De g. à d. : Oussama Ben Laden, Abou Moussab Al-Zarkaoui, Abou Bakr Al-Baghdadi et Mokhtar Belmokhtar.
Le terrorisme islamiste est né, dans les années 1990-2000, en Afghanistan et en Algérie, mais son internationalisation est le résultat d’interventions étrangères.
Par Belgacem Snoussi *
La Tunisie est aujourd’hui confrontée à un problème de taille : le retour des terroristes tunisiens. Le manque d’expériences étrangères en matière de gestion de ces retours pousse la classe politique à tergiverser, spéculer et souvent même accuser ce bon vieil ennemi de la nation qu’est Ennahdha. On n’hésite pas à mettre en garde la population tunisienne en prenant pour exemple la décennie noire algérienne due justement à un retour massif de djihadistes algériens d’Afghanistan. Alors, on accuse Rached Ghannouchi et son parti d’avoir enfanté le terrorisme islamiste, peut-être par déficit de position par rapport à cette problématique, ou peut-être aussi par opposition au second parti de Tunisie.
Le terrorisme islamiste est effectivement un islam en colère
Peu importe la raison, ce texte est ainsi proposé aux lecteurs pour expliquer, en utilisant des sources avérées bien entendu, la genèse et l’internationalisation du terrorisme islamiste. Il sert à démontrer que le terrorisme islamiste est effectivement un islam en colère contre des forces d’ingérence. Il sert surtout à montrer que la Tunisie est dans une situation diamétralement opposée à celle où se trouvaient l’Algérie et l’Afghanistan. Ainsi, nous tenterons d’expliquer comment l’Afghanistan et l’Algérie ont représenté les premiers foyers du terrorisme islamiste international. L’idée serait de démontrer que les oppressions internes et les intrusions étrangères ont construit le djihadisme et ont fait son internationalisation.
À travers l’exemple de l’Algérie, nous montrerons que le mouvement était une forme de contestation sociale au régime militaire oppresseur. Ensuite, le cas de l’Afghanistan servira à montrer que les incursions étrangères ont aussi leurs parts de responsabilité dans la montée en puissance du djihadisme. Dans un deuxième temps, il sera question de définir les causes qui ont poussé ces réseaux à passer d’une forme de résistance nationale à un réseau terroriste international. En d’autres termes, comment explique-t-on la genèse du terrorisme international et notamment son internationalisation ?
Les deux premiers foyers du terrorisme islamiste sont sans conteste l’Afghanistan et l’Algérie. Mais chacun de son côté nous permet d’expliquer différemment l’émergence du terrorisme islamiste. Éclairage.
Premièrement, l’invasion soviétique de l’Afghanistan en 1979 est considérée par de nombreux spécialistes comme un événement majeur dans l’histoire du djihadisme. En effet, avec l’incursion de la puissance communiste est apparue une forme de résistance jamais vue auparavant. Cette violation de l’intégrité afghane a suscité l’indignation d’un large groupe de moudjahidine soutenu et financé par la CIA (J. Burke, 2007). Comme le dit l’auteur du livre ‘‘Ghost Wars: The Secret History of the CIA, Afghanistan, and bin Laden, from the Soviet Invasion to September 10, 2001’’ (S. Coll, 2004), ce groupe s’est nourri de la guerre par procuration à laquelle se sont livrés le bloc de l’Est et le bloc de l’Ouest. D’une part, les Soviétiques horripilaient par leur présence, et les États-Unis, de leur part, permettaient la résistance à une population frustrée de voir une puissance étrangère s’ingérer dans ses affaires. Sans réaliser que l’aide américaine était un cadeau empoisonné, la bande à Ahmed Chah Massoud se radicalisait au fur et à mesure qu’elle prenait de l’importance.
Les viviers afghan et algérien
Dans l’article «Le terrorisme est né en Afghanistan» (G. Kepel, 2004), l’auteur affirme de son côté que l’opposition entre les deux superpuissances nourrissait en coulisse un réseau qui s’avérera, des années plus tard, être dangereux autant pour les Américains que pour l’ensemble de la communauté internationale. Comme le dit le livre ‘‘Jihad : expansion et déclin de l’islamisme’’ (G. Kepel, 2001), le djihadisme afghan était une véritable réussite pour l’administration américaine puisqu’il lui a permis de ne pas répéter les erreurs commises au Vietnam en engageant leurs militaires sur le terrain afghan. Alors que les Soviétiques, de leur côté, ont envoyé une fraction considérable de l’armée rouge, les leaders américains ont appuyé le djihad pensant qu’ils pouvaient le manipuler et en contrôler les acteurs.
Pourtant, le retrait des Soviétiques de l’Afghanistan a coïncidé avec l’apparition d’Oussama Ben Laden et d’Ayman Al-Zawahiri comme figures d’un nouveau terrorisme. L’article «Al-Qaïda» (M. Hecker, 2007) nous dit que ces deux nouvelles têtes commencent déjà à dessiner les premiers traits du terrorisme international.
Deuxièmement, durant les années 1990, l’Algérie était le théâtre d’une guerre civile qui a opposé un régime militaire oppresseur à une population qui voyait sa situation se dégrader avec le temps. À cet effet, le livre ‘‘La guerre civile en Algérie’’ (L. Martinez, 1998) nous dit que la mouvance islamiste algérienne tient sa crédibilité de ses actions sociales en faveur d’une population dont elle «capitalise le mécontentement» (G. Kepel, 2003, p.33). Les conditions socioéconomiques difficiles qui résultent essentiellement de pratiques clientélistes du régime algérien ont poussé certaines franges de la société algérienne à se tourner vers un gauchisme favorable à l’instauration d’un État islamique. Depuis 1970, nous dit «la revanche de Dieu» (G. Kepel, 2003), les mouvements islamistes ont quitté la sphère purement religieuse pour s’attaquer à la sphère sociopolitique. L’auteur affirme que l’émergence de l’islamisme politique est due à «une désillusion envers les idéologies et la misère sociale» (A. Khattar, 1991).
Ensuite, la victoire du Front islamique du Salut (FIS) aux municipales du 12 juin 1990 a représenté un tournant important dans l’évolution de l’islamisme radical en Algérie. En effet, le FIS a obtenu la majorité (54,3 % des suffrages exprimés) le désignant comme favoris aux élections législatives suivantes. Sans surprise, c’est ce même groupe qui remporte à la majorité écrasante les législatives du 26 décembre 1991 (A. Lamchichi, 2000). En réponse à son échec cuisant, l’armée rejette les résultats et procède à une campagne particulièrement répressive. Face à cette violence, le parti politique se mue en une forme de résistance violente plongeant le pays dans une guerre civile qui durera plus d’une décennie.
Dans ce contexte, de nombreux spécialistes considèrent l’Algérie comme un véritable laboratoire du terrorisme (L. Benchiba, 2009). Mais avant de détailler le caractère terroriste de cette lutte, il serait tout de même judicieux d’indiquer les raisons qui ont poussé un groupe politique à adopter une lignée islamiste. À cela, le livre ‘‘Les islamistes algériens : entre les urnes et le maquis’’ (S. Labat, 1995) répond en affirmant que l’idéologie islamiste est une forme de contestation sociale qui utilise la politique pour établir un État islamique. Mais, de cette situation de crise s’est détaché un groupe d’individu usant de la violence physique pour manifester ses opinions. Opportuniste, le Groupe islamique armée (GIA) utilise ce climat pour perpétrer de nombreux attentats en Algérie et ailleurs.
Comme nous l’avons indiqué précédemment, l’Afghanistan et l’Algérie sont considérés comme les premiers foyers du terrorisme international. Pour des raisons différentes, chacun de ces deux pays a connu une islamisation exacerbée de leurs sociétés respectives. D’un côté, la lutte afghane contre l’ennemi soviétique et l’appui de la CIA (C. David, 2004) à cette résistance ont fait de ce pays un premier chef-lieu du terrorisme islamiste. De l’autre côté, l’oppression du gouvernement algérien et les tensions qui s’en sont suivi ont manifestement fait de l’Algérie un deuxième centre névralgique du djihadisme international.
L’internationalisation du terrorisme
À ce moment-là, nous nous posons la question de savoir comment l’idéologie islamiste a su dépasser les frontières nationales pour atteindre sa dimension internationale. Plus clairement, quelles sont les raisons qui ont transformé l’islamisme radical en tant que résistance en un terrorisme international?
Il existe plusieurs raisons qui expliquent l’internationalisation du terrorisme islamiste. On peut dès lors les subdiviser en deux parties. La première sera consacrée aux causes inhérentes au monde arabo-musulman. Cette partie s’articulera autour des «causes endogènes» qui ont conduit à l’internationalisation du terrorisme islamiste.
La deuxième partie servira à montrer comment les forces extérieures ont influencé d’une manière ou d’une autre la transformation des réseaux terroristes nationaux en un agrégat international.
Le succès d’Al-Qaida relève essentiellement du fait qu’elle a su dépasser le cadre de l’État-Nation. Olivier Roy nous dit que les djihadistes ont rompu avec leurs identités nationales respectives et se sont autoproclamés par la même occasion représentants de «l’islam mondialisé» (O. Roy, 2002).
En réalité, Ben Laden s’est inspiré de l’idéologie des Frères musulmans dans leur lutte contre le nationalisme arabe nassérien. D’ailleurs, Al-Qaida, signifiant littéralement «base de données», commence sa mission par recruter des partisans de leur cause des quatre coins du globe. Alors, les moudjahidines ont afflué vers l’Afghanistan faisant de ces pays la première capitale du terrorisme international à partir de laquelle étaient commanditées les attaques envers «l’ennemi lointain» (G. Kepel, 2004).
Cependant, pour comprendre l’internationalisation de l’islamisme, il faut aussi se poser la question du financement de ces groupes. L’article «La lutte contre le financement du terrorisme international» nous dit qu’il existe deux moyens de financement du terrorisme. Le premier, peu important dans le cadre de notre étude, est le financement par les groupements privés. Le deuxième, essentiel dans notre démarche, repose sur un financement par certains États (Y. Banifatemi, 2002). Certains auteurs affirment même que le financement du terrorisme est un moyen indirect de mener une guerre par procuration contre un ennemi désigné. À juste titre, Charles-Philippe David revient sur le financement d’Al-Qaïda par les États-Unis (de la même manière qu’ils ont financé les Contras du Nicaragua par exemple) pour combattre l’ennemi soviétique. De même, l’implication de certains belligérants comme l’Arabie Saoudite ou l’Iran est souvent citée par les spécialistes pour confirmer cette hypothèse (J. White, 2011; D. Gold, 2004).
La responsabilité des Etats-Unis
Cela dit, les guerres à répétition et le chaos qui s’en est suivi nous poussent à nous questionner sur leurs rapports avec la naissance du terrorisme islamiste. Il ne faut pas être un érudit pour voir que le djihadisme apparaît souvent dans les pays où le chaos sévit. Ainsi, pour utiliser le témoignage d’un acteur clé, le dernier livre de l’ancienne secrétaire d’État américaine aux affaires étrangères, Hillary Clinton, indique clairement que les États-Unis ont leur part de responsabilité dans la création de certains réseaux terroristes comme Al-Qaïda ou plus récemment Daech.
En effet, dans leurs «guerres de faible intensité» (N. Chomsky, 2012), l’ancienne chef de la diplomatie américaine a affirmé qu’Isis (Etat islamique, ou Daech) a été créée dans le but de procéder à un «partage» dans la région du Moyen-Orient (H. Clinton, 2014). Mais ces propos polémiques sont à nuancer dans la mesure où ils ont été démentis par l’ambassadeur des États-Unis au Liban. Mais l’implication des Américains – ou de tout autre pays — peut être vue autrement.
En effet, les interventions dans des pays comme l’Irak, le Yémen ou la Libye ont non seulement créé un chaos favorable l’installation durable de réseaux terroristes, mais aussi à la création auprès de ces derniers d’un sentiment de haine contre leurs occupants. Souvent, ces groupes s’attaquent à ce que Chomsky a désigné comme «ennemi lointain». Le sentiment de vengeance qui suit les interventions, dites en faveur de la démocratie, se manifeste par des attentats – comme le fussent les attentats du 11 septembre — à l’intérieur du cadre territorial des intervenants. «Les États-Unis apparaissent donc à leurs yeux comme la superpuissance qui entérine des situations d’injustice ou apporte son soutien à des régimes locaux impopulaires» (A. Lamchichi, 2002).
Les guerres d’aujourd’hui ne ressemblent en rien aux guerres interétatiques classiques. Généralement, les conflits qui se déclarent, engagent les États contre des acteurs non étatiques. Pour emprunter l’allocution de Rupert Smith, «les guerres parmi la population» (R. Smith, 2005), qui ont pour objectif premier d’isoler la population pour mieux la protéger, finissent par stigmatiser l’ennemi désormais considéré criminel et responsable de ses maux. Bien que les nouvelles opérations sont fondées sur le principe de «clear, hold, build» (nettoyer, tenir, entretenir), celles-ci n’empêchent en rien une mise à l’écart de certaines franges des populations.
À cet égard, un des exemples les plus flagrants est le balayage de l’iris (ou biométrie) pratiqué par l’armée américaine après la seconde bataille de Falloujah en 2004. Ces mesures s’inscrivent naturellement dans le cadre de la guerre contre le terrorisme. Toutefois, comme énoncé dans ‘‘Chronique d’une guerre d’Orient’’ (G. Kepel, 2002), elle créée un sentiment insurrectionnel à l’égard de l’occupant. Ce sentiment favorise à son tour un besoin de vengeance qui se manifeste par l’organisation de réseaux terroristes.
En conclusion, le terrorisme islamiste est né dans des pays où le contexte socioéconomique et politique n’a pas toujours été favorable au développement de leurs populations respectives. Comme en Algérie, l’État oppresseur a créé la frustration nécessaire à la radicalisation de sa population. Et comme en Afghanistan, la guerre par procuration a conduit au renforcement d’un groupe de résistants par son financement par les Américains.
Ensuite, l’internationalisation du terrorisme islamiste est la résultante d’interventions étrangères qui ont poussé ces pays dans un climat d’insécurité. Ainsi, le sentiment de vengeance qui en découle force les islamistes radicaux à perpétrer des actions terroristes contre l’ennemi lointain. De plus, le soutien de certains États musulmans a aussi donné ce caractère international au terrorisme islamiste.
Cependant, ces raisons ne suffisent pas à expliquer à elles seules l’émergence de ce type de terrorisme. La locution «terrorisme international» comporte une composante dont l’analyse peut nous donner des renseignements supplémentaires sur la genèse et l’internationalisation du djihadisme. Une deuxième étude serait requise afin de comprendre comment l’islamisme engendre le terrorisme islamiste.
* Consultant en communication politique.
Bibliographie :
• Benchiba, Lakhdar, 2009, «Les mutations du terrorisme algérien». Politique étrangère (no 2), p. 345-352.
• Banifatemi, Yas., 2002, «La lutte contre le financement du terrorisme international». Annuaire français de droit international. (Vo.48) pp. 103-128.
• Burke, Jason. 2007. ‘‘The true story of Radical Islam’’, Londres, Penguin.
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• Chouet, Alain, 2003, «Violence islamiste et réseaux du terrorisme international», Politique Étrangère (n° 3/4), Pages 643-661.
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• Coll, Steve, 2004, ‘‘Ghost Wars: The Secret History of the CIA, Afghanistan, and bin Laden, from the Soviet Invasion to September 10, 2001’’, Londres, Penguin.
• David, Charles Philippe, 2004, ‘‘Au sein de la Maison Blanche : la formulation de la politique étrangère des États-Unis de Truman à Clinton’’, Québec, Presses de l’Université Laval.
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• Kepel, Gilles. 2001. « Jihad: expansion et déclin de l’islamisme ». Politique étrangère. (vol. 66, n° 2). pp. 465-469.
• Kepel, Gilles. 2002. Chronique d’une guerre d’Orient. Paris: Gallimard.
• Kepel, Gilles. 2003. la revanche de Dieu : Chrétiens, juifs et musulmans à la reconquête du monde. Paris: Seuil.
• Kepel, Gilles. 2004. « le terrorisme est né en Afghanistan ». L’Histoire (n° 293). p. 18-19
• Kepel, Gilles. 2004. Fitna : guerre au cœur de l’islam. Paris: Gallimard.
• Khattar, Abou Diab. 1991. « Gilles Kepel. La revanche de Dieu ». Politique étrangère (vol. 56, n° 2). Pp. 564-565.
• Labat, Séverine. 1995. Les islamistes algériens: entre les urnes et le maquis. Paris : Seuil.
• Lamchichi, Abderrahim 2000. L’islamisme en Algérie. Paris : L’Harmattan.
• Lamchichi, Abderrahim. 2002. « Al-Qaïda », Confluences Méditerranée (N° 40). Page 41-56.
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• Martinez, Luis. 1998. « La guerre civile en Algérie ». Paris : Karthala.
• Roy, Olivier. 2004. Islam mondialisé. Paris : Seuil. 240 pages.
• Smith, Rupert. 2005. The Utility of Force, The Art of War in the Modern World. Londres: Londres: Vintage.
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