes courants bancaires ouverts auprès des caisses en imaginant de leur faire payer moins de frais de compte, moins de taxes sur les virements et les retraits, plus de souplesse dans l’obtention des prêts sociaux déjà octroyés et moins d’intérêts conséquents à casquer.
Bancariser c’est en définitive instaurer en parallèle à la gestion sociale des régimes, une gestion bancaire. C’est savoir garder ses sous dans des caisses qui seraient désormais des banques assurances sociales.
Qui donc mieux qu’un banquier, un financier à l’état pur pour doter les caisses au plus vite de distributeurs de billets, de nouvelles procédures et de quelques réadaptations tout en autorisations et en facilités pour des produits bancaires nouveaux qu’on aurait auparavant auréolés du caractère social via quelques petites circulaires et quelques textes réglementaires ? De jeunes cadres travaillent depuis des années sur cette bancarisation revendiquée même par l’UGTT et ils pourraient fortement aider.
Universaliser le contenu de la sécurité sociale c’est, en gros, répondre aux recommandations du BIT de 2012 par l’institution d’un filet de protection sociale de base, un socle minimum à déterminer au profit de tous les citoyens résidents à la «Beveridge» financé par le biais de l’impôt. C’est aussi garder en deuxième palier le système actuel contributif des travailleurs en le rationalisant davantage et c’est lui superposer un troisième palier d’assurance facultatif assurantiel pour les plus nantis permettant de dégager une épargne. L’UGTT ne saurait s’y opposer là aussi quand universaliser rime avec réformer pour plus de justice sociale à travers une meilleure redistribution des ressources en fonction des besoins de toute la population résidente.
Il est évident que seul un jeune cadre de l’une des boîtes au parfum des techniques et des politiques de sécurité sociale et rompu aux études actuarielles pourrait très vite constituer les équipes, le comité de pilotage et s’atteler le mieux à entamer ces études, en calculer l’impact financier, leur faisabilité pratique et établir le chronogramme de sa réalisation et de sa mise en pratique. Ce profil existe aussi et le banquier appelé à la rescousse saura le dénicher !
C’était en définitive au gouvernement, volonté politique, qu’incombe la lourde tâche de désamorcer la poudrière protection sociale pour lui insuffler une dose d’universalité et l’asseoir sur des bases plus justes d’une gestion en partie bancarisée.
Manifestement, les dernières nominations des Pdg des caisses ne répondent pas à ces contraintes mais semblent motivées par d’autres considérations.
Circulez ! L’heure n’est pas à la réforme mais à garder la main mise sur le secteur et ses hauts cadres.
* Consultant.
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