Alors que les recettes fiscales ne sont pas au rendez-vous, que pourra faire Chahed pour boucher le trou de 3 milliards de dinars qui manquent au budget de l’Etat 2016?
Par Mohamed Chawki Abid *
Avec une récession structurelle, un coût salarial de la fonction publique de l’ordre de 15% du PIB, et un taux d’endettement atteignant 62% du PIB, tout plan d’austérité ciblant les «classes laborieuses» ne peut qu’aggraver la crise économique et démolir la paix sociale déjà fragilisée.
Les experts réformistes du FMI en sont bien convaincus (depuis novembre 2014), et s’activent à inventer de nouvelles solutions devant offrir aux pays en récession et surendettés des cadres budgétaires à moyen terme qui ne torturent pas les classes pauvres et n’épuisent pas les classes moyennes, cadres axés sur un reprofilage de la dette acculant ainsi les créanciers à assumer une partie du coût de cette restructuration (réduction et rééchelonnement). C’est l’approche actuellement recommandée pour la Grèce.
Entre-temps, les anciennes formules de «coupe budgétaire» et de «sur-taxation inéquitable» continuent à être imposées aux débiteurs masochistes du FMI, formules épargnant l’oligarchie rentière du pays.
Arrangements avec les fraudeurs historiques
Sans l’aide de vrais professionnels, les princes aux commandes ne sauront pas nous sortir du sable mouvant. Avec Chedly Ayari, l’ex-CEO de la Badea, à la tête de l’Institut d’Emission et les amateurs alternatifs au ministère du Commerce, ils n’ont fait qu’aggraver le dérapage du déficit de la balance commerciale à la faveur d’une politique abominable du commerce extérieur, marquée par plus de 5 milliards de dinars d’importation de biens de consommation superflus par an. Ce faisant, et en l’absence de recettes touristiques, la balance des payements enregistre une tension record face aux engagements en terme de service de la dette et de transfert de dividendes des IDE.
Il en est de même pour les finances publiques avec l’Argentier sortant qui a enfreint aux dispositions fiscales de la Loi de Finances 2016 en concluant secrètement des arrangements inadmissibles avec les fraudeurs historiques du pays (notamment les gros BNC). Il a non seulement cristallisé davantage la discrimination contributive, mais encore il a aggravé le déficit additionnel du budget de l’Etat à 3 milliards de dinars au titre de 2016, d’où un chantier d’élaboration d’une Loi de finances complémentaire (LFC’2016).
Dans ce cadre, les résultats enregistrés au cours du 1er semestre 2016 laissent apparaître un fléchissement de 22% des recettes fiscales par rapport au 1er semestre 2015, imputable à la baisse de l’impôt sur le bénéfice (-45%). En effet, l’I/S collecté a atteint à peine 910 millions de dinars tunisiens (MDT), au 30 juin 2016, soit 26,8% des ressources prévues pour l’année 2016 (3.380 MDT), contre 52,8% en 2015 !
Alors que l’I/R au titre des BNC n’a pas été au rendez-vous, avec un niveau très en-deçà de l’enveloppe prévue et ce, eu égard notamment à la «dispense royale» accordée aux médecins et avocats par l’ex-ministre des Finances en infraction aux dispositions fiscales de la Loi de Finances 2016.
Que pourra faire Youssef Chahed ?
Alors, quelle va être la stratégie du gouvernement Chahed pour boucher le trou de 3 milliards de dinars?
Va-t-il geler les salaires de la fonction publique?
Va-t-il ajuster le mécanisme de compensation des prix des produits de première nécessité?
Va-t-il décider de réparer les préjudices fâcheux commis par l’ex-Argentier (IR sur BNC, Article 47 de LF’2016…)?
Va-t-il relever le taux I/S de 25% à 30% sur les entreprises ordinaires, et de 35% à 40% pour les entreprises rentières (banques, télécoms…)?
Va-t-il rétablir les droits de douanes au niveau de 2015 sur les produits importés en dehors de l’Union européenne (UE)?
Va-t-il reconduire les anciennes taxations appliquées sur les importations de boissons alcoolisées?
Va-t-il revenir à l’ancienne liste des articles de luxe pour augmenter son taux de TVA de quelques points sans dépasser les 29% d’antan?
Va-t-il moraliser et structurer l’économie souterraine (amélioration de la visibilité, introduction de taxation forfaitaire…)?
Ce qu’il ne doit absolument pas faire, c’est de toucher à la R/S sur les salariés, en dehors de la régularisation promise de 1ère tranche de la grille de l’IRPP entre 1.500 et 5.000 dinars.
En outres, la LFC’2016 devrait proposer des solutions pour l’atténuation des déficits des trois caisses sociales, pour ne pas mettre en péril ni les retraités pour leurs pensions, ni les malades pour leurs droits de remboursement ou de prise en charge.
Naturellement, l’ensemble de ces corrections structurelles, tant au niveau des ressources fiscales que des dépenses de fonctionnement, vont être bénéfiques pour l’édification du projet de la Loi de Finances 2017, qui devrait être transmis à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) avant fin octobre 2016. C’est pour dire qu’il n’y pas plus de temps à perdre.
La fuite en avant du surendettement extérieur
Par ailleurs, il y a lieu de noter que le président de l’ARP a récemment avoué, en marge des journées parlementaires consacrées aux équilibres financiers (les 28 et 29 août 2016 à Hammamet), que la dette extérieure est trop lourde et qu’elle conduit à la perte de la souveraineté, tout en précisant que la Tunisie s’endette de l’étranger pour payer ses dettes.
Mohamed Ennaceur semble à première vue se repentir après avoir présidé plusieurs séances d’approbation de moult crédits, mais il n’est pas exclu qu’il puisse oublier très vite ses affirmations pour récidiver. C’est ce qui s’est produit quatre jours après, avec le nouveau crédit Banque africaine de développement (BAD) de 667 MDT.
Il est évident que toute perspective de sortie de crise ne peut être envisagée avec des amateurs ne plaçant que leurs intérêts personnels au centre de leurs préoccupations. Tôt ou tard, ils seront amenés à jeter l’éponge pour prendre la fuite à l’étranger et laisser le pays évoluer en crématorium.
* Ingénieur économiste.
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