Et si la décision de Donald Trump reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël déclenchait… le futur processus de paix ? L’idée n’est pas aussi saugrenue qu’elle puisse paraître…
Par Roland Lombardi *
Le mercredi 6 décembre 2017, le président américain a reconnu Jérusalem comme capitale d’Israël. Cette décision historique a inévitablement provoqué la colère des Palestiniens et des opinions publiques arabes et musulmanes mais également de vives protestations et condamnations de la communauté internationale.
Au-delà des cris d’orfraie, du sensationnalisme médiatique, de la colère et des inquiétudes légitimes de part et d’autre, l’analyse de la déclaration de Donald Trump, comme tout autre événement politique ou géopolitique, doit pourtant être toujours appréhendée de manière froide et dépassionnée.
Alors essayons de comprendre de manière rationnelle les réelles motivations du locataire de la Maison Blanche.
Loin de moi l’idée d’apprécier un seul instant la personnalité de Donald Trump. Pour autant, même si le «Trump bashing» général de nos chers «spécialistes» essaie de nous convaincre que nous avons affaire à un clown, l’histoire nous apprend que dans les relations internationales, la dernière chose à faire est de sous-estimer un acteur ou un chef d’Etat quel qu’il soit.
En effet, je ne peux me résoudre à croire qu’un homme, qui est tout de même arrivé, contre vents et marées, à se hisser à la tête de la première puissance mondiale et qui par la suite a su s’entourer des meilleurs connaisseurs américains du Moyen-Orient depuis des décennies, ne soit qu’un imbécile heureux incurable.
Je reste persuadé que cette nouvelle bravade du sulfureux président américain est une décision beaucoup plus subtile et moins erratique, inutile ou mal venue qu’il n’y paraît. J’avais d’ailleurs annoncé dans un entretien à « Atlantico », en décembre 2016, ce qui est en train de se passer avec la reconnaissance de Jérusalem comme capitale de l’Etat d’Israël (alors que personne n’y croyait) : «Même l’annonce sur le transfert de l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem peut s’avérer être, au final, un moyen de pression supplémentaire afin d’obtenir, en échange, plus de concessions de la part des Israéliens». Et si donc, la principale raison était là ? D’autant plus qu’avec cette nouvelle «provocation», Donald Trump engrange aussi des bénéfices sur le plan de sa politique interne.
Un coup politique ?
En effet, la situation politique du Président américain est très fragilisée au niveau intérieur. Il subit des critiques quotidiennes et acharnées par la majorité des médias étasuniens et il est mis en difficulté sur le plan judiciaire (mise en examen notamment de son ancien conseiller à la sécurité nationale, le général Flynn, inculpé dans le cadre de l’enquête sur l’ingérence russe dans les élections présidentielles de 2016). Littéralement harcelé par l’establishment, ce que certains appellent «l’Etat profond», Donald Trump connaît actuellement une pression inédite depuis la démission de Richard Nixon en 1974.
En décidant de transférer l’ambassade américaine à Jérusalem, le président américain applique une loi votée par le Congrès en 1995. Toutefois, le Jerusalem Embassy Act autorisait la Maison-Blanche à reporter de six mois en six mois le principe du transfert en fonction de la situation géopolitique du moment. Clinton, Bush et Obama avaient toujours mis à profit cette option. L’administration Trump avait elle-même décidé un nouveau sursis en juin dernier.
Ainsi, en rompant avec cette «tradition», Trump n’a pas manqué d’égratigner ses prédécesseurs dans son discours et surtout, se présente, une nouvelle fois, comme un chef d’Etat audacieux et déterminé. L’effet est assuré chez ses donateurs et soutiens que sont les évangélistes, l’aile droite de la communauté juive américaine, les puissants lobbies pro-israéliens comme l’AIPAC et surtout dans son électorat populaire de base pour qui, il demeure un président courageux et qui surtout, tient ses promesses. C’est loin d’être négligeable pour lui et sans doute indispensable pour étayer ses choix de politique étrangère.
Un piège pour Netanyahou ?
S’il est avéré que Jérusalem est de fait la capitale de l’Etat hébreu puisque toutes les institutions politiques israéliennes sont dans cette ville, sa reconnaissance comme telle par l’administration américaine, au-delà de mettre fin à une hypocrisie internationale et défiant les retombées et les mises en garde de toute la planète, peut également se révéler être, aussi paradoxal que cela puisse paraître, un formidable moyen de pression sur le Premier ministre israélien Netanyahou.
C’est en écoutant attentivement la totalité du discours du président américain que nous pouvons entrevoir ce postulat pour le moins inattendu. En effet, en décryptant avec précision les mots prononcés mais aussi ceux qu’il n’a pas utilisés, le message subliminal adressé aux Israéliens devient limpide.
Rappelons au passage que Trump n’est pas seul et qu’il est entouré par de véritables spécialistes du Moyen-Orient (le secrétaire d’Etat, Rex Tillerson, le conseiller à la sécurité nationale, le général H.R. McMaster, le secrétaire à la Défense, le général James Mattis, ou encore le général John Kelly, le chef de cabinet de la Maison-Blanche).
Pour Israël, là encore, nous avons affaire à des gens sérieux et compétents : Jared Kushner (gendre et conseiller spécial du président), David Friedman (ambassadeur américain en Israël) et Jason Greenblatt (représentant spécial pour les négociations internationales, chargé notamment de gérer les relations entre Israël et l’Autorité palestinienne).
Ces derniers sont des experts de la politique israélienne, connaissant parfaitement les mentalités de ce pays, et sont des proches de Benyamin Netanyahou. Mais n’oublions pas que cette proximité peut également leur donner davantage de poids pour lui faire accepter d’éventuels compromis…
Pour en revenir à l’allocution du président américain (que malheureusement peu de gens ont écoutée ou lue dans son ensemble), Donald Trump fut sûrement cornaqué par son entourage évoqué précédemment. Ainsi, quoi qu’on en pense, il est resté relativement prudent et modéré. En effet, il ne parle à aucun moment de la totalité de la ville. Jamais n’apparaissent dans ses propos les adjectifs «indivise» et ses synonymes. Comme le souhaitaient d’ailleurs les Palestiniens, il indique qu’il ne lui appartient pas de changer les limites municipales de Jérusalem : «Nous ne prenons pas position sur les questions concernant le statut final, y compris les limites spécifiques de la souveraineté israélienne sur Jérusalem ou sur la résolution des frontières contestées». Il insiste même : «Ces questions sont laissées aux parties impliquées». De fait, même s’il n’emploie pas le terme, il n’évoque que Jérusalem Ouest.
A propos du fameux statu quo actuel sur le mont du Temple, sacré pour les musulmans et les juifs, Trump déclare : «J’appelle toutes les parties à maintenir le statu quo dans les lieux saints de Jérusalem, y compris le mont du Temple, également connu sous le nom de Haram al-Sharif». Depuis 1967 et confirmé par Israël lors des accords de Wadi Araba de 1994, son contrôle d’accès est laissé au Waqf et donne à la Jordanie le rôle privilégié de garante des lieux saints musulmans.
Enfin, pour la première fois, du moins officiellement, Trump a également mentionné et soutenu le concept d’une «solution à deux Etats» pour Israël et les Palestiniens, sous réserve que chaque partie l’approuve. Ainsi, tout n’est pas totalement fermé. Loin de là…
Au final donc, Donald Trump, chose étonnante et étonnement que personne n’a soulevé, ne fait que reprendre, de manière beaucoup plus opaque et spectaculaire certes, la position de Moscou.
En effet, au printemps dernier, le ministère russe des Affaires étrangères indiqua dans un communiqué que Jérusalem-Est devait être la capitale d’un futur Etat palestinien et considérait que «parallèlement, dans ce contexte, Jérusalem-Ouest comme la capitale d’Israël»!
3e Intifada et embrasement du monde musulman ?
Nombre d’observateurs ont alors prédit une catastrophe : la fin du processus de paix israélo-palestinien, une 3e Intifada et un embrasement du Moyen-Orient. Soit. Bien évidemment, les condamnations de la communauté internationale et surtout, du monde arabe, se sont multipliées. Le Hamas a annoncé «l’ouverture des portes de l’enfer» et a appelé à des «journées de rage». Les tensions en Israël, à Jérusalem et à la frontière de Gaza grandissent. De violents affrontements ont déjà éclaté en Cisjordanie… Reste à savoir combien de temps ils dureront et avec quelle intensité. Certes, la ville de Jérusalem, comme les questions religieuses, sont des sujets très sensibles dans le monde musulman.
Toutefois, et pour l’heure, je ne pense pas que cela soit l’intérêt de l’Autorité palestinienne ni d’Israël d’ailleurs, que la situation dégénère. Aussi, je ne crois pas, dans le contexte moyen-oriental actuel, que les dirigeants égyptiens, turcs, saoudiens ou jordaniens voient d’un très bon œil leurs rues s’enflammer…
De toute évidence, il ne faut pas perdre de vue que la puissance américaine les tient tous d’une manière ou d’une autre, soit par la bourse ou par leur alliance et leur protection.
Du côté israélien, même si son Premier ministre s’enorgueillit de la déclaration du président américain, il ne devrait pas se réjouir trop vite… mais il en est sûrement conscient. Les Américains ne donnent jamais rien gratuitement et surtout pas Trump, l’ancien businessman!
Qu’a-t-il demandé en échange? Pour l’instant nul ne le sait. C’est un secret de Polichinelle, mais depuis ces derniers mois, ses conseillers ont déjà commencé des négociations secrètes pour relancer le processus de paix israélo-palestinien avec tous les acteurs locaux et régionaux.
Les stratèges, les responsables militaires et des services de sécurités israéliens sont majoritairement enclins à faire la paix et à valider la solution à deux Etats. Netanyahou résiste encore, peut-être pour des raisons bassement politiciennes… Mais avec la dernière déclaration de Trump, il ne pourra peut-être plus refuser certaines conditions que les Etats-Unis lui imposeront dorénavant et ce, avec beaucoup plus d’insistance (échanges de territoires, Jérusalem-Est comme capitale palestinienne, qui sait ?).
Comme il l’a déjà dit, Trump veut signer «l’affaire du siècle» même si pour cela, il faut prendre des risques. En se présentant comme l’ami sincère d’Israël et en officialisant la partialité américaine sur ce dossier, Trump sera sûrement respecté et écouté par les Israéliens. Or, grâce à ce statut, il pourra être beaucoup plus exigeant et, surtout, leur demander beaucoup plus que ne l’ont fait les différents présidents américains jusqu’ici…
Par ailleurs, peut-être par simple orgueil ou pour sa propre gloire, il souhaite ardemment réussir là où tous ses prédécesseurs ont lamentablement échoué. Il faut clairement imaginer quel prestige international et surtout personnel il en tirerait…
À présent, Netanyahou est donc en quelque sorte piégé. Car assurément, le « matamore » et vaniteux Trump ne voudra surtout pas être déçus. Et ça c’est une certitude. Peut-être la seule d’ailleurs…
* Docteur en histoire, consultant indépendant en géopolitique et membre du groupe d’analyse JFC Conseil. Dernière publication : ‘‘Gaz naturel, la nouvelle donne ?’’ (co-aut., éd. PUF, Paris, 2016).
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