Youssef Chahed doit faire le ménage autour de lui, et dans l’urgence, pour sauver ce qui peut encore l’être, faute de quoi, personne ne pourra plus croire en lui.
Par Chedly Mamoghli *
Avant-hier, mercredi 7 février 2018, le Parlement européen a voté le classement de la Tunisie sur la liste noire des pays exposés au blanchiment des capitaux. Je reprends ici verbatim ce qui a été écrit dans le communiqué de presse du Parlement européen.
Tout d’abord, rappelons que c’est un vote émanant de l’organe législatif de l’Union européenne (UE) et non pas de son organe exécutif, la Commission européenne (CE). Ce n’est pas une décision prise par des technocrates bruxellois mais par des élus, des hommes et des femmes politiques.
C’est regrettable; toutefois, il y a des interrogations légitimes que tout citoyen tunisien a le droit de se poser. Il ne s’agit pas de régler des comptes avec le chef du gouvernement, Youssef Chahed pour qui j’ai le plus grand respect et encore moins pour réclamer son départ comme certains le souhaitent ici et là. Mais, je voudrai interpeller M. Chahed.
Une révocation qui suscite des interrogations
La première réaction fut le limogeage de Chedly Ayari, gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT). Cette révocation puisque c’en est une ressemblait plus à une répudiation qu’à un divorce. Entre nous, vous n’étiez pas élégant monsieur le chef du gouvernement en agissant de la sorte. Certes, le bilan de M. Ayari est plus que discutable, toutefois cette révocation ne passera pas pour un fait d’arme en votre faveur car la révocation de M. Ayari ce n’est pas vous, mais Noureddine Taboubi, le secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), véritable gouvernant du pays qui a exigé la tête de M. Ayari sans attendre la fin de son mandat. Et vint ce classement du Parlement européen pour exaucer le vœu de M. Taboubi dont les désirs sont des ordres.
De plus, cette révocation est une application de la théorie, vieille comme le monde, du fusible dont feu le président Bourguiba avait usé et abusé tout au long de son long règne. Sacrifier une tête pour faire baisser la fièvre auprès de l’opinion publique.
Bon, vous avez appliqué cette vieille recette caduque, dépassée et qui n’a plus d’effet auprès des citoyens? Vous avez limogé Ayari, et après? La belle affaire. Donc il n’y aurait plus de blanchiment d’argent? Non, M. Ayari n’est pas le seul responsable, vous l’êtes aussi M. Chahed. Cela fait un an et demi que vous êtes le titulaire de la Primature, qu’avez-vous fait en matière de lutte contre le blanchiment d’argent? aimerais-je vous interroger. Le financement opaque des associations? Celui des partis politiques qui poussent comme des champignons tous les jours? Le financement des Ong dont certaines sont des officines de services de renseignement étrangers? Les sociétés fictives ouvertes par des Tunisiens ou des étrangers qui n’emploient personne et qui n’ont aucune activité réelle, qu’en est-il de ces sociétés bidons?
L’argent sale du pétrole libyen passe aussi par la Tunisie
Au passage, l’excellent et édifiant article du grand reporter François de Labarre et de son collègue italien Piero Messina intitulé «A qui profite le pétrole libyen?» paru dans ‘‘Paris Match’’, le 10 janvier dernier, qui s’est basé sur le rapport établi par le groupe d’experts du Conseil de sécurité de l’Onu sur le trafic du pétrole libyen et sur l’enquête du parquet de Palerme, a révélé que l’argentier du trafiquant libyen Fahmi Ben Khalifa possède un compte dans la banque tunisienne Zitouna par lequel transite l’argent de ce trafic. Qu’en est-il de ce compte? M. Chahed, nous sommes des citoyens avertis et non pas des moutons de Panurge, répondez-nous nom de Dieu?
J’ai lu les déclarations de Hichem Ben Ahmed, secrétaire d’Etat au Commerce extérieur, que je salue au passage, disant que vous n’étiez pas au courant de l’éventualité de ce classement.
Ma foi, il aurait mieux fait de ne pas parler car ses déclarations ne vous sauvent pas mais vous enfoncent. À ce point vous êtes mal informé, monsieur le chef du gouvernement? On se croirait à l’école des fans de Jacques Martin. Que fait votre armée mexicaine de conseillers? À propos de vos conseillers, tout le monde sur la surface de cette Terre peut être limogé – même le Pape – sauf Taoufik Rajhi, le ministre conseiller chargé des Grandes réformes. Est-il béni des dieux? Marche-t-il sur l’eau?
M. Rajhi est en place depuis le gouvernement Hammadi Jebali, oui depuis ce gouvernement. Il a été le conseiller de tous les chefs de gouvernent de Hamadi Jebali jusqu’à Youssef Chahed. Lors du dernier remaniement, vous n’avez pas manqué de le promouvoir ministre et de le charger des Grandes réformes.
Non ce n’est pas une blague, c’est une réalité. De deux choses l’une, ou bien cet homme est un génie en matière économique et que ses réalisations et ses conseils ont été bénéfiques pour le pays et ont redressé notre économie et à ce moment-là, qu’il reste à Dar El Bey jusqu’à l’éternité. Ou bien, ce monsieur a un bilan catastrophique et il doit partir. Si c’était une sommité, pourquoi les autres Etats et les institutions internationales ne se l’arrachent-ils pas? La Tunisie est-elle devenue stérile en matière de compétence économique? Il n’y a que ce bonhomme? Les choix économiques qu’il a prodigués aux gouvernements successifs sont des choix suicidaires et impardonnables qui ont creusé les déficits et plombé les finances publiques.
Et il n’y a pas que le cas de M. Rajhi, vous devez aussi vous séparer de certains de vos conseillers qui ne connaissent pas la Tunisie et la mentalité tunisienne et qui gèrent le cas tunisien comme un échantillon économique de n’importe quel pays. Ces conseillers qui si on les lâche à Bab Bhar se perdent, qui ignorent tout aux spécificités du pays et de sa politique doivent partir.
Monsieur le chef du gouvernement, faites le ménage autour de vous, faute de quoi, personne ne pourra plus vous soutenir. Et ne faites pas preuve d’autisme politique, écoutez-nous car ceux qui se sont prêtés à l’autisme politique se trouvent actuellement dans les cimetières de la politique. Et surtout, vous devez vous séparer de ce M. Rajhi. Son maintien est une provocation.
* Juriste.
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