Les organisations de société civile viennent de formuler leurs contre-propositions au projet de Loi de Finances 2018, que vient de leur présenter le gouvernement.
Par Khémaies Krimi
Abstraction faite de la dimension populiste et corporatiste de certaines propositions formulées, elles méritent, dans leur ensemble, d’être examinées de près, car elles suggèrent des pistes crédibles qui, pour peu qu’elles soient retenues, peuvent contribuer à sortir le pays de la crise multiforme dans laquelle il se débat. En voici l’essentiel.
L’UGTT pour le renforcement du recouvrement et du contrôle fiscal
L’Union générale tunisienne du travail (UGTT) a proposé une vingtaine de mesures visant, dans l’ensemble, à intensifier le recouvrement fiscal pour accroître les ressources fiscales de l’Etat sans alourdir les contribuables par de nouvelles charges fiscales.
Points d’orgue de ces mesures un non catégorique contre l’amnistie fiscale générale, recouvrement des impayés de l’Etat auprès du fisc et de la douane, et interdiction des transactions en cash (monétaires) au-delà de 5000 dinars tunisiens (DT) – sont concernés particulièrement les contrats de vente de voitures et de logements –.
L’UGTT suggère d’obliger les distributeurs de médicaments, de tabac et de produits compensés (huile, produits céréaliers…) d’utiliser des factures électroniques à partir de l’importateur ou de l’industriel jusqu’aux commerçants de gros et de détail. Objectif : dissuader les manipulations frauduleuses et contrôler la traçabilité et le stockage de ces produits.
La centrale syndicale recommande l’institution d’un impôt sur les grosses fortunes, l’héritage, les contrats de donations dépassant 500.000 dinars, les spéculations financières à la bourse…
Elle propose une dynamisation de la Bourse de Tunis, le recours de l’Etat au marché financier pour lever les fonds, et l’institution d’une contribution exceptionnelle à l’impôt à la charge des banques.
Autres propositions de l’UGTT: équipement des cafés, restaurants, pharmacies et grandes surfaces, de caisses enregistreuses et leur connexion au système du fisc; mise en place de mécanismes de suivi de l’entrée et de la sortie des devises, et, surtout, des recettes des exportations et du tourisme ainsi que l’entrée des devises par les passages frontaliers; prélèvement d’un impôt forfaitaire d’un montant de 350 DT sur tout conteneur importé d’un pays avec lequel la Tunisie n’a pas d’accord commercial et 300 DT sur le reste des pays afin de mieux maîtriser le déficit commercial; suspension des revendications relatives au trop perçu sur la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) obtenue avant le 31 décembre 2016 jusqu’au premier janvier 2020, tout en préservant le droit des sociétés à revendiquer le surplus obtenu en 2017; amélioration de la gouvernance et du rendement de la Banque centrale de Tunisie (BCT) que l’UGTT tient pour responsable de la dépréciation de la valeur du dinar et du mauvais contrôle bancaire.
L’UTAP pour l’effacement des dettes de moins de 10.000 DT
L’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP) a axé ses propositions sur l’effacement des dettes des agriculteurs auprès des banques, particulièrement de celles qui ne dépassent pas les 10.000 DT. Pour ceux dont les dettes dépassent ce montant, l’UTAP propose de les exonérer uniquement des intérêts et des pénalités de retard.
Par ailleurs, l’UTAP déplore la complexité et l’opacité des textes régissant plusieurs taxes instituées en faveur des agriculteurs et suggère leur simplification et leur clarification afin que les exploitants agricoles en profitent réellement.
A titre indicatif, Abdelmajid Zar, président de l’UTAP, a révélé qu’un certain nombre d’aides accordées aux agriculteurs sont enregistrées auprès des banques comme des crédits.
L’Utica et la Conect pour la privatisation des entreprises publiques
Les deux organisations patronales, l’Union tunisienne du commerce, de l’industrie et de l’artisanat (Utica) et la Confédération des entreprises citoyennes de Tunisie (Conect) ont proposé, au gouvernement, de privatiser les entreprises publiques opérant dans le secteur concurrentiel et d’accompagner les nouvelles dispositions fiscales par des études d’impact économique.
L’Utica a proposé, pour sa part, tout un programme comportant des dizaines de mesures.
Au plan macro-économique, elle a proposé la digitilisation (numérisation) de l’administration tunisienne; la formalisation de l’économie à travers la valorisation du «capital mort»; l’introduction en bourse d’une partie du capital des entreprises publiques et la suppression de la compensation par la réduction des coûts de production; l’amendement de la loi sur les contrats de partenariat public privé (PPP) pour en élargir le champ d’application et introduire la délégation de service public; l’amélioration de la trésorerie des entreprises existantes par l’accès à de nouveaux concours bancaires et l’octroi de priorité aux produits et services nationaux dans les achats publics.
Au niveau microéconomique, les propositions de l’Utica concernent l’import-export, l’investissement non résident et résident (changement de statut, exonérations, extension, restructuration…), la fiscalité (TVA…), et les sanctions (arbitrage, conciliation…). Les principales sont la suppression de la TVA sur les investissements; l’exonération des bénéfices à l’exportation pendant les cinq premières années d’activité; la reconduction des avantages accordés par l’ancien code d’incitation aux investissements relatifs aux réinvestissements physiques; la révision de la définition des investissements éligibles au code d’incitation aux investissements pour tenir compte des particularités du secteur touristique; la clarification du régime transitoire des sociétés totalement exportatrices régies par le code d’incitation aux investissements dont la période d’exonération n’a pas expiré à la date du 1er avril 2017; l’octroi au profit des entreprises ayant subi un changement important de régime d’imposition un régime dérogatoire par exemple similaire au régime des sociétés nouvellement créées; l’octroi au profit des entreprises qui ont perdu le statut non-résident par le fait de la redéfinition de la notion d’export indirect un régime dérogatoire; la convergence totale entre résultat comptable et résultat fiscal, notamment en matière de provisions, pertes de change latentes, etc., et l’accélération et la facilitation de la restitution du trop-perçu fiscal.
La Conect, de son côté, rejette en bloc le projet de Loi de Finances 2018 et déplore l’absence d’études d’impact préalables des dispositions prévues par cette loi. Pour cette organisation patronale «tout impôt supplémentaire prévu par le projet de Loi de Finances aura un impact négatif sur la compétitivité des entreprises, sur leur capacité à promouvoir les investissements et sur leur perspectives d’extension». Selon elle, «cela bloque la création de nouveaux emplois».
D’un autre côté, elle a proposé l’intégration des adhérents au régime forfaitaire au régime réel, rappelant que leur nombre est estimé à 400.000 sur un total de 650.000 sociétés. Ces derniers garantissent des revenus fiscaux estimés à 28 millions de dinars (MDT) par an.
Elle a également suggéré de lutter avec plus de détermination contre l’économie parallèle qui représente 50% de l’activité économique.
La Conect a appelé le gouvernement à «oser» privatiser certaines entreprises publiques opérant dans des secteurs compétitifs et qui souffrent de mauvaise gouvernance, recommandant la vente des sociétés confisquées, outre la création de fonds d’investissement régionaux dont le rôle est d’appuyer les entreprises à l’intérieur du pays.
L’UTPL crie à l’injustice
L’Union tunisienne des professions libérales (UTPL) a exprimé, dans un communiqué, sa déception du projet de Loi de Finances 2018.
Le conseil estime que ce projet impose aux professions libérales de nouvelles impositions et taxations «injustes» qui augmentent la pression fiscale.
L’UTPL oppose son refus à toute nouvelle taxation visant les professions libérales, les sociétés ou le citoyen, sauf dans le cadre d’une vision claire pour la réforme fiscale, rejetant le projet de la Loi de Finances 2018 et considérant qu’il représente un grave précédent visant à obéir aux directives FMI.
L’organisation, qui défend les intérêts des professions libérales (avocats, médecins, dentistes, ingénieurs, architectes, experts comptables et comptables), invite le gouvernement à trouver des ressources supplémentaires en luttant contre la corruption ainsi que la contrebande et en organisant les secteurs marginalisés.
En effet, elle estime que le projet proposé encourage le marché parallèle et l’évasion fiscale et s’attaque au pouvoir d’achat du simple citoyen. Elle appelle, aussi, les autorités à entamer des négociations pour la création d’un Code fiscal de la profession libérale.
L’organisation affirme qu’elle n’hésitera pas à prendre les dispositions nécessaires pour contrer un projet «injuste» dans sa forme actuelle.
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