La stratégie adoptée jusque-là par l’armée tunisienne contre les groupes terroristes déployés dans les montagnes du nord-ouest a montré ses limites.
Par Abdelmajid Mselmi *
L’assassinat de Khalifa Soltani, vendredi 2 juin 2017, à Jebel Mghila, a choqué les Tunisiens à plus d’un titre. La société tunisienne, qui s’est fortement mobilisée après l’assassinat tragique de son frère cadet, le berger Mabrouk, en novembre 2015, sauvagement égorgé, a promis soutien et protection à la famille Soltani et espéré une riposte farouche contre les tueurs. En vain, car les terroristes ont récidivé et ont lâchement assassiné le frère de Mabrouk, défiant ainsi l’Etat et humiliant tout un peuple.
Les Tunisiens se sont sentis trahis et démoralisés, se mettant même à douter de la capacité de l’Etat à lutter efficacement contre les terroristes et à assurer la sécurité des citoyens, surtout dans les régions limitrophes des zones contrôlées par ces derniers.
Les monts du nord-ouest «colonisés» par les terroristes ?
C’est en 2012 que les premiers groupes terroristes ont été repérés dans les montagnes du nord-ouest tunisien, à la frontière avec l’Algérie. Et contrairement à ce que prétendait, à l’époque, Khaled Tarrouche, alors porte-parole du ministère de l’Intérieur, il ne s’agissait pas de «personnes qui pratiquaient du sport pour faire baisser leur cholestérol» (sic !), mais bel et bien de terroristes.
Depuis, et à chaque fois qu’on pensait que ces derniers étaient mis hors d’état de nuire, ils surgissaient à nouveau comme des diables pour tuer, terroriser ou racketter les habitants de ces régions. Combien sont-ils maintenant? Même les responsables sécuritaires son incapables de répondre à cette question. Mais, en recoupant les informations éparses, on peut évaluer leur nombre à quelques dizaines et, malgré leur petit nombre, ils sont actifs, mobiles et très violents. Les forces sécuritaires et armées en arrêtent et en tuent certes assez régulièrement, mais les groupes parviennent à se reconstituer, bénéficiant apparemment de renforts réguliers, venant de Tunisie et des pays voisins.
La vie dans la montagne depuis plus que 5 ans a permis aux terroristes de s’adapter et, surtout, d’assurer leur ravitaillement en descendant dans les villages pour voler les réserves alimentaires de la population, qui cède sous la menace des armes, ou grâce au soutien logistique assuré par des agents recrutés parmi cette population, qui fournissent des équipements, des armes et des munitions, ainsi qu’un approvisionnement alimentaire régulier.
Pis encore: certains de ces maquisards se déguisent (notamment en se rasant la barbe) et descendent jusque dans les villes pour préparer et exécuter leurs attaques terroristes.
Bref, la montagne constitue une base stratégique pour le terrorisme dans notre pays. Et tant que cette base existe, l’éradication du fléau du terrorisme restera un voeu pieux.
Il est connu que dans la guérilla, les terroristes retranchés dans les montagnes ou les forets sont capables d’exécuter des opérations éclaires et spectaculaires, comme ce fut le cas au cours des 5 dernières années, démoralisant les troupes, semant le doute dans la population et déstabilisant les institutions républicaines.
Quelle stratégie militaire pour vaincre le terrorisme?
Durant l’été 2014, les forces armées se sont déployées de façon massive autour du Jebel Chambi et l’opinion publique a cru qu’elles sont décidées à reconquérir la montagne, à en chasser les terroristes et à y rétablir l’autorité de l’Etat Tunisien. A telle enseigne que l’ancien président par intérim, Moncef Marzouki, a promis de transformer cette montagne en un parc national ouvert aux Tunisiens et aux étrangers.
Le 16 juillet 2014, en plein mois de ramadan, un campement de soldats à Henchir Ettala, dans le mont Chambi, a été attaqué par les terroristes et le bilan fut lourd : 17 soldat tués et 20 autres blessés. Les assaillants s’en étaient sortis sans le moindre dégât. Est-ce que ce massacre et cette défaite cuisante ont poussé l’état major à changer de stratégie?Est-ce que l’armée a décidé de réduire ses postes de contrôle fixes dans la montagne, préférant les incursions ponctuelles et les frappes aériennes contre des cibles identifiées après repérage par les moyens modernes de renseignements?
Je ne suis pas un expert militaire pour disserter sur les stratégies à adopter mais en tant qu’acteur politique, j’estime que les stratégies adoptées jusque-là, en dépit des nombreuses victoires remportées, n’a pas permis de mettre fin ou au moins de diminuer de façon significative le danger terroriste et les groupes armés continuent à faire du mal aux Tunisiens qui se demandent jusqu’à quand cette situation va perdurer.
La communauté nationale a fourni beaucoup de moyens à l’armée et aux forces de sécurité, qui ont vu leurs budgets respectifs augmenter substantiellement au cours des dernières années pour le recrutement, la formation et l’acquisition de matériel.
Les pays amis ont apporté une aide technique et une collaboration étroite pour soutenir les efforts de la Tunisie dans son combat contre le terrorisme. Et il est légitime que l’opinion publique demande au gouvernement et à l’état major des éléments d’information sur la stratégie adoptée et les plans mis en œuvre pour nettoyer les montagnes du nord-ouest de la présence des groupes terroristes, même si l’on sait que l’Algérie voisine, qui fait face à ce problème depuis les années 1990 et qui dispose de moyens beaucoup plus importants que ceux de la Tunisie, n’a pas encore réussi à vaincre ce fléau.
* Dirigeant au Front populaire.
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