L’hebdomadaire britannique ‘‘The Economist’’ évoque cette chance inattendue qu’a eue la Tunisie de réparer les dégâts causés à son tourisme par les attentats de 2015.
Par la rédaction de l’‘‘Economist’’
«L’année dernière a été particulièrement difficile», se désole Sabri Belhaouane. Le guide touristique tuniso-russe ne s’est jamais remis de ce que les deux attaques terroristes de 2015 ont pu causer comme dégâts. L’attentat de mars contre le musée national du Bardo, à Tunis, avait fait 22 morts; et, lors de l’attaque contre l’Imperial Marhaba de Sousse, en juin, un tueur solitaire a massacré 38 personnes. La plupart des victimes de ces deux attaques étaient des touristes étrangers.
Jadis, le marché ouest-européen sauvait la mise
A la suite de ces deux coups durs portés au tourisme tunisien, plus d’un million de visiteurs étrangers ont immédiatement annulé leur déplacement en Tunisie. De ce fait, évidemment, une soixante-dizaine d’hôtels ont mis la clef sous la porte et les revenues de l’industrie touristique tunisienne, qui habituellement représentent environ 7% du PIB national, ont chuté de près de la moitié.
L’activité touristique tunisienne paraissait condamnée à mourir ainsi de mort lente. Puis, les Russes sont arrivés: jusqu’à la fin du mois dernier, près de 600.000 ressortissants russes ont séjourné en Tunisie et, dans leur majorité, il s’agit de jeunes couples et de personnes retraitées en provenance des banlieues de Moscou et Saint-Pétersbourg. Cet afflux considérable représente 10 fois le nombre de touristes russes qui ont passé leurs vacances en Tunisie, en 2015.
Dans les hôtels de Djerba, Sousse et Hamamet, les Russes remplacent les Européens de l’Ouest.
Traditionnellement, c’est sur l’Europe occidentale que le tourisme tunisien a toujours compté pour sauver sa mise. Ce sont les marchés français, britannique, espagnol, italien et allemand qui ont été, depuis de très longues années, de fidèles clients de la destination Tunisie.
Avant la fin de l’été 2015, les avertissements des chancelleries d’Europe de l’ouest et du nord, suivies par les mises en garde des agences de voyages et les annulations des plus importants tour-operators ont imposé à la Tunisie des changements d’orientation radicaux, une véritable inflexion stratégique.
Le tourisme tunisien a été, dans une très large mesure, soutenue par les décisions du Kremlin d’imposer à ses ressortissants de se rendre en Egypte et en Turquie, deux destinations qui étaient auparavant hautement prisées par les amoureux de soleil russes. En octobre 2015, un avion de ligne russe, reliant Charm El-Cheikh à Saint-Pétersbourg, a explosé en plein vol, au-dessus de la péninsule égyptienne du Sinaï. Instantanément, le président Vladimir Poutine a décidé d’une interdiction illimitée de tout déplacement des citoyens russes en Egypte.
«Cette histoire de danger terroriste ne m’intéresse pas»
Un mois plus tard, l’armée de l’air turque abat un Soukhoï Su-24 russe en Syrie; immédiatement aussi, tous les vols charter et toutes les ventes de voyage sur la Turquie ont cessé jusqu’à l’été dernier.
Le tourisme tunisien a ainsi saisi cette chance russe qui lui était offerte, pour sauver ce qu’il pouvait de ses saisons sur les marchés ouest-européens. Il est désormais courant de trouver des menus de restaurant rédigés en cyrillique, de voir des bus de touristes russes circulant sur les routes tunisiennes…
L’heure russe a vraiment sonné en Tunisie. L’Office national du tourisme tunisien (ONTT), qui dispose d’un bureau à Moscou, s’apprête à ouvrir bientôt une représentation à Saint-Pétersbourg. L’enseignement de langue russe aux travailleurs du tourisme (restauration, hébergement…) va bon train sur l’île de Djerba…
L’exemption de visa d’entrée en Tunisie et les prix bas, en raison de la chute du dinar tunisien, expliquent également cette popularité de la destination Tunisie parmi les vacanciers russes. L’on serait même tenté de dire que les arrangements all-inclusive qu’offre le tourisme tunisien défient toute concurrence et peuvent aussi faire oublier le risque terroriste.
Peu soucieuse de ce qui peut être raconté sur la sécurité en Tunisie et sur la menace terroriste, Ludmila, enseignante retraitée de 70 ans qui habite le kraï de Perm, sur la pente occidentale de l’Oural, et a pris des vacances à Sousse, confie: «Toute cette histoire de danger terroriste ne m’intéresse pas. Je n’en sais rien et, d’ailleurs, je ne veux rien savoir.»
Comme pour bon nombre de visiteurs russes, ce qui dérange plutôt Ludmila, c’est surtout l’amoncellement des ordures dans les rues de Tunisie.
Mohamed Ali Toumi, président de la Fédération tunisienne des agences de voyages (Ftav), a une tout autre explication de cet engouement russe pour la Tunisie: «D’après moi, la chose est bien simple. Je crois que les Russes sont des gens auxquels on ne fait pas si facilement peur.»
Traduction de l’anglais par Marwan Chahla
*Le titre et les intertitres sont de la rédaction de Kapitalis.
Donnez votre avis