De gauche à droite et de haut en bas: Saïda Ounissi, Wided Bouchamaoui, Slah Allani et Farès Saïd.
La journaliste de ‘‘Voice of America’’ (VOA) a rencontré quatre Tunisiens. Quatre profils et quatre parcours qu’anime un même rêve, celui d’une Tunisie démocratique.
Par Lisa Bryant
Saïda Ounissi a suivi la «Révolution du Jasmin» alors qu’elle était réfugiée politique vivant en France. A cette date, Farès Saïd était un étudiant qui, défiant la dictature de Zine El-Abidine Ben Ali, jetait des pierres à la police. Wided Bouchamaoui, femme d’affaires, a contribué à sauver son pays d’une nouvelle crise politique. Quant à Slah Allani, son entreprise textile a cédé sous le poids des difficultés économiques que le pays a connues au lendemain du «Printemps tunisien».
Si le soulèvement en Tunisie a mis en branle cette vague irrépressible de révoltes populaires qui a changé la face du monde arabe, il a également transformé de manière fondamentale la vie des citoyens de ce pays. Les cas de ces quatre Tunisiens illustrent parfaitement l’étendue de ces mutations radicales. Aujourd’hui, l’un d’eux est membre du parlement, le second est un auteur dramatique naissant, le troisième est lauréat d’un Nobel et le quatrième a décidé d’investir dans le patrimoine tunisien.
Etoile montante politique
«J’ai beaucoup d’espoir, en vérité», répond Saïda Ounissi, 29 ans, aujourd’hui une étoile montante du parti islamiste Ennahdha, lorsqu’on l’interroge sur les sérieuses difficultés que rencontre son pays, notamment ceux résultant de l’état d’une économie chancelante, d’un chômage sans cesse en hausse et de la montée de l’extrémisme islamiste.
«Il est tout à fait indéniable que les choses vont très lentement, reconnait-elle. Nous avons du mal à voir où nous allons, mais nous avons tout de même une feuille de route», s’empresse-t-elle d’ajouter.
Saïda Ounissi n’avait pas éprouvé ce sentiment du temps où elle était en exil. A l’image de plusieurs autres islamistes, sa famille avait fui la dictature de Zine El-Abidine Ben Ali pour s’établir en France. Puis, d’un seul coup, l’impensable a eu lieu ce 14 janvier 2011: des milliers de manifestants ont envahi les rues et forcé Ben Ali au départ.
«Là où j’étais, en France, j’ai sans aucune hésitation soutenu le mouvement de protestation. Nous avons organisé plusieurs manifestations», déclare-t-elle.
A présent, Ounissi est une des plus jeunes députés siégeant au nouveau parlement tunisien. Son parti, Ennahdha, a récemment a annoncé qu’il a tourné définitivement la page de son islam politique et décidé de se définir comme étant, désormais, un mouvement civil qui se contente seulement de puiser racines dans la religion.
«C’est une sorte de pragmatisme d’Ennahdha. En optant pour cette démarche, notre parti souhaite garder contact avec la réalité de la Tunisie d’aujourd’hui», confie-t-elle.
Elle croit que la Tunisie est confrontée à d’importants problèmes, notamment ceux consistant à répondre aux très nombreuses demandes d’emploi et à faire face au radicalisme islamiste dans un pays devenu premier exportateur de militants jihadistes.
«Nous devrions pouvoir convaincre nos jeunes qu’ils ont beaucoup plus intérêt à agir pour leur pays que contre lui», déclare-t-elle
Changer les choses localement
De Zarzis, ville du sud tunisien où il vit, Farès Saïd, 33 ans, a une toute autre réponse à l’adresse des jeunes désenchantés: en écrivant des pièces de théâtre provocatrices et en travaillant bénévolement pour une radio locale.
«Nous devrions pouvoir changer les idées de nos jeunes générations et leur offrir des perspectives d’avenir encourageantes. Si nous ne faisons pas du théâtre, de la musique et de la culture, nous ne pourrons pas vivre», dit-il.
Une troupe théâtrale locale a récemment présenté une des œuvres de Farès Saïd, une pièce en quatre actes traitant de thèmes – la religion et la femme, par exemple – qui sont jusqu’à ce jour des sujets tabous dans sa région conservatrice du sud.
«Nous avions été chaleureusement applaudis et notre pièce a suscité de longs débats intéressants. Certaines personnes nous ont traités de vermines, mais l’assistance s’est chargée de les évacuer», raconte-t-il
Saïd estime que l’art représente un vecteur de changement. Sa station de radio a récemment interviewé un jihadiste repenti qui est devenu, depuis ce jour-là, un rappeur populaire.
Selon lui, «l’art est une sphère où les gens peuvent, individuellement et collectivement vraiment s’exprimer, échanger des points de vue, s’imaginer eux-mêmes. Ainsi, petit à petit, ils arrivent à se construire un rêve», conclut-il.
Un prix Nobel pour avoir sauvé la Tunisie
Etre lauréate d’un Nobel n’a jamais fait partie des plans de carrière de Wided Bouchamaoui. Pourtant, en décembre dernier, Mme Bouchamaoui, présidente de l’Utica, la centrale des employeurs tunisiens, a rejoint trois autres de ses concitoyens qui ont été récompensés du Prix Nobel de la paix.
En 2013, à un moment où les mouvements de grève incessants et les assassinats politiques faisaient craindre le pire, le Quartet du Dialogue national (UGTT, Utica, Ordre des avocats, LTDH) a pris les choses en main, utilisant avec succès médiation et dialogue pour mettre en place un gouvernement provisoire indépendant qui a préparé le terrain pour la tenue de nouvelles élections.
Elle aussi s’inquiète, face à la montée du radicalisme islamiste en Tunisie. Elle explique: «Nous avons besoin de sécurité, mais nous avons également besoin de mettre en œuvre des réformes pour créer des emplois et installer nos entreprises dans les régions difficiles du pays.»
Cela dit, Mme Bouchamaoui est fière de ce que le pays a pu accomplir jusqu’ici: «A présent la Tunisie est un pays démocratique. Nous avons une société civile très forte, une jeunesse très active et des femmes très émancipées», dit-elle. «Seulement, le défi auquel nous faisons face est énorme: nous sommes appelés à mener à bien cette étape délicate de la transition politique», ajoute-t-elle.
Préserver l’héritage tunisien
Slah Allani, industriel, a assisté impuissant aux débordements et aux dérapages de la révolution et à la manière dont ces mouvements de protestation ont mis à genoux son entreprise textile. «Dans le pays, il n’y avait plus qu’arrêts de travail, grèves et revendications, se souvient Allani. Tout le monde réclamait du travail et personne n’en avait cure que les affaires du pays aillent si mal ou que le marché ne soit pas capable d’absorber cette masse énorme de demandeurs d’emploi.»
Depuis quelque temps déjà, l’économie tunisienne a été en chute libre. Allani a tenu bon pendant trois années, avant de décider de mettre la clé de son entreprise sous la porte. Il quitta le secteur textile pour tenter de relancer un projet touristique fragile sur l’île balnéaire de Djerba.
Au début de cette nouvelle aventure, il y avait un petit hôtel où Slah Allani a exposé quelques artefacts locaux. Aujourd’hui, il a entrepris de rénover des pans entiers du petit village d’Erriyadh et il envisage d’ouvrir une galerie d’art.
Attablé au bord de la piscine de son petit hôtel, il a énuméré pour nous la liste de ce qu’il considère comme étant les priorités nationales. «Premièrement, il faudrait que l’on parvienne à éradiquer une fois pour toutes la corruption – et dans tous les domaines. Deuxièmement, le peuple a besoin d’initiative, de sécurité et des options de travail.»
Selon Slah Allani, les politiciens devraient mettre un terme, au moins pour un temps, à leurs querelles partisanes et œuvrer ensemble pour le service de la communauté nationale et les intérêts du pays.
«Nous avons besoin d’un programme viable pour la population et les personnes démunies. Si nous arrivons à réaliser cela, vraiment, l’avenir de la Tunisie sera prometteur», insiste-t-il.
Texte traduit de l’anglais par Marwan Chahla
*Les titre et intertitres sont de la rédaction de la VOA.
Source: ‘‘Voice of America’’.
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