Sihem Bensedrine: la haine et la hargne chevillées au corps.
La nomination de Sihem Bensedrine, une juge autoproclamée aux pratiques douteuses (et onéreuses), à la tête de la justice traditionnelle en Tunisie, est plus qu’une maladresse, un crime inexpiable. Explications…
Par Yassine Essid
Méfiez-vous des populistes de gauche, des gauchistes repentis, des victimes des dictatures, des suppliciés des tyrans, des faux égalitaristes, des amis des pauvres, des idéologues des révolutions ratées, des défenseurs des justes causes, des altruistes invétérés, des ascètes pénitents, des hostiles à l’ordre établi, des tartufes de dévouement et de fidélité, des faux dévots et des vertueux islamistes lorsqu’ils se hissent au pouvoir, car ils possèdent, tous, cette qualité rare de changer si facilement de principes au point de devenir méconnaissables, abdiquant toute résistance aux privilèges!
La hargne des chiens qui cherchent leur nourriture
C’est que leurs comportements, naguère si discrets, leurs ambitions, anciennement si respectables, et leur militantisme, réputé si virulent, ne leur avaient jamais conféré ni droits, ni avantages matériels ou honorifiques.
Une fois titulaires d’une haute fonction publique, bénéficiant d’avantages et de revenus subitement très élevés, parfois au-delà du raisonnable, ils oublient complètement les habitudes partisanes qu’ils ont acquises par le passé. S’adaptent, avec une facilité déconcertante, aux nouvelles conjonctures, ils n’ont plus rien à voir aujourd’hui avec ce qu’ils étaient hier, oublient leur misère passée, les sacrifices consentis pour la défense de la liberté et de la justice, pour se complaire dans la compagnie d’un establishment politique qui aura perdu progressivement le sens des réalités.
Ils se ruent alors, avec la hargne des chiens qui cherchent leur nourriture dans les détritus des ruelles abandonnées, contre tous ceux qui entreprennent de les rappeler à la décence.
Sihem Bensedrine est de cette trempe. Une fois nommée présidente de l’Instance Vérité et Dignité (IVD), une instance dont la vocation est de croire à ce qui est juste et de restituer aux victimes des régimes répressifs la fierté et le respect dont ils ont été spoliés, son éminence se mit à commettre impair sur impair.
Le plus mémorable des impairs est incontestablement sa singulière équipée matinale du 26 décembre 2014, lorsqu’elle arriva au palais de Carthage escortée par six gros camions de déménagement, dans le but de saisir l’ensemble des archives présidentielles.
Le général chargé de la sûreté leur interdit l’accès au palais et renvoya ce corps expéditionnaire à ses campements.
L’inquisitrice en chef a choisi son camp, celui des islamistes et de leur chef Ghannouchi.
Archiviste générale et cheffe inquisitrice
Ainsi, forte de sa notoriété, protégée par son immunité, couverte par son impunité totale, Bensedrine s’était autoproclamée archiviste générale du pays. Il faut dire que cette vocation, elle la doit au bienveillant et irresponsable ministre de l’Intérieur du lendemain de la révolution de 2011, Farhat Rajhi. C’est là qu’elle s’initia à l’archivistique pseudo-révolutionnaire qui a coûté au pays le démantèlement des services de renseignement et c’est ainsi qu’elle contribua, avec d’autres, à la libération du chef d’Ansar Al-Charia, la section tunisienne d’Al-Qaïda, Abou Iyâdh.
À la tête de son instance, Bensedrine élèvera la traque des violations antédiluviennes des droits de l’Homme au rang d’une véritable culture. Elle passe son temps, depuis, à se labourer la substance grise afin de dénicher un coupable avec la détermination d’un inquisiteur, et à humer chez les morts autant que chez les vivants les relents d’hérésie.
Bien que ses prérogatives soient limitées par un cadre législatif, elle n’hésite pas à les outrepasser si jamais elles portent contrainte. Elle peut donc contrôler qui elle veut, quand elle veut, sans rendre de comptes. Il suffit d’une plainte d’un citoyen pour que l’ignoble machine se mette en branle.
Un redoutable tribunal d’exception
En effet, progressivement, l’ancienne militante des droits de l’homme avait vite fait de transformer l’IVD en un redoutable tribunal d’exception chargé de lancer des procédures tous azimuts, condamnant les coupables et absolvant ceux auxquels elle daigne faire grâce.
Avec une joie égoïste, elle se réjouit de faire tomber sur les têtes des uns et des autres le glaive suspendu sur la tête de tous. Elle est devenue le maître absolu de la procédure : celle d’un magistrat omnipotent, à la fois brouillon, intolérant, qui instruit les affaires, compulse inlassablement les centaines de dossiers et enregistre les dépositions des témoins. Ayant perdu le sens des réalités, elle voit le mal partout, se joue à la fois de la fortune et de la vie des accusés, condamne sans appel les coupables au bûcher avec la conscience d’un devoir accompli.
Grisée par le pouvoir, elle avait rapidement cessé de défendre la cause du peuple, de faire partie du camp du progrès et de la tolérance. C’est qu’elle n’a pas cessé depuis sa prise de fonction d’afficher une susceptibilité ombrageuse, effet d’une certaines surestimation de soi, un orgueil de grossièreté dans tout son maintien, et un mépris stupide pour tous ceux qui ne partagent pas sa piètre vision des choses. Bref, elle avance avec la raideur agressive d’un adjudant-chef affecté à la corvée de balayage. Elle est le prototype malheureux qu’en matière de liberté et de démocratie nous serions décidément incapables de nous diriger tous seuls.
Courbée sous le poids des haines qu’elle inspire, elle continue, malgré tout, à enrichir son palmarès avec la même ardeur persévérante, multipliant l’hideux spectacle d’auditions transformées en tribunaux révolutionnaires, nourrissant l’infantilisme bruyant des médias à la mode démocratique.
La haine, la vengeance, l’usage de la vindicte, du raccommodage de l’histoire trouvaient son solide doctrinaire qui, pour certains, passait aisément pour hardi et avancé dans ses idées.
Le camp de la haine en rangs serrés : Bensedrine et son parrain, Marzouki.
Tous sont coupables jusqu’à preuve de leur innocence
Mais pour rétablir la vérité, la présidente de l’IVD, qui nous enrichit chaque jour d’une nouvelle insanité, se voit obligée de traverser les décennies et les générations à pas de charge. La recherche de la vérité est chez elle poussée jusqu’au fanatisme. Personne ne trouve plus grâce à ses yeux, personne n’est irréprochable et aucun individu, quel qu’il soit, ne peut se prétendre en dehors de «sa loi» ni se dérober au tribunal de «son» Histoire. Tous ont quelque chose à se reprocher, tous sont coupables jusqu’à preuve de leur innocence.
Un jour ce sont les victimes youssefistes (adeptes l’ancien militant nationaliste Salah Ben Youssef, Ndlr), un autre les oppresseurs bourguibistes (adepte de l’ancien président Habib Bourguiba, Ndlr), sans oublier la généralisation des prétentions victimaires des rescapés de la révolution et leurs proches.
Enfin, toujours en quête de justice et par manque de témoins-vedettes qui viendraient faire entendre leurs doléances, elle fait remonter l’exigence de dignité au pillage des richesses naturelles de la Tunisie par la France coloniale. On la voit ainsi plongée dans les notices du Bottin du colonialisme, devenu instrument essentiel de son érudition, et en rapporter des considérations éblouies sur les chiffres du manque à gagner pour le jeune Etat indépendant.
Aussi, face à la crise de la dette souveraine et tout en endossant l’autorité d’un chef d’Etat intransigeant, elle exigera des dédommagements, réclamera à la France des remboursements. Et pourquoi pas sous la forme d’une annulation pure et simple de la dette ?
C’est donc tout un passé qu’il va falloir liquider même s’il faudrait pour cela marcher en sens inverse du progrès des peuples et des idées. Et pour comprendre cette marche rétrograde, il suffit de s’intéresser à sa conception de l’Histoire qui s’oppose à celle des historiens, devenus ses bêtes noires, objet et pâture de son animosité active. Elle trouve en effet que, non seulement ils ne connaissent rien à l’histoire des temps présents, mais n’ont eu de cesse de pervertir la réalité du passé, de dissimuler les preuves, de manquer de courage et d’objectivité, autrement dit d’avoir toujours été à la solde des régimes en place !
La sentence est dans un tel cas toute trouvée. Faute de condamner à périr par le feu les historiens, qui auraient manqué à leur devoir de vérité, elle organisera un immense autodafé de toutes leurs publications.
Une inquisitrice qui réécrit l’histoire à coups d’opérations médiatiques.
Les pratiques douteuses (et onéreuses) d’une juge autoproclamée
Dans la mesure où nous avons affaire à la présidente d’un tribunal d’exception, tout débat entre justice et histoire se trouve faussé. Cependant, sous prétexte d’une justice supérieure qu’elle croit incarner, calée dans sa conviction qu’il suffit de dire et de démontrer le récit des régimes autoritaires pour les faire reculer à jamais, qui pense que l’accumulation de preuves matérielles supprimerait les doutes sur la réalité de la dictature et de la répression, Mme Bensedrine s’était prise d’une religion pour l’histoire où elle est d’une irréprochable incompétence.
Elle admet en effet, que dans les cas d’urgence mémorielle et sociale, «sa» justice est seule capable de faire acte d’imposer une vérité immédiatement nécessaire. Ce genre de contradictions, qui semble lié aux résolutions de questions historiques directement en prise avec le fonctionnement social, apparaît avec autant de force dans l’exercice actuel de cette instance mise en place dans un pays marqué par un changement brutal de régime politique. Et c’est pour obtenir la paix sociale, que l’amnistie est accordée aux acteurs qui reconnaissent leurs crimes, en échange de leur participation à la constitution de la vérité.
Or cette mesure favorable à la restauration du lien social interdit que l’histoire ne débatte librement et rapidement des responsabilités, dans l’espoir que la communauté se ressoude.
L’historien est en effet détenteur d’une méthode censée lui permettre de tirer des enseignements nouveaux des affaires passées, proposer une autre lecture des faits, ce qui fait que les approches du juge et de l’historien ne paraissent guère compatibles. La différence entre l’activité de l’historien et celle du juge résiderait alors dans les liens noués avec les autres domaines dans lesquels ils possèdent l’un et l’autre des implications prioritaires, la mémoire, la construction identitaire pour l’historien, la paix sociale pour le juge, l’un agissant dans l’urgence, l’autre se donnant du temps et du recul.
Viendra le jour où la communauté historienne s’interrogera à son tour sur le rapport de Mme Bensedrine au réel, à la vérité et la dignité. Le débat portera alors sur les liens entre l’histoire et les pratiques douteuses d’une juge autoproclamée qui croyait mettre en valeur les particularités de l’usage social et politique du passé.
En dépit de toutes ses provocations, la république demeure assez magnanime envers Sihem Bensedrine, généreuse avec une instance appelée à entretenir une véritable armée dont il faut payer traitements, soldes et salaires.
De même, notre chère constitution, pour soutenir l’effort obstiné de cette petite bonne femme qui ne se laisse nullement impressionner, lui accordera une foule d’immunités lui permettant d’échapper à tout contrôle.
Avec une arrogance sereine, elle s’est mise à exiger pour elle-même le rôle de gigantesque profiteuse, elle le déclarait hautement comme si rien ne fût plus naturel : le haut salaire dont elle bénéficie, le respect qu’on lui doit, la crainte qu’elle suscite, et l’impunité totale, légale qui l’enhardit.
Mais ses privilèges, devenant onéreux, l’Etat fut obligé de les réduire. Ainsi, le budget 2018, accordé par le contribuable, pourtant en baisse de 16,8% par rapport à 2017, couvre les énormes frais d’un bateau ivre : 18 millions de dinars tunisiens (MDT), ou 22.500 fois le Smig, dont 6,7 MDT en dépenses de salaires et 1,4 MDT en dépenses de gestion pour mener sa petite guerre contre les infidèles.
Les islamistes ont fait capoter la plénière du samedi 24 mars 2018, à l’Assemblée, où leur créature devait rendre compte à la représentation nationale.
Plus qu’une maladresse, un crime inexpiable
Tout effort mérite récompense, et le juste salaire que la société humaine lui consent en échange des services qu’elle rend, la présidente de l’IVD l’aurait conclu en référence à la seule estime d’elle-même et aux qualités spécifiques qui la distingueraient des autres et justifieraient par conséquent son train de vie. Exactement comme ferait un employeur pour s’assurer la présence et les performances des travailleurs les plus compétents et comme ferait à son tour un salarié qui cherche à monnayer au mieux son talent. Un marché qui se révèle optimal pour son statut et ne s’explique pas tant par ses compétences rares que par le fait qu’elle a fait de la haine contre ses détracteurs un article de foi. Si c’est là le salaire gagné pour prix de ses turpitudes, alors ce n’est pas cher payé.
La nomination de Sihem Bensedrine à la tête de l’IVD a été, plus qu’une maladresse, un crime inexpiable. Même Ben Ali aurait trouvé meilleur candidat, ne serait-ce que pour donner de la respectabilité à son régime.
Contrairement à d’autres, on associe le nom de Bensedrine à rien. Elle n’est ni une oratrice de talent, ni une passionnera capable d’enflammer les foules, exaltant les revendications des pauvres et des souffrants, encore moins une battante qui serait passée de la conviction intellectuelle à la passion militante.
Il aurait fallu opter pour un homme ou une femme d’action et d’engagement, solidement ancré dans des convictions, nourris intellectuellement, qui incarne une forme d’autorité morale, d’intégrité incontestable et de conduite irréprochable, ouvert au spirituel et au sentimental de la vie.
Bensedrine n’est pas un modèle de méritocratie et d’intégration républicaine. Elle se trompe et a trompé son monde sur la véritable mission de cette institution qui est justement de veiller à ce que les passions personnelles ne puissent jamais altérer ou réduire les principes fondamentaux.
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