Ce ne sont pas des lois répressives qui mettraient un terme au racisme diffus, plutôt la capacité d’éduquer de l’école, ainsi que l’engagement de la société civile.
Par Dr Mounir Hanablia *
Après l’agression récemment survenue contre des Sub-sahariens , une question importante a été soulevée par les médias en Tunisie, celle d’un éventuel racisme qui minerait les relations sociales au sein du pays et qui dans les faits nous placerait sur le même pied d’égalité que le Sud des Etats Unis d’Amérique ou que l’Afrique du Sud de l’Apartheid; mais l’une des caractéristiques du nécessaire discours antiraciste, tenu par les quelques représentants de la société civile qui ont jugé la question suffisamment importante, est sa référence à l’esclavage toujours en cours dans certains pays arabo musulmans, ainsi qu’aux prescriptions médiévales prétendument issues du Coran, et dont les tenants d’un certain courant populiste voudraient qu’ils fussent revivifiés en plein XXIe siècle.
Un phénomène sournois de la vie quotidienne
Il faudrait donc accepter d’emblée qu’il y eût un lien substantiel entre l’esclavage passé ou présent, et le racisme actuel dans sa forme moderne. Mais si en Tunisie, en admettant que le racisme contre les noirs puisse exister, aucun texte législatif ne viendrait lui donner une quelconque réalité institutionnelle, il s’agirait plutôt d’un racisme sournois de la vie quotidienne et des relations sociales contre lequel aucun texte de loi ne puisse apporter un quelconque remède, du moment que sa réalité est niée, et si des références juridiques existent, elles demeurent d’ordre purement général, se rapportant à l’égalité de tous les citoyens devant les lois sans l’exclusion de quiconque en fonction de sa race, sa foi, ou son sexe.
Mais, en se référant aux droits de l’homme ou de l’enfant, et nonobstant ces déclarations d’ordre général sur la question, on peut même faire la constatation étonnante que des lois inégalitaires ou même répressives selon le genre ou certaines mœurs, existent bel et bien dans la loi tunisienne, mais pas contre les races, ni spécifiquement contre les racistes.
Et si donc le racisme est néanmoins une réalité dans ce pays dans la mesure où quelques centaines de citoyens issus de l’Afrique Sub-saharienne ont proclamé haut et fort, il y a environ une semaine, au cœur de la capitale, leur ras-le-bol d’être en butte aux humiliations quotidiennes qui tournent parfois à l’agression physique, c’est que le temps est venu d’accepter cette vérité dérangeante qui ne fait qu’endommager un peu plus l’image déjà désastreuse que le monde s’est fait de notre pays avec les actes terroristes commis sur notre territoire ou à l’extérieur par nos concitoyens, ainsi que la participation de plusieurs milliers parmi eux dans la destruction de la Syrie, l’Irak, la Libye, en tant que mercenaires au service de l’organisation terroriste de l’Etat islamique (Isis, Daech).
Beaucoup plus qu’un fait divers, un apartheid sans loi
Mais à y regarder de plus près et au vu des témoignages rapportés par les médias et les moyens audiovisuels de masse, ce qui s’est passé contre les étudiants noirs est beaucoup plus qu’un fait divers, commis par des voyous, on a parlé de gens refusant de s’asseoir dans des louages par phobie, de propriétaires de pizzerias demandant à leurs clients s’ils acceptaient de la nourriture préparée par leurs cuisiniers noirs, de locataires épiés et harcelés pour leurs moindre faits et gestes par les propriétaires.
Quant à ceux parmi eux qui osent courtiser des filles tunisiennes, on leur aura vite fait comprendre que ce genre de relations n’était pas toléré, et comme les jeunes hommes tunisiens ne sont pas des adeptes des mélanges inter raciaux, on aura tout de suite compris le repli de chaque communauté sur soi même dans une sorte de cohabitation, chacun de son côté, assez proche de l’apartheid, mais sans la législation l’accompagnant. On a même évoqué un village ghetto de la honte au sud du pays dont la population est exclusivement noire. Mais est-ce que ce racisme, puisqu’il faut bien le qualifier comme tel, a pour origine la culture arabo musulmane, le colonialisme, les valeurs véhiculées par la société de consommation, ou bien la pression exercée par une population allogène ou perçue comme telle, sur le marché du travail?
Si la société arabe avant l’islam a été fondamentalement ségrégationniste, la nouvelle foi religieuse malgré son caractère universaliste, supra national et supra racial, n’a pas réussi à gommer les pratiques sociales qui lui préexistaient, et c’est ainsi que l’histoire arabo-musulmane a été émaillée de soulèvements des peuples vaincus, souvent au nom de l’islam, parfois pas, contre l’hégémonie sociale et politique des Arabes.
Il n’empêche, les esclaves noirs au sein de la société tunisienne ont été l’apanage des gens de pouvoir, pendant près de 10 siècles, au point de se demander si les mauvais traitements qui leur étaient infligés n’ont pas intégré la psyché collective en tant que signes de puissance.
Cela dit, à partir des Ottomans, il y a eu aussi beaucoup d’esclaves blancs, issus des Balkans, dont de mauvaises habitudes se font l’écho, celles dans certains milieux, de considérer la blancheur de la peau masculine comme un manque de virilité invitant à toutes les entreprises de séduction.
La colonisation dans tout ceci a-t-elle joué un rôle? Beaucoup de ceux qui ont vécu cette époque se souviennent des soldats sénégalais réputés impitoyables que le colonialisme amenait pour réprimer les soulèvements nationalistes, fidèle en cela à ses habitudes d’utiliser des peuples ou des ethnies pour en réprimer d’autres, attiser la haine, et entretenir la division parmi les peuples colonisés. Et si l’époque tiers-mondiste et de l’internationalisme prolétarien a gommé pour une large part ces antagonismes artificiels au niveau du discours officiel, ou même de l’engagement politique anti raciste comme dans le cas de Malcolm X, force est de constater que la résurgence du phénomène raciste soulève la question de savoir s’il y eût ou non véritablement une époque au cours de laquelle il eût disparu de la société; ou bien s’il n’eût été enfoui que provisoirement par la répression instaurée par des pouvoirs politiques autoritaires , pour resurgir lors des crises majeures succédant à leur disparition, ainsi que cela s’était passé pour les pays de l’Est ou la Yougoslavie après la chute du mur de Berlin.
Mais toujours est-il que dans des sociétés où le consumérisme est souvent au nom du libéralisme devenu la norme dominante, les messages publicitaires ont toujours sélectivement véhiculé des stéréotypes esthétiques hyper sélectifs de type européen, d’où la couleur brune de la peau était exclue. L’archétype en est le Brésil qui se présente comme un pays ayant réussi l’intégration raciale dont la grande partie de sa population est métissée; alors que dans la réalité les noirs constituent sa frange la plus pauvre, celle cantonnée dans les favelas, et pour qui le football constitue le seul espoir de promotion sociale et de richesse. Et les seuls noirs qu’on voit dans les publicités sont justement les footballeurs ou les basketteurs, naturellement une fois qu’ils sont devenus des vedettes.
Pour reparler de la tyrannie des critères esthétiques blancs véhiculés par les messages publicitaires, il a donné naissance à un self racisme les choses en sont à un point tel que les Coréennes se débrident désormais les yeux après que les noires se fussent défrisées les cheveux, affiné les traits, et blanchi la peau.
Un racisme importé d’ignorants
Et donc pour en revenir au cas tunisien, sommes nous devenus racistes à cause de la mauvaise islamisation de la société? de l’héritage de la colonisation? ou des normes imposée par une société de consommation tyrannique et intolérante? Sans doute un peu de tout cela, mais il s’agit quoiqu’il arrive d’un racisme importé d’ignorants, qui ne repose à l’inverse de celui des pays dits évolués, sur aucune pseudo théorie scientifique, ni sur aucun ordre économique ou politique qu’il se chargerait de justifier et de perpétuer, ni ne se referait porteur de revendications contre des concurrents pour le partage équitable des biens économiques ou symboliques; plutôt un racisme de celui qui ne possède rien et à qui la souffrance infligée à celui qui partage son destin de misère confère un sentiment, naturellement faux, de puissance. Une imposture de sous-développés qui a emprunté au Ku Klux Klan son savoir faire expéditif et limité. Un populisme agressif qui a fait l’économie de ‘‘Mein Kampf’’. Et qui se nourrit de faux savoir, d’absence de culture et d’éducation. Ce ne sont pas des lois répressives qui y mettraient un terme, plutôt la capacité d’éduquer de l’école, ainsi que l’engagement de la société civile. Or, on l’a vu, durant la manifestation de nos frères noirs africains contre le racisme, il y avait très peu de Tunisiens. A méditer !
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