Bilel El-Kéfi s’est installé à Sao Paulo depuis 2 ans. Le jeune homme, originaire de Gafsa, est un “Internet rapper”: il chante en arabe, portugais et anglais et poste ses chansons sur le web.
Par Marwan Chahla
Plus de 8.700 kilomètres, à vol d’oiseau, séparent Gafsa de Sao Paulo. Et cette distance, Bilel El-Kéfi, aujourd’hui âgé de 28 ans, l’a couverte pour fonder une famille, travailler, poursuivre sa carrière de rappeur sur le web et construire des projets.
«Vous explosez littéralement»
Tout pour ce rappeur sur le net a commence dans le contexte d’instabilité sociale que connaissait la Tunisie, au lendemain de la révolution du 14 janvier 2011. Alors, Bilel Kéfi alias MC Chtayer se mit à écrire des chansons dans lesquelles il évoquait la situation du pays et qui ont suscité le vif intérêt d’un ami musicien. C’est ainsi que, sans aucune prétention, lui est venue l’idée d’enregistrer sa première chanson. «C’est bien simple, sous Ben Ali, vous n’aviez pas le droit de parler de quoi que ce soit. Tout était cadenassé», se souvient-il.
Vers la fin de l’année 2011, dans une Tunisie libre, El-Kéfi a réussi à former son groupe avec des amis proches. Ainsi, ils ont pu produire quelques chansons et les ont postées sur YouTube: chacun de ces raps tentait de faire passer un message. «Si vous êtes forcé de garder le silence, si vous êtes obligé de vous taire pendant très longtemps, le jour où vous êtes libéré, vous explosez littéralement et tout vient naturellement», confie-t-il l’Agence d’information arabo-brésilienne (Anba), ajoutant qu’il écrit et chante sur des sujets dont il ne pouvait pas parler sous la dictature de Ben Ali.
L’idée de faire le grand saut brésilien lui est venue le jour où il a rencontré sa future épouse Gizeli Pedroso sur le web. Cette relation virtuelle a duré 7 mois, que Bilel a mis à profit pour apprendre le portugais. Vers la fin 2012, il foula le sol brésilien et, 6 mois plus tard, il épousa Gizeli.
Loin de sa Tunisie natale, Bilel El-Kéfi a continué à écrire et à chanter, chez lui à Sao Paulo.
Et de l’huile d’olive aussi, pourquoi pas?
A présent, il écrit et chante en portugais et associe, dans ses textes l’arabe et l’anglais. Il explique que, dans ses chansons, il n’évoque pas uniquement la situation en Tunisie. «Ce dont je parle s’adresse à tout monde. Il s’agit de problèmes qui représentent un intérêt pour tout le monde: ce sont des questions comme le chômage, la guerre et les luttes des peuples pour obtenir leurs droits», déclare-t-il.
Pour l’instant, le rap demeure pour le jeune Tunisien expatrié un passe-temps. En débarquant au Brésil, Bilel El-Kéfi devait se trouver un gagne-pain. Pour commencer, il a travaillé comme barman dans un restaurant-barbecue brésilien, avant de rejoindre des «frères syriens» qui venaient d’ouvrir un restaurant dans le quartier Pinheiros de Sao Paulo, où il est désormais serveur.
Bilel, qui réside à Vila Sônia, dans la banlieue ouest de Sao Paulo, ne compte pas se contenter de petits boulots et de rapper sur le net. Il prépare un projet d’importation d’huile d’olive tunisienne produite par son père en Tunisie. A son avis, l’huile d’olive mise en vente au Brésil est de très mauvaise qualité. Il est sûr que celle de son père, le jour où il parviendra à la faire découvrir au consommateur brésilien, aura un succès immédiat.
Pourtant, ce rêve d’importateur d’huile d’olive du pays ne mettra pas fin à la carrière de rappeur de Bilel El-Kéfi: pour lui, continuer de chanter est une évidence qui ne contredit en rien son souhait de faire des affaires en vendant l’huile d’olive produite par son père.
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