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Assassinat de Belaid : Les dessous d’un crime islamiste (7e partie, article 1)

Kamel Gadhgadhi, Ahmed Rouissi et Boubaker El-Hakim. 

L’affaire de l’assassinat de Chokri Belaïd sera examiné, de nouveau, mardi 25 avril 2017, l’occasion de rafraîchir certaines mémoires amnésiques, en poursuivant la publication de cette série d’articles contre l’oubli. 

Par Abdellatif Ben Salem

Les précédents articles ont présenté et analysé les circonstances générales de l’assassinat de Chokri Belaid. Dans cette dernière partie, qui sera publiée en deux parties, il sera question des exécuteurs. Le menu fretin, en somme, les commanditaires et véritables cerveaux n’étant pas encore nommément identifiés, même si leur appartenance politique n’est plus un mystère.

Kamel Gadhgadhi, né à Oued Melliz (Jendouba), 39 ans, abattu en 2014, alias «Abou Sayyâf», «Abou Walid» et «Kamel El-Zamaqtel», pour avoir suivi, à partir de 2010, une formation à l’art martial zamaqtel crée par le salafiste-jihadiste Moncef Ouerghi.

Ex-membre des Ligues de protection de la révolution (LPR), une milice violente au service du parti islamiste Ennahdha.
En 1998, il obtint un baccalauréat section gestion économique et s’inscrit à l’université d’El-Manar. Il se rend en 2003 aux Etats-Unis où il se lie à une citoyenne américaine. Ils projettent de se marier, mais un ordre d’expulsion émis contre lui, sur fond de durcissement des conditions de séjour des étrangers consécutif aux attentats du 11 septembre 2011, ruine cette liaison. De retour à Tunis, il reprend ses études et obtint une licence en comptabilité. D’après l’un de ses complices(1), Gadhgadhi sombre dans l’alcoolisme et végète durant des années grâce aux mandats envoyés par son amie américaine. Entre 2008 et 2009, il effectue un séjour en Malaisie, avant de retourner au pays où il trouve un emploi dans une maison d’assurance.

A l’avènement de la révolution tunisienne, en janvier 2011, il change totalement de comportement. D’après les dépositions de ses complices, il se radicalise en un court laps de temps et se convertit au salafiste.

Il s’installe à Sejnane, au moment où ce bourg berbère de 5000 habitants, tombé dans l’escarcelle des salafistes, allait se transformer en bouillon de culture où fermentait, à 100 kilomètre de Tunis, l’utopie d’un émirat salafiste gouverné par la police religieuse (Hisba). Là-bas, Gadhgadhi s’emploie à dispenser un entrainement au zamaqtel, tout en continuant à travailler comme entraîneur dans une salle dédiée à la diffusion et à l’apprentissage de cet art martial. En 2012, il confie à l’une de ses connaissances s’être infiltré une première fois en Libye pour y apprendre le maniement des armes. Il y revient une seconde fois, en septembre de la même année.

En janvier 2013, Seifallah Ben Hassine alias Abou Iyadh, chef d’Ansâr Charia, le nomme «émir» d’une cellule terroriste constituée de Mohamed Amine Guesmi, Salmane Marrakchi, Marouane Haj Salah, Boubaker El-Hakim, Lotfi Ezzine, Abderrraouf Talbi et Ezzedine Abdellaoui, qui seront tous soupçonnés d’avoir trempé matériellement dans l’assassinat de Chokri Bélaid, secrétaire général du Parti des patriotes démocrates unifié (Watad), le 6 février 2013, et Mohamed Brahmi, secrétaire général du Courant populaire et député de la Constituante (nassérien de gauche), le 25 juillet de la même année.

Mohamed Brahmi et Chokri Belaid peu de temps avant leur assassinat.

Mohamed Brahmi et Chokri Belaid peu de temps avant leur assassinat.

Nous reproduisons ci-dessous les aveux enregistrés(2) d’Ahmed Melki alias El-Somali, sur les circonstances de meurtre de Belaid, telles qu’il les a entendues de la bouche de Kamel Gadhgadhi en personne: «Gadhgadhi a échoué à trois reprises en tentant d’assassiner Belaid. La quatrième fois, il implora Allah de l’aider à accomplir sa besogne. Le 6 février 2013, il demanda à son complice (Mohamed Amine Guesmi) de l’attendre sur son motocycle à proximité de la résidence de Belaid. Il marcha en direction de Belaid, s’approcha de très près. Quand celui-ci s’engouffra dans son voiture, il tira une première balle pour exploser la vitre, ensuite plusieurs autres à bout pourtant, puis il courut vers son complice. Un homme a tenté de le prendre en chasse, il tira dans sa direction pour le faire fuir. Il justifia son acte par le fait qu’il considère Bélaid comme un mécréant (kâfir) ! Comme d’ailleurs tous les députés de la Constituante ainsi que les membres du gouvernement.»
Après l’assassinat et la diffusion de ses portraits, Gadhgadhi se réfugie avec Boubaker El-Hakim dans le massif montagneux de Chambi. Toutefois, ne supportant pas les conditions de vie en montagne, El-Hakim décide de retourner tout seul à Tunis. En plus d’affaiblir le régime de la «troïka», l’ancienne coalition gouvernementale alors en place, dominée par le parti islamiste Ennahdha, Gadhgadhi était persuadé, d’après El-Somali, que l’assassinat de Belaid allait plonger le pays dans le chaos, mais, finalement, il considéra que le double assassinat (de Belaid et de Brahmi) n’a pas atteint l’effet escompté, à savoir la déstabilisation du pays. «Tout ce qu’on a pu obtenir à la fin, a dit Gadhgadhi à El-Somali, est un simple changement de gouvernement, ce qui n’était pas l’objectif recherché par Ansâr Chariâ.»

Après le meurtre de Belaid et la fuite vers Chambi, Gadhgadhi est retourné à Tunis pour, prétendait-il, unifier les rangs de l’organisation Ansâr Charia en mettant sur pied une nouvelle colonne (katiba) portant le nom de Junûd Al-tawhîd Bi-Tounes («Soldat de l’unicité en Tunisie») qu’il rangera sous la bannière de la Katiba Oqba ibn Nafi’ et dont la mission principale était de desserrer l’étau autour des foyers «jihadistes» au Chambi.

Le programme de la katiba en question comprenait la fabrication des colis piégés et l’établissement des contacts entre les partisans de l’organisation à travers tout le territoire, dans le but de coordonner les actions de sabotage contre les sites névralgiques de l’Etat, en particulier sécuritaires, la collecte des armes et de là, le retour à Chambi pour, dans un premier temps, le miner, ensuite livrer «la bataille finale» contre les forces armées du régime, assurer le contrôle total du pays et instaurer le califat (Dawlat Al-Khilâfa)…

Selon Gadhgadhi, Ansâr Charia comptait à cette époque tout au plus une trentaine d’individus au Chambi parmi lesquels il y avait des Algériens, des Mauritaniens et des Nigériens, qui ont posé des mines dans plusieurs endroits de la montagne et tendu des embuscades aux militaires et aux agents de la garde nationale.

Gadhgadhi a été abattu avec d’autres terroristes, le 3 février 2014, au cours de l’assaut donné par la brigade anti-terroriste contre une planque à Raoued, dont les circonstances demeurent obscures. En effet, cet assaut eut lieu 3 jours seulement après l’investiture de Mehdi Jomâa à la tête du 6e gouvernement provisoire après la révolution, qui succéda à celui d’Ali Larayedh, contraint à la démission par le Dialogue national.

Le timing de l’intervention policière continue à susciter nombre de questions. Contrairement à la version du ministère de l’Intérieur affirmant qu’elle a été décidée, en dehors de toute pression politique, suite à un appel téléphonique reçu par un confident de la police, venant d’un correspondant se présentant comme Kamel Gadhgadhi ! Les forces de sécurité – d’après la thèse policière, qui traquaient depuis un an le terroriste, ont réussi à borner l’origine de la communication et découvrir la planque, située à Raoued, où se cachaient des terroristes. L’assaut a été donné, les affrontements ont duré plus de 9 heures et se sont soldés par l’élimination totale des terroristes.

De la même manière, ajoutait la source du MI, la panique suscitée par l’intervention de la brigade anti-terroriste s’est traduite par un flux inhabituel de communications entre les différentes cellules terroristes, permettant la localisation d’Ahmed Melki alias al-Somali à Borj Louzir et son arrestation consécutive.

Plusieurs secteurs de l’opinion et du spectre politique, en particulier les responsables du parti de Chokri Belaid qui, par la voix de Mohamed Jmour, secrétaire général, ont émis des réserves quant à l’authenticité de cette version des faits, privilégiant l’hypothèse d’un grand nettoyage auquel les islamistes ont procédé, pour faire taire les assassins et empêcher tout risque de les capturer vivants.

L’élimination physique des terroristes d’Ansâr Charia avec une telle facilité, un an presque jour pour jour après l’assassinat de Belaid, tendrait à renforcer cette hypothèse eu égard au rapport des forces en présence qui était largement favorable aux forces de sécurité qui pouvaient les neutraliser et les arrêter vivants.

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Ahmed Rouissi (46 ans au moment des faits, donné pour mort en 2015) alias «Abou Zakaria».
«Emir» de la colonne (katiba) terroriste des «Signataires du pacte de la mort» «المتبايعون على الموت», dont le camp d’entraînement se trouve Sabratha (Libye). Ancienne taupe (probablement double) des services de renseignement tunisiens, il officiait jusqu’à 2007 comme voyant (‘arrâf) sous le pseudonyme d’Hélios. Il était le voyant attitré de Leïla Trabelsi épouse de l’ancien président Ben Ali. Il se livrait, grâce aux complicités dont il bénéficia dans les sphères du pouvoir et du système clanique de Belhassen Trabelsi, le frère de Leïla, à des trafics en tout genre qui lui valurent, en raison de sa voracité, la rupture avec ce dernier et une peine de 14 ans de prison pour escroquerie et trafic de stupéfiants.

A l’avènement de la révolution en 2011 et à l’étonnement de tous, Rouissi était le seul détenu à réussir à s’évader on ne sait comment, de l’Alcatraz tunisien, autrement dit, du pénitencier de Nador (Bizerte) réputé par la dureté des conditions de détention et de sécurité maximale, où il purgeait sa peine. Il est difficile de ne pas croire, avec les réserves d’usage, en raison de la grande confusion qui a régné à cette époque, à une évasion arrangée par des complices soit de l’intérieur soit de l’extérieur du pénitencier. La question restera posée : qui l’a relâché et dans quel but? Car nous savions qu’il ne s’agissait pas du seul et unique cas de «libération» déguisée en «évasion», sans parler de la libération massive de centaines de détenus condamné pour terrorisme, en vertu de l’amnistie générale décrétée un peu trop à la hâte, sans tenir compte du danger potentiel que certains d’entre eux représentaient pour la sécurité nationale.

Si l’on croit certaines sources, c’est au cours de son séjour carcéral que Rouissi a été apparemment converti au jihadisme par le doctrinaire de la salafiyya-jihâdiyya, Mohamed Al-Saïdani alors n°2 de la nébuleuse salafiste.

Ahmed Rouissi a participé à l’assaut contre l’ambassade américaine, le 14 septembre 2012, en convoyant des salafistes jusqu’au site de la représentation diplomatique dans un véhicule, celui-là même qui a servi pour les filatures et les préparatifs de l’assassinat de Chokri Belaïd.

Cinq mois plus tard environ. Le 21 février 2013, quinze jours après l’assassinat de Belaïd, Rouissi a été interpellé et écroué, mais ensuite relâché sans aucune charge retenue contre lui. Depuis, il a disparu dans la nature.

On a appris, grâce à un ancien terroriste d’Ansâr Charia au cours d’une émission diffusée par la chaîne Aljazeera, porte-voix officiel de la confrérie mondiale des Frères musulmans, financée par le Qatar, qu’Ahmed Rouissi a fait défection et quitté les rangs d’Ansâr Chariâ pour former son propre bataillon (katiba) probablement à Sabratha.

Citant le procès verbal d’interrogatoire n° 714 établi par l’Unité nationale de recherche sur les crimes terroristes, le journaliste Ahmed Elfaki écrivait(3) : «[…], installé dans une ferme jouxtant un camp d’entrainement au maniement des armes et des explosifs, Ahmed Rouissi alias Abou Zakaria a reçu le groupe chargé d’organiser une série d’attentats simultanée à Sousse et à Monastir et dans plusieurs autres endroits du territoire tunisien, il le forma aux techniques d’explosifs ensuite le renvoya en Tunisie pour exécuter des opérations terroristes sous sa supervision et celle de l’émir de la cellule baptisée Oum Yumna, du nom de l’épouse du terroriste Ridha Sebtaoui, abattue au cours des affrontements armés à Douar Hicher…)»

Un terroriste de l’organisation terroriste de l’Etat islamique (Daech) a reconnu avoir reçu, par l’intermédiaire de Rouissi lui-même, une formation militaire ainsi qu’un entrainement sur les techniques de recrutement des mercenaires destinés à la Syrie, en précisant que ce dernier compterait des partisans armés à l’intérieur même du territoire tunisien.

Ahmed Rouissi aurait été abattu, le 13 mars 2015, tout près de Syrte, dans le désert libyen, au cours des combats entre Fajr Libya, branche armée des Frères musulmans libyens, dirigée par l’ancien membre d’Al-Qaïda Abdelkrim Belhaj et instigateur du putsch contre les libéraux sortis vainqueurs des urnes, et l’organisation terroriste autoproclamée «Etat Islamique».

Huit mois après, la famille de Rouissi émettra des doutes sur sa mort, arguant de l’absence de sa tombe en dépit de la diffusion de la photo de son cadavre aisément identifiable.

Le nom d’Ahmed Rouissi est souvent associé à l’affaire de l’ordinateur connu sous le nom de la «la boite noire du terrorisme» saisi dans sa dernière planque au sud, avant de traverser la frontière avec la Libye.

Ali Larayedh, ancien chef du gouvernement islamiste, et ceux qui lui ont succédé se sont toujours refusé à dévoiler le contenu explosif, le mot n’est pas assez fort, de l’ordinateur de Rouissi, ainsi que les carnets saisis tout près de Médenine par la police tunisienne après l’exfiltration de ce dernier en Libye, et d’éclairer l’opinion sur l’affaire du vol, qui a défrayé la chronique, d’une quantité impressionnante d’explosifs dans les magasins de la défense nationale. On rappellera que le capitaine Imed Hizi et le lieutenant Socrate Cherni connaissaient le contenu des pièces saisies et l’aurait même stocké avec d’autres données dans une clé USB qu’il portait sur lui mais qui a disparu le jour de l’accrochage armé à Sidi Ali Ben Aoun, dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, le 23 octobre 2013, dans lequel il trouva la mort(4).

Ce jour-là, le pays attendait avec extrême tension la conférence de presse d’Ali Larayedh fixée pour 11 heures, au cours de laquelle il devait s’engager officiellement à démissionner conformément aux exigences du Dialogue National, quand soudain tombe la nouvelle d’affrontements entre gendarmes et terroristes à Sidi Ali Ben Aoun et se propage comme une trainée de poudre : 6 agents des forces armées, policiers et gardes nationaux tombaient dans une embuscade tendue par des terroristes barricadés dans une bâtisse isolée à Sidi Ali Ben Aoun. Touchés mortellement, les six y ont laissé leur vie: le chef de l’unité anti-terroriste Imed Hizi, les caporaux Mohamed Marzouki, Anis Salhi, Ridha Kasri, Tahar Chebbi et le jeune lieutenant de la garde nationale Socrate Cherni (28 ans) qui connaîtra une gloire immense.

Profitant de l’aubaine, Larayedh disparaît pour n’apparaître que vers 18 heures derrière le pupitre du palais du gouvernement, sans fournir la moindre explication à son retard de 7 longues heures, devant une salle de presse bondée et sous tension. Il annonce brièvement qu’il est disposé à annoncer la démission de son gouvernement seulement avec des conditions. Ce n’était pas ce qui est prévu. La riposte à la volte-face sentant le chantage, de Larayedh ne s’était pas fait attendre. Le Front de salut national (FSN) suspend sur le champ sa participation au Dialogue national, dont la reprise était prévue pour le 25 octobre. Dès le lendemain, la controverse sur la simultanéité surprenante du retard injustifié de 7 heures de la conférence de presse et le massacre de Sidi Ali Ben Aoun, incendie les réseaux sociaux et soulève maintes interrogations. Certains observateurs n’excluaient pas l’hypothèse d’une action concertée – ou manipulée peu importe – entre les groupuscules terroristes et les va t’en guerre au sein d’Ennahdha et leurs alliés, qui refusaient de céder le pouvoir, voulaient tuer dans l’œuf le Dialogue national, bloquer le départ du gouvernement islamiste et renvoyer sine die toute discussion sur leur départ. En clair, ils voulaient précipiter le pays dans le «chaos», que certains, adeptes des théories des néoconservateurs américains, croyaient dur comme fer qu’il est «créateur» الفوضى الخلاقة.

Rouissi est le cerveau des deux attaques suicides(5) avortés, le 30 octobre 2013, la première, quand le kamikaze Mohamed Jalili Ben Ayed Ben Romdhane, originaire de Zahrouni, a été empêché par la sécurité d’accéder au hall de l’hôtel Palm Beach à Sousse et s’est fait exploser (ou l’a été à distance) sur la plage de Boujâafar, et la deuxième, à Skanes (Monastir), quand le kamikaze, Aymen El-Sâadi, âgé de 18 ans, étudiant dans un Institut de théologie d’orientation salafiste, a été maîtrisé par des visiteurs avant qu’il n’actionne sa ceinture explosive au milieu du jardin du mausolée de Bourguiba.

Dans un entretien accordé le 30 juillet 2016 à Monia Guizani(6) et ‘‘Assabah.fr’’, Hosni Rouissi, frère d’Ahmed Rouissi, mettant en avant l’absence de la dépouille, a mis en doute la thèse de la mort de son frère au cours d’affrontement entre Ansâr Charia et Fajr Libya, précisant qu’ils avaient perdu par la même occasion toute trace de son épouse française et de leurs deux enfants.

* * * 

Boubaker El-Hakim (Paris 1983 – Raqqa 2016?), alias Abû Muqâtil Al-Tûnisî. Franco-tunisien, ancien recruteur de la filière irakienne des Butte Chaumont dans le 19e arrondissement de Paris pour Al-Qaïda. On sait maintenant qu’une fois entrés en Irak via la Syrie, ces recrues se présentaient à la résistance irakienne encadrée par les officiers de l’ex-armée irakienne, comme des volontaires venus défendre l’Irak et combattre l’invasion américaine, mais en réalité, ils venaient grossir les rangs d’Al-Qaïda pour faire de l’Irak en émirat islamique. Ils profitaient de la formation militaire prodiguée par les officiers irakiens qui croyaient former des volontaires pour renforcer la résistance.

Son jeune frère Rédouane El-Hakim est tué en 2004 dans un bombardement américain à Falloujah.

Abou Baker El-Hakim

Abou Baker El-Hakim tué le 26 novembre 2016 à Raqqa par un raid américain.

Après trois mois passés en Irak, Boubaker El-Hakim retourne en France en janvier 2003. En mars de la même année, il obtient à Damas un visa de séjour de trois mois en Irak où il intégrera «la Légion étrangère»; il retraverse quelques mois après la frontière en direction de la Syrie où il est interpellé et expulsé.

C’était à cette époque, qu’il fera la connaissance de Saber Mechergui et Karim Klaï, dont il sera plus tard question de leur implication dans l’assassinat de Belaid et de Brahmi. Il retourne pour la troisième fois en Irak. Mais il décide de rentrer en Syrie à la chute de Bagdad en avril 2003. Il est arrêté à Damas et renvoyé en France le 31 mai 2005. (7)

Arrivé en France, il sera aussitôt mis en examen pour «association de malfaiteurs» et incarcéré. Il écope Le 14 mai 2008 de 7 ans de prison assortis d’une peine de sureté de quatre ans et huit mois. Bénéficiant d’une remise du reliquat de sa peine d’emprisonnement, il est remis en liberté Le 5 janvier 2011. Il devrait quitter normalement la prison vers la fin du mois de mai 2012. Il s’installe alors en Tunisie post-révolution, prend ses quartiers dans une mosquée mise sous la coupe de la salafiyya-jihadiyya, gérée par des éléments d’Ansâr Chariâ à Tunis. Il participe à une filière de trafic d’armes avec la Libye voisine. Jusqu’à sa fuite en Syrie via la Libye, il bénéficiera d’une grande liberté de mouvement qu’il mit à profit pour introduire une grande quantité d’armes de guerre(8) dont une partie – deux grands sacs bourrés de grenade à main, de Kalachnikovs, des fusils à lunette et une grande quantité de munitions transférés suite à une alerte – a été saisie par la brigade anti-terroriste dans le garage de Saber Mechergui à M’nihla, qui a reconnu avoir donné un coup de main à El-Hakim pour convoyer les armes de la localité de Sanhaja (Sejnane) jusqu’au garage qui lui servait de dépôt d’eau minérale et de boissons gazeuses

Après l’assassinat de Belaid et de Brahmi, le parquet général ouvre le 1er août 2013 à Paris une enquête sur El-Hakim. Cependant jusqu’à sa mort, confirmée le 11 décembre 2016, le dossier de Boubaker El-Hakim ne contenait que le déclenchement d’une enquête pour participation à une entreprise terroriste. Rappelons au passage qu’à l’occasion de la tenue des innombrables procès des assassins de Belaid, renvoyés avec ponctualité depuis trois ans, son collectif d’avocats de défense a exprimé le souhait que la justice française lui communique le dossier d’El-Hakim.

Le 12 juillet 2013, une note envoyée par le département de sécurité de l’Ambassade des Etats-Unis à Tunis, est parvenue au directeur des services spéciaux (al-masâlih al-mukhtassa) en sa qualité de responsable de la direction de la sécurité extérieure tunisienne, ce dernier aurait remis la note, d’après la déposition de l’ancien ministre de l’Intérieur Lotfi Ben Jeddou devant le juge d’instruction(9), à son supérieur, le directeur général de la sûreté nationale (al-mudîr al-‘am li-l-amn al-watanî) Wahid Toujani, aux fins de dispatcher la note américaine aux différents services et à leurs antennes régionales.

La note en question renseignait les autorités sur l’existence d’un plan d’assassinat du dirigeant du Courant populaire et député à l’Assemblée nationale constituante (ANC) Mohamed Brahmi. Au cours de l’enquête réalisée autour du périmètre de la résidence de Brahmi, les enquêteurs de la police criminelle ont fini par porter leurs soupçons sur Boubaker El-Hakim et Anis H’dhili. En conséquence de quoi, une «descente» sur commission rogatoire sur la planque où se terrait El-Hakim, un appartement à la cité Al-Ghazela, a été programmée pour le 19 juillet 2013, soit 5 jours avant que l’irréparable soit commis. Une unité spéciale de la Brigade anti-terroriste? renseignée par un policier en civil s’est rendue sur place pour effectuer cette perquisition, mais le policier-fixeur, en mèche avec le terroriste, l’a déroutée sciemment, sur ordre d’un haut responsable de la sécurité (probablement de la police parallèle sous le contrôle d’Ennadha) vers une autre rue, afin de donner le temps à El-Hakim de prendre la poudre d’escampette.

Prévenu à temps, ce dernier a pu en effet se sauver par une fenêtre en oubliant dans sa fuite son kalachnikov, un automatique et son chargeur, une grenade à main et sa shlaka (babouche).

Plus tard on a appris qu’El-Hakim s’est refugié dans le massif montagneux de Chambi. Il se cachera ensuite un temps à Sidi Bouzid, plus précisément à Sidi Ali Ben Aoun, fief du salafiste-takfiriste Al-Boukhari Al-Idrissi, avant d’être finalement exfiltré vers la Libye d’où il rejoindra le front syrien.

Introuvable, son complice Anis H’dhili aurait quitté le pays pour le Mali où il trouva vraisemblablement la mort.
Après l’attentat de ‘‘Charly Hebdo’’ le 8 janvier 2015, la police française a découvert la trace d’un contact – téléphonique à ce qu’il semble – datant de 2005 entre El-Hakim – qui a également engagé sa responsabilité dans le massacre de ‘‘Charklie Hebdo’’ – et Chérif Kouachi, 32 ans, l’un des frères Kouachi, auteurs de la tuerie de la rédaction du journal satirique, quand ce dernier appartenait à la bande d’El-Hakim du réseau de recrutement des jihadistes pour l’Irak, connu, comme nous l’avions indiqué, sous le nom de «Filière des Buttes-Chaumont», qui était alors dirigée par l’ex-mentor spirituel des frères Kouachi Cherif et Said et auto proclamé «émir», le prédicateur de la mosquée de la rue de Tanger, Farid Benyettou(10).

Benyettou a été jugé en 2005 dans le cadre de cette affaire, écopant d’une peine de six ans de prison ferme (11).
Par ailleurs, d’après l’enquête menée par les polices françaises et britanniques sur l’attentat de Sousse, El-Hakim serait également l’un des instigateurs de l’attaque du musée du Bardo et de la tuerie de l’hôtel Riu Impérial Marhaba à Sousse, qu’il aurait planifiée à partir de son repaire à Raqqa où il dirigeait une unité d’opérations au sein de l’organisation terroriste autoproclamée de l’Etat islamique en Irak et en Syrie, chargée des préparer des attentats extérieurs. Plusieurs prévenus dans ces attentats étaient passés en effet par les camps d’entrainement supervisés par El-Hakim en Syrie(12).

Dans une vidéo de propagande postée le 18 décembre 2014 au nom d’Ansâr al-Charia, il revendiqua l’assassinat de Chokri Belaid et de Mohamed Brahmi, à propos duquel, il déclara, dans un entretien au magazine de propagande de L’EI, ‘‘Dâbiq’’ : «Je l’ai tué en tirant dix balles». Promettant encore plus d’assassinats: «Vous ne vivrez pas en paix tant que la Tunisie n’appliquerait pas la loi islamique»(13).

Voici la réponse d’El-Hakim à Ahmed el-Melki alias Al-Somali, dont il sera question dans les lignes suivantes, qui lui a demandé de lui raconter comment et pourquoi il a assassiné Mohamed Brahmi (14) : «L’objectif d’Ansâr Charia est de plonger le pays dans le chaos par le recours à l’assassinat des hommes politiques et des journalistes. Une liste est déjà prête, Maya Jribi, Kamel Morjane, Ibrahim Qassas et Ameur Larayedh ! C’est le moyen pour l’organisation de ‘‘parfaire son image’’ auprès de ses partisans et sympathisants et démontrer qu’elle est forte, capable de renverser le régime et de construire à la place l’émirat islamique. A propos des circonstances de l’assassinat, El-Hakim a précisé qu’il a tiré sur Mohamed Brahmi plusieurs balles à l’aide de deux pistolets automatiques, un Beretta, et un Smith, ensuite il prit la fuite».

L’ancien agent de police, Ezzedine Abdellaoui, autre prévenu, aurait reconnu, dans sa déposition, qu’El-Hakim faisait partie de l’escadron de tueurs chargé par Ansâr Chariâ d’assassiner Mohamed Brahmi, précisant que c’est El-Hakim qui tua de 14 balles à bout pourtant le député de la Constituante devant son domicile. Les extraits d’aveux publiés dans des journaux ne disent pas en revanche comment El-Hakim a participé à l’assassinat de Chokri Belaïd.

A l’occasion de la deuxième commémoration de l’assassinat de Brahmi, Mongia Bouazizi du quotidie ‘‘Al-Chourouk’’ a rendu publiques de nouvelles révélations qui méritent d’être reproduites ici : «[…] Un certain K. M. (pour Kais Mchalla !), commerçant temporairement séparé de son épouse, a prêté son appartement vacant sis à le cité Al-Ghazela à deux individus, Saber Mechergui et Karim Klaii, qui prétendaient être recherchés par la police pour leur participation à l’attaque de l’ambassade américaine. Quelques temps après Boubaker El-Hakim a fait son apparition dans l’appartement occupé par les deux terroristes (qu’il connaissait pour les avoir rencontrés dix ans auparavant en Syrie). Intrigué, le propriétaire des lieux a voulu reprendre son bien. Il en avait fait part successivement à deux hauts responsables des Services. Pas du tout surpris, ceux-ci lui confirmèrent qu’ils étaient au courant que l’appartement était bourré d’armes et d’explosifs mais qu’ils n’avaient pas reçu encore l’ordre de passer à l’action ! […]»

Il semblerait que l’informateur de la police n’était autre que l’oncle maternel d’El-Hakim(15). Mais avant d’en faire part aux services de sécurité, il se confia le 17 juillet 2013 à un responsable d’Ennahdha – parce qu’il en faisait sans doute lui-même partie – sur l’activité de son neveu et surtout sur les armes qui se trouvaient en sa possession. Après l’avoir écouté le responsable en question lui a promis de le recontacter mais il ne donna aucune suite. Le 14 décembre 2016 on apprend par le journal électronique ‘‘Businessnews’’ que, d’après une source judiciaire fiable, l’oncle d’El-Hakim, le responsable d’Ennahdha et le cadre sécuritaire ayant induit en erreur la section de la brigade anti-terroriste en lui fournissant une fausse adresse d’El-Hakim, sont entendus dans le cadre de l’affaire de l’assassinat de Brahmi par le bureau N° 12.

Le 26 novembre 2016 ? Repéré au volant de sa voiture à proximité du stade de Raqqa, El-Hakim a été ciblé, selon le collectif hostile tant à Daech qu’au régime syrien, ‘‘Raqqa is Being Slaughtered Silently’’ (« رقة تذبح في صمت »), par un bombardement américain.

Le 10 décembre 2016, le Pentagone annonce officiellement avoir abattu le terroriste.

Lente, trop lente même avec les assassins en vie, la justice tunisienne fait montre d’une célérité «exemplaire» quand il s’agit de «châtier» les terroristes morts et enterrés. Treize jours en effet après l’annonce de sa mort par les Américains, Boubaker El-Hakim, suspect n°1 dans l’assassinat de Mohamed Brahmi, à été condamné par contumace à la prison à perpétuité pour complot contre la sûreté de l’Etat et à 20 ans pour crime terroriste dans l’affaire de la branche militaire d’Ansâr Charia.

A suivre… 7e partie, article 2.

Notes:
1- Pour reconstruire l’itinéraire de l’assassin de Belaid, nous nous sommes entre autre basés sur l’article (en arabe) de Sabah Chebbi «Kamel Gadhgadhi : de l’alcoolisme au terrorisme» in « Assabahnews » (04/02/2016).

2- Un mois après avoir fait sa déposition, Ahmed Melki s’est rétracté – sur les conseils sans doute de son avocat –. Cependant les détails qu’il avait fournis, vérifiés et vérifiables, et la logique qui structure l’ensemble de sa version rendent extrêmement difficile toute tentative de décrédibiliser cette déposition. Lire l’article (en arabe) de Sabah Chebbi, «L’histoire complète du voleur et décorateur des salons devenu terroriste», « Assabahnews.tn » (04/02/2016).

3- « Akherkhabaronline » (02/06/2016).

4- Une semaine après la mort de deux gardes nationaux, le lieutenant Mohamed Ferchichi et le sergent Karim Hamdi, sauvagement massacrés par 23 terroristes à Dour Ismail et la mutinerie qui a failli se transformer en une insurrection dans les pays, le 18 octobre, à la caserne de Laouina d’une centaine de gardes nationaux contre les chefs de la « troïka », Marzouki, Ben Jaafar et Larayedh arrivés à la caserne, totalement indifférents à la douleur des camarades des disparus, avec un retard de trois heures, à la cérémonie d’hommage aux martyrs, tandis que les dépouilles pourrissaient lentement au soleil.

5- Au moment où nous écrivons ces lignes nous avons appris par la presse la condamnation par contumace, il y a quelques jours, contre Ahmed Rouissi, dans l’affaire de ces deux attentats, à la prison à perpétuité, plus 30 ans de prison pour appartenance à organisation terroriste…

6- « Assabahnews.tn » (30/07/2016).

7- « Le Monde. fr » (11/12/2016).

8- Rappelons qu’après l’assassinat de Mohamed Brahmi, sa veuve Mbarka Aouania-Brahmi, à révélé que son défunt mari a exprimé par téléphone à deux reprises au président provisoire son inquiétude face à l’introduction massive des armes en Tunisie, Moncef Marzouki a répondu (sans le conditionnel) «qu’il n’y avait pas à s’inquiéter et que, tout compte fait, ces armes serviront au moment voulu pour réduire la contre-révolution, sachant que par « contre révolution »», Marzouki désignait l’opposition, majoritairement progressiste.

9- « Assabahnews » (11 avril 2015).

10- Invité controversé à l’émission de Thierry Ardisson «Salut les Terriens» du 7 janvier 2017 pour faire la promotion de son livre coécrit avec Dounia Bouzar, Benyettou qui a été formé par les Frères musulmans de Château-Chinon, reconnut «avoir adhéré à une idéologie meurtrière, [qu’il l’a] propagée parce [qu’il était lui-même] sous emprise». 

11- Repenti à sa sortie de prison, il a annoncé qu’il abjura La salafiyya-jihadiyya et entreprit une formation d’infirmier avant d’être recruté en octobre 2016 par l’anthropologue Donia (Dominique) Bouzar au Centre de prévention des dérives sectaires liées à l’Islam (CPDSI) chargé de contribuer à la mise en application du programme de déradicalisation. Ce centre touchait sous forme de subvention l’équivalent de 600 000 euros par an jusqu’au 2015. Conçu un peu à l’image d’un «centre de soins», son efficacité n’a jamais été à ce jour démontrée.

12- « Le Monde.fr » (08/12/2016).

13- Dans le même entretien , El-Hakim poursuit : «Nous avons voulu provoquer le chaos dans le pays […] afin de faciliter les mouvements des frères, d’apporter les armes et de libérer nos frères des prisons […] l’affaire a réussi, mais certains de ceux, associés au djihad là-bas se sont mis à défendre les institutions gouvernementales et ont ainsi saboté notre mission […] après toutes ces tentatives, j’ai décidé de me rendre au Sham et d’y rejoindre L’Etat islamique», « Dabiq », mars 2015, repris par « Le Monde » (10/12/2016).

14- Pour contextualiser la rencontre entre El-Hakim et Al-Somali, précisons que 24 heures avant l’assassinat de Mohamed Brahmi le 24 juillet 2013, d’après la déposition d’Ahmed Melki alias Al-Somali, le dénommé Riadh Louati, alias «Abou Obeida», dirigeant d’Ansâr Charia – abattu à Raoued le 3 février 2014 – a appelé Al-Somali pour lui annoncer que son voisin allait être supprimé et lui demanda de quitter la région pour éviter les poursuites judiciaires. Le lendemain, 25 juillet, quelques heures après l’assassinat, Louati rappelle à nouveau Al-Somali pour l’informer qu’il est recherché par la police et lui propose en conséquence de le mettre à l’abri dans une maison à Raoued et c’est là où il fit la rencontre avec El-Hakim. Extraits de l’article (en arabe) «L’histoire complète du voleur et décorateur de salons devenu terroriste» de Sabah Chebbi, in « Assabahnews » (04/02/2016).

15- El-Hakim partait au jihad en famille, outre son jeune frère Rédouane abattu en Irak, il a été rejoint en Syrie par sa mère, son demi-frère et l’épouse de ce dernier. Le 6 décembre 2016, trois autres membres de sa famille vivant en France ont été placés en garde à vue, la mère de l’épouse de son demi-frère soupçonnée de leur envoyer des mandats, et les deux sœurs d’’El-Hakim dont l’une aurait fait un passage par l’organisation terroriste Etat islamique. 

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