Analyse des 10 mesures annoncées par le chef du gouvernement pour relancer l’économie et impulser l’investissement.
Par Khémaies Krimi
Le chef du gouvernement, Youssef Chahed, a annoncé, à l’ouverture du Forum de l’investissement en Tunisie (TIF 2017), jeudi 9 novembre 2017, une dizaine de mesures visant à relancer l’économie tunisienne et à booster, particulièrement, l’investissement dans les activités productives à fort potentiel d’exportation.
Ces mesures consistent à supprimer les obstacles qui entravent l’investissement, à améliorer le financement des PME, à mettre au point un programme national exceptionnel pour soutenir les exportations, à impulser le programme «Tunis plateforme numérique 2020» et à lancer le programme d’énergie solaire tunisien.
Elles visent à appuyer le mécanisme d’essaimage des grands groupes économiques publics ou privés et à élaborer un programme «ambitieux» pour développer les régions à travers le renforcement des infrastructures et une nouvelle approche pour les grands projets structurants.
Cette approche aura pour composantes un plan directeur pour les projets à réaliser dans le cadre du partenariat public-privé (PPP) et le plan national regroupant les autoroutes, les zones industrielles et les pôles technologiques.
Il s’agit également d’améliorer la logistique portuaire à travers le lancement des études pour l’achèvement des quais 8 et 9 au port commercial de Radès, d’activer le livre blanc sur l’endettement du secteur du tourisme, de renforcer et de restructurer le réseau de soutien aux entrepreneurs.
Des mesures loin des attentes des investisseurs
Un regard d’ensemble sur ces mesures montre qu’elles ne sont pas nouvelles et qu’elles nécessitent, avant d’être mises en route, une sérieuse réactualisation.
C’est le cas de celle relative à l’essaimage des grosses entreprises publiques. Cette idée, qui a été déjà expérimentée sous Ben Ali, se défend économiquement parlant, mais elle risque de provoquer des mouvements sociaux et, surtout, une réaction négative des syndicats qui y risquent d’y voir une passerelle la privatisation de leur chasse gardée, les entreprises publiques.
C’est le cas aussi de l’extension du port de Radès à un moment où des voix s’élèvent pour réclamer la décentralisation d’une grosse partie de ses activités vers les cinq autres ports commerciaux du pays et leur spécialisation. L’annonce d’une telle décentralisation aurait été plus fructueuse que l’annonce de ce projet rébarbatif qui consisterait à «achever des postes d’amarrage 8 et 9».
Autre mesure qui n’a rien de vraiment nouveau : les contrats de partenariat public privé (PPP) avec un investissement total de 5.200 millions de dinars tunisiens (MDT), dont l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica, centrale patronale) ne veut pas en entendre parler tant que la loi les régissant le PPP n’est pas amendée pour en élargir le champ d’application et introduire la délégation de service public. Il serait peut-être intéressant de répondre à cette revendication qui, du reste, se défend.
La mise en place d’infrastructures dans les régions est certes nécessaire pour la relance de l’économie, mais les investisseurs ne demandent ni de «nouvelles approches mythomanes», ni de «grandes philosophies sur le smart-urbanisme», ni «cette combinaison de science-fiction entre autoroutes, zones industrielles, pôles technologiques». Ils ont besoin, plus simplement, de projets pragmatiques, à portée de main et réalisables dans le court et moyen terme, telles que la réhabilitation du ferroviaire est-ouest et l’accélération de la réalisation des «corridors est-ouest», liaisons routières expresses, programmées dans le XIIIe plan de développement (2016-2020) et visant à relier l’arrière pays à la logistique portuaire et aéroportuaire du littoral.
En prime, les régions intérieures, en ébullition et non encadrée actuellement, verront leur habitants se sédentariser et leur économie se diversifier et se relancer presque de manière automatique. Tous les stratèges de développement le savent. Le désenclavement des zones y est toujours suivi d’une intensification de l’activité économique.
Le programme ambitieux «Tunis plateforme numérique 2020» est trop flou. On aurait été mieux inspiré d’annoncer le démarrage de la digitilisation de l’administration publique, ce qui aurait fait satisfait investisseurs étrangers et locaux.
Moralité de l’histoire : ces mesures sont très vagues et constituent davantage une profession de foi qu’une stratégie crédible pour relancer l’économie du pays. Elles relèvent plus du tendanciel que du concret. Et, pis encore, elles ne tiennent pas compte, ou pas assez, des attentes des investisseurs, qui auraient dû être connues avant même la tenue de TIF2017.
Qu’attendent les investisseurs de TIF2017?
Pour les investisseurs locaux et étrangers, ces mesures ne peuvent pas, en principe, présenter un grand intérêt pour une raison simple. Pressés par le temps, ils sont venus participer à TIF2017 pour repérer des projets déjà ficelés, pour chercher des informations précises sur la qualité de l’environnement des affaires en Tunisie et, surtout, sur la sécurité dans le pays et les garanties de stabilité des législations adoptées ces deux dernières années en faveur de l’investissement.
Au nombre de ces textes qui intéressent les éventuels investisseurs, figurent la loi sur l’investissement, dont les textes d’application ont été publiés le 1er avril 2017, la loi sur les PPP, la loi sur la concurrence…
Au plan national, les mesures annoncées par le chef du gouvernement restent en-deçà des attentes. Le discours de M. Chahed est certes destiné en priorité aux investisseurs étrangers, mais compte tenu de la rareté de ses sorties publiques et de la délicatesse de la conjoncture, il aurait pu aussi adresser des messages positifs et optimistes à une opinion publique angoissée et craignant le pire.
Le chef du gouvernement aurait pu rappeler, à cette occasion, les trois piliers sur lesquels va se reposer le futur modèle économique tunisien, en l’occurrence l’économie numérique, l’économie verte et l’économie sociale et solidaire.
Cette dernière option, qui est le dada de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT, centrale syndicale), qui collabore étroitement à l’élaboration d’un projet y afférent, a été omise dans le discours de M. Chahed.
Il aurait pu aussi insister sur l’enjeu de l’agriculture, les risques des incidences négatives du réchauffement climatique sur cette activité et les incitations qu’offre l’Etat tunisien aux éventuels investisseurs étrangers qui s’aventureraient dans des projets d’atténuation de ces risques. Il y a, dans ce domaine, du business et des fonds institutionnels à collecter. Il y va également de notre sécurité alimentaire et de notre développement durable.
Des satisfactions, il en existe
Abstraction faite des limites des 10 mesures annoncées pour relancer l’économie du pays, le début du discours de Youssef Chahed aux investisseurs était particulièrement convaincant.
Le chef du gouvernement a mis l’accent sur des atouts sûr et certains que la Tunisie peut faire prévaloir en tant que site de production internationale attractif.
Il en a cité le régime démocratique, l’indépendance de la justice et la liberté d’expression qui prévalent désormais dans le pays. Ce sont des atouts auxquels les investisseurs étrangers sont, particulièrement, sensibles.
Il a eu le mérite aussi de rappeler la lutte du gouvernement contre la corruption et d’annoncer la promulgation prochaine d’une loi sur la flexibilité du taux change et la détermination du gouvernement à réduire au maximum les autorisations qui entravent l’investissement.
Il nous restera, bien sûr, à revenir sur les résultats de ce TIF 2017 pour mieux juger de son utilité et de la justesse des démarches suivies dans son organisation.
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