Accueil » La Tunisie en crise : Le départ d’Habib Essid est-il vraiment la solution?

La Tunisie en crise : Le départ d’Habib Essid est-il vraiment la solution?

Mohamed-Ennaceur-Caid-Essebsi-et-Habib-Essid

Considérer que la crise ne vient que du gouvernement Essid est un leurre. Le changement de personnes ne peut être «salvateur», surtout si celle-ci appartiennent aux mêmes partis.

Par Noura Borsali

Je ne vois pas pour quelles raisons on veut pousser le Premier ministre à la démission alors que la Constitution énonce une possibilité: celle de retirer la confiance au gouvernement et que cette procédure pourrait être engagée par des groupes parlementaires, et particulièrement par ceux de Ennahdha ou de Nidaa Tounes ou des deux à la fois. Pourquoi ces partis s’obstinent-ils à ne pas l’engager conformément à la Constitution et à œuvrer en dehors de la loi que la plupart d’entre eux ont prescrite?

Le Premier ministre a raison de ne pas vouloir se soumettre à leur désir ou ordre. Cela ne veut aucunement dire que je soutiens sa politique ni celle de son gouvernement, ni par ailleurs l’initiative présidentielle que je trouve anticonstitutionnelle et fortement politique et politicienne. Mais je discute une manière de faire qui n’est pas digne de l’Etat de droit auquel nous aspirons. Je pense en tant que citoyenne que les lois et en l’occurrence la Constitution doivent être au-dessus de tout et de tous.

Que le Premier ministre veuille respecter la Constitution face à la volonté illégale des signataires du Document de Carthage de le déloger est une bonne conduite. Il doit prouver à ceux-là même qui ont rédigé ou approuvé la Constitution qu’on n’a nullement le droit de ne pas respecter le texte dont ils se sont pourtant enorgueillis ni de le contourner.

Le pays ne doit en aucun cas être régi par les désirs des uns et des autres quel que soit leur rang. Par ailleurs, la politique est-elle devenue un jeu d’enfants? On fait appel à telle personnalité quand on en a envie et on la déloge de même et sans en évoquer les vrais mobiles.

Le gouvernement de Habib Essid – que je ne défends guère – est bien composé par la majorité des partis qui veulent le déloger sauf El-Massar, des figures du RCD, El-Moubadara et d’autres nouvellement embarqués dans cette opération.

Si on considère que ce gouvernement a échoué, ne s’agit-il pas, dans ce cas, de l’échec de la coalition de ces mêmes partis? Pourquoi cherche-t-on à faire endosser la responsabilité de la crise au seul Premier ministre ?

Le Premier ministre, lors de son mandat, a-t-il eu l’occasion de mener la barque en toute autonomie? N’a-t-il pas été, lui et son gouvernement, l’objet d’une pression constante et incessante de la part des partis de la coalition au pouvoir, d’autres formations ainsi que de parties étrangères telles que les institutions financières internationales? Ce sera de même pour tous les gouvernements qui suivront. Ceci n’implique-t-il pas la responsabilité de tous dans cet échec? La crise ne vient-elle pas également de ce partage partisan du pouvoir devenu un mode de gouvernement encourageant toutes formes d’opportunisme politique d’une «élite» aux aguets d’un portefeuille ministériel ou autre?

Le principe d’«unité nationale» qu’on a brandi pour justifier ledit changement imposé et qu’on a ressorti de l’ère bourguibienne et le texte intitulé «Accord de Carthage», qui est un remake du «Pacte national» de l’ère Ben Ali, ne sont aucunement convaincants pour déloger le Premier ministre. Les arguments pourraient être autres. Et puis, cette résurgence du passé est-elle bénéfique pour le pays? Ne contrecarre-t-elle pas un renouvellement des visions et des méthodes de gouvernement?

Considérer que la crise ne vient que de ce gouvernement est un leurre. Le changement de personnes ne peut être «salvateur» surtout que les personnes en vue appartiennent aux mêmes partis à quelque différence près. D’autant que l’«Accord de Carthage» n’apporte rien de nouveau ni d’original. Il contient des généralités pompeuses et superficielles et prouve que les parties signataires n’ont réellement aucun programme politique, économique et social à proposer. Je ne parlerai pas de la culture qui est le parent pauvre du texte et duquel elle a été congédiée. Ceci nous donne une idée sur l’absence de visions et de perspectives chez les signataires du texte.
Mais, il est vrai et indéniable qu’au nom de cette sacré «unité nationale», on cherche, grâce à ce subterfuge tiré d’un autoritarisme passé – et dont nous voudrions nous défaire –, à réintégrer le RCD au pouvoir exécutif et aux commandes de l’Etat… Ceci n’augure-t-il pas d’un graduel retour aux choses du passé?

La crise que vit le pays est grave et profonde. Elle est systémique. Comme elle provient aussi, d’une part, d’une absence de programmes de réformes, et, d’autre part, d’un défaut réel de volonté d’améliorer la situation et de pallier les dysfonctionnements qui gangrènent le pays à tous les niveaux… Les idées sont là. Les réformes sont possibles, voire nécessaires et urgentes… Il faut, pour cela, une volonté politique réelle et un rétablissement de l’autorité de l’Etat et bien d’autres choses encore… Et pourquoi pas un débat national sur les priorités et les réformes à apporter à un pays que, impuissants, nous regardons s’enliser de jour en jour ? Les Tunisiens spoliés de leur citoyenneté sombrent dans le marasme le plus total et sont à la recherche de leur pays perdu.

L’avenir de la Tunisie est la préoccupation de toutes et de tous et non de partis dont la plupart ne représentent qu’une poignée d’individus et dont quelques-uns n’ont même pas encore accompli leurs congrès constitutifs…

La démocratie ne peut venir d’en haut et être dictée et imposée dans un cadre uniquement partisan, à coups de «consensus» d’«unanimité».

La démocratie doit tirer sa force d’une large participation citoyenne. Car elle sera participative ou elle ne sera pas.

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.