Le second tour de la présidentielle française se tient ce dimanche 7 mai 2017 : une France bleu Marine? Voire !
Par Farhat Othman *
L’adverbe «voire» a deux acceptions : vieillie, au sens de «vraiment, sans doute» et ironique, signifiant : «j’en doute». Il est utilisé en ce sens dans cette analyse du second tour de la présidentielle française, un triomphe pour Macron, sauf surprise d’un scrutin disputé, contesté même.
L’inconnue du scrutin est la participation, le taux d’abstention qui pourrait se révéler être la clef de ce qui est donné pour quasiment improbable, la victoire de l’extrême droite.
Le sort scellé de Marine Le Pen ?
Pour une fois, il semble que le débat d’entre les deux tours des candidats ait scellé le sort de l’un des candidats, Marine Le Pen en l’occurrence qui y aurait intégré la défaite. Aussi, si victoire improbable il y avait ce soir, elle lui serait offerte par la démobilisation des forces d’en face ayant refusé de constituer le front républicain qui a valu à son père, seul autre candidat du FN à accéder à un second tour d’une présidentielle de la cinquième république, d’être battu à plate couture par Jacques Chirac.
Les militants du FN semblent d’ailleurs réviser leurs ambitions, souhaitant désormais moins la victoire que d’atteindre la barre symbolique des 40% afin de limiter un désastre annoncé et espérer peser quelque peu sur les législatives de juin et la politique future du pays. Aussi, même la mobilisation des frontistes, qui semblait acquise, peut n’être pas au rendez-vous en ce jour. Tout comme leur candidate au débat, nombre d’entre eux intégreraient la défaite.
En effet, durant son fameux débat, Marine Le Pen s’est comportée en opposante, ayant eu des réparties inadmissibles, telle cette phrase de nature à sceller une destinée. Elle s’est écriée à un moment : «Je ne comprends plus rien». Une telle affirmation est imprononçable de la part de qui veut diriger un pays, car si ce n’est pas lui, qui est donc en mesure de comprendre quelque chose en politique? Le poète — et cela devrait être encore plus le cas du politique — disait bien que lorsque les choses nous dépassent, il importe de feindre en être l’instigateur.
Le Pen veut-elle juste incarner l’anti-pouvoir ?
Le Pen semble donc avoir mis de la distance entre elle et l’Élysée, même si cela devait se jouer à quelques points âprement disputés en cas de forte mobilisation de la droite et d’une démobilisation de ses adversaires. À noter qu’un tel comportement de sa part refléterait un désir inavoué chez l’extrême droite française qui, au fond, ne voudrait pas du pouvoir, mais tout juste incarner un anti-pouvoir dans une opposition active.
C’est en tout cas ce que soutenait Raymond Aron qui, exclusion faite de la période particulière de 1940-44, a précisé que l’extrême droite française, aussitôt aux portes du pouvoir, fait tout pour ne pas y entrer, comme si l’échec était, à ses yeux, sa plus belle réussite.
Emmanuel Macron en roue libre?
Outre la participation et la mobilisation des uns et des autres, il est tout de même un élément impondérable à ne pas négliger, qui pourrait prendre des proportions inédites : c’est le facteur psychologique représenté par le rejet du système dont Macron symbolise le triomphe. C’est une telle vision des choses qui donne la conscience tranquille aux militants de gauche ou du centre, et même de la droite classique, qui refusent l’extrême droite, mais ne préconisent pas moins l’abstention ou le vote blanc.
On considère Macron en second candidat d’un PS appelé à disparaître, prolongeant en quelque sorte artificiellement un quinquennat Hollande bis. Aussi, chez nombre de Français, et non seulement parmi les électeurs de Le Pen, voter Macron équivaudrait à perpétuer la crise actuelle de la France. D’où la forte tentation, en refusant de voter pour l’archi favori, de ne pas choisir une plus grande soumission aux banques, espérant ainsi limiter sa victoire afin de pouvoir continuer de rêver à un monde meilleur en confortant la contestation sociale.
Paradoxalement, c’est la certitude de la victoire de Macron qui alimenterait ainsi sa défaite improbable, en plus de la certitude de gagner qu’affiche le jeune présidentiable, assimilée à de l’arrogance. Au reste, c’est l’impression donnée par Macron au débat. Il a même eu quelques bonnes réparties de nature à peser lourd dans l’inconscient collectif lors du vote. Citons-en celle-ci : «Vous êtes l’esprit de défaite. Je suis l’esprit de conquête de la France.»
Effectivement, la France a besoin de retrouver son esprit de conquête et Macron, qui a la jeunesse pour lui, est en mesure de l’incarner s’il ne se laisse toutefois pas aller à la facilité des solutions antiques. Son ambition lui servirait de terreau d’une réussite dont a besoin la France et le monde en plein désarroi en ce temps de pertes de repères et de faim d’un nouvel ordre mondial. Outre d’oser quêter un tel idéal sans manquer de s’enraciner dans le réel, il lui faut, assurément, avoir les moyens de sa politique.
Une bataille pour les législatives
Le sentiment largement partagé en France est qu’avec un quinquennat Macron, le pays continuerait à souffrir d’une politique néolibérale injuste. C’est cela qui fait que d’aucuns cherchent à ce que la présidentielle ne soit pas dominée par le choix du «moindre mal», rappelant qu’il reste malgré tout un mal à éviter et supposant de faire en sorte d’en réduire l’expansion.
On soutient alors qu’une oligarchie ultra libérale, euro-atlantiste à l’Élysée et à l’Assemblée serait une calamité bien moindre que celle d’un FN à l’Élysée. Car cette dernière hypothèse aurait même l’avantage de galvaniser les mouvements sociaux afin de défendre leurs acquis, d’autant plus que l’accès au pouvoir décrédibiliserait un parti se disant «anti système» mais qui en fait partie. Ce premier étage de l’argumentation anti-Macron trouverait son second étage, plus pratique, dans l’ambition de limiter au maximum son score à ce second tour dans ce qui serait une bataille par anticipation pour les législatives de juin.
Au-delà d’une victoire de Macron logiquement quasi mathématique, qui serait suivie d’une majorité confortable à l’Assemblée dans le cadre de la dynamique de la victoire, on agirait donc à en limiter l’étendue, la remettant en quelque sorte en cause avec un parlement qui ne lui soit pas totalement soumis.
Si le FN semble marcher vers la défaite présidentielle, il ne viserait donc pas moins une victoire in fine, législative cette fois-ci, qui serait plus facile à réaliser grâce à un émiettement des forces en présence comme au premier tour de la présidentielle.
Et ce serait aussi dans le sens de l’histoire, puisque cela scellera une mécanique inaugurée en 1987 par Mitterrand qui, en vue d’un second septennat, a invité à l’Assemblée le FN, incarné alors par le père de Marine. Au vrai, tout cela ne ferait que traduire une France se radicalisant, ce qui participe d’un phénomène mondial, un mouvement de civilisation même pour un changement total.
Si l’Europe est en crise, c’est que le monde entier l’est; ce qui suppose d’accepter d’en refonder enfin l’ordre injuste devenu un absolu désordre. Comment donc soigner une France fracturée en un monde sinistré? Sauf remède de cheval, l’esprit du temps reste propice à l’expression et au développement des extrêmes, d’où tensions et remises en question en un monde à la dérive.
Avec une assemblée ingouvernable du fait d’une majorité introuvable, Macron qui veut incarner «une nouvelle forme de politique» et qu’on qualifie déjà de «nouvel empereur de l’Europe», irait à la catastrophe, n’étant qu’un empereur nu. C’est à ce niveau que se situerait alors sa défaite improbable à la présidentielle.
* Ancien diplomate.
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