Habib Essid et Béji Caïd Essebsi: de la friture sur la ligne.
Après avoir fait naître l’espoir chez les Tunisiens, Béji Caïd Essebsi (BCE) serait-il en train de le briser, à l’insu de son plein gré.
Par Salah El-Gharbi
A Carthage, le ballet des «consultations» autour de l’initiative du chef de l’Etat pour la constitution d’un gouvernement d’union nationale se poursuit activement. Et les hommes politiques de tous bords, qui vont à la rencontre du président de la république, BCE, vont, chacun, de son propre diagnostic et des remèdes qui iraient avec.
Le départ d’Essid n’est pas la solution
L’attente est grande. Hormis l’actuel chef de gouvernement, qui a du mal à dissimuler son amertume et qui refuse d’offrir sa démission sur un plateau, les leaders des différentes formations politiques profitent de cette opportunité pour gagner en visibilité, renforcer leur position (Ennahdha), sortir de l’isolement dans lequel ils se sont confinés (le Front populaire) sans pour autant que tout ce monde soit intimement convaincu que le départ d’Essid puisse sauver le pays du marasme socio-économique dans lequel il patauge. Pour tous, l’initiative présidentielle ne serait en fait qu’un simple coup de poker voire un jeu de dupes.
Certes, en soi, l’exécutif, incarné par Habib Essid, reste déficient et n’est plus à la hauteur des défis qu’un pays comme le nôtre se devait de relever, un pays qui souffre aussi bien de la brumeuse gestion de la période Ben Ali, que de la gabegie de la période post-«révolution», dans un contexte international difficile.
Toutefois, et même si ce constat que tout le monde partage serait probant, le procès qu’on fait à l’actuel chef de gouvernement demeure trop sévère, voire injuste.
Ainsi, certains se demandent si, en focalisant toute l’attention sur Essid, BCE ne se mettait à l’abri de toute critique à l’égard de sa gestion de crise de Nidaa Tounes, laquelle continue à peser lourdement sur la vie politique du pays. Autrement dit, en sacrifiant Essid, que fait BCE sinon chercher à nous faire oublier les carences de sa propre politique? Ce n’est pas en changeant de fusible qu’on se prémunit contre la possibilité de se retrouver dans l’obscurité.
Ainsi, faute de faire le bon diagnostic, le président risquerait d’accentuer encore la crise au lieu de la résoudre. D’une part, une fois le nouveau chef de gouvernement choisi, cela va certainement créer des frustrations parmi les prétendants à ce poste, mais aussi parmi les formations, qui, en dehors de l’actuelle coalition gouvernementale (Nidaa, Ennahdha, UPL et Afek), attendent d’y participer. D’autre part, il donne l’occasion à Ennahdha de monnayer au prix fort son adhésion à la prochaine équipe gouvernementale. Déjà, son président, le cheikh Rached Ghannouchi, ne cesse de prévenir : «Nous devons avoir une place qui correspond à notre poids au sein de l’Assemblée», en l’occurrence, avoir un nombre conséquent de portefeuilles ministériels.
Depuis le début du quinquennat, Essid et BCE se sont partagés les rôles : le premier aux affaires courantes, le second chargé des manœuvres complexes qui exigent de l’habileté politique (le dossier libyen pour les affaires étrangères, et surtout gérer la relation avec Ennahdha et l’UGTT…)
Si le président a réussi dans certains dossiers, il a échoué à raisonner Houcine Abassi, le secrétaire général de la centrale syndicale. Aussi, et malgré l’opération de séduction et la stratégie de l’évitement adoptée avec les dirigeants syndicaux, il n’a pas réussi à infléchir l’action de l’UGTT ou à obtenir une trêve sociale. D’ailleurs, pour beaucoup, l’initiative de créer un gouvernement d’union nationale ne serait qu’une manœuvre de plus visant à neutraliser l’UGTT en la faisant participer aux affaires de l’Etat, une condition nécessaire pour la mise en route des réformes nécessaires au pays.
Or, en misant uniquement sur son charisme et son autorité pour raisonner l’UGTT, BCE ne fait-il pas fausse route ? La direction de l’UGTT dans sa globalité n’est-elle pas prisonnière de certains impératifs idéologiques et tactiques qui l’obligent à durcir sa ligne de conduite?
Un président impuissant face aux manœuvres de son fils
En fait, BCE, aussi avisé soit-il, serait le premier responsable de l’échec du gouvernement. C’est lui qui a toujours manqué de lucidité en se montrant incapable de prévenir la crise de Nidaa, de la contenir, de la résoudre d’une manière durable et sur des bases solides avant que la plaie ne soit infectée et gangrénée. Est-ce de l’aveuglement? Est-ce de l’arrogance? Et si c’était, plutôt, de l’impuissance face aux menées «putschistes» de son propre fils, Hafedh Caïd Essebsi, qui voulait, coûte-que-coûte, prendre les rênes de Nidaa Tounes?
Alors que le pays souffre, le fils chéri gagne du terrain, se débarrassant de ses rivaux, les uns après les autres. Désormais, il jouit du «prestige» dont il aurait toujours rêvé, celui d’apparaître, dans les JT à côté des «puissants», cherchant à singer son papa, en compagnie des Sofiene Toubel, Ons Hattab et autres Abdelaziz Kotti, incarnation même de la médiocratie et de l’opportunisme. Derrière son sourire narquois, faussement débonnaire, il apparaît comme la «personnalité» la plus emblématique de la période, une période marquée par la fatuité, la nullité et les coups bas. Tout ça pour ça !
Le père peut encore se targuer d’avoir les faveurs de l’opinion et se réjouir que Nidaa, mené par son «dauphin», puisse encore, paraît-il, compter dans les sondages. Mais, le président, qui donne parfois l’impression de se contenter d’occuper la «place de Bourguiba», doit aussi savoir pertinemment que les enjeux de la bataille d’aujourd’hui et celle de demain sont importants, qu’il est en train de compromettre les chances de ce pays, celles de le voir emprunter réellement la voie de la modernité et qu’après avoir fait naître l’espoir, il serait en train de le briser, probablement, à son insu.
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