L’événement national, en cette fin de mois de juillet 2018, et qui est passé presque inaperçu, a été, l’adoption, le 27 juillet 2018, par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), de la loi sur le Registre national des entreprises, un instrument supplémentaire pour la lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent.
Par Khémaies Krimi
Il s’agit, de toute évidence, comme le disait Ghazi Jeribi, ministre de la Justice, qui avait défendu le bien-fondé du projet devant les députés, d’une avancée significative sur la voie de «la consécration de la transparence et de la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent».
Point d’orgue de cette nouvelle loi, elle vient conférer plus d’efficience à la lutte contre la création de sociétés écrans et contre l’économie informelle, en ce sens où son article 7 stipule l’inscription obligatoire au Registre des associations, des réseaux d’associations et des sociétés disposant d’un siège en Tunisie et jouissant de la personnalité civile, ainsi que de toute personne physique tunisienne ou étrangère ayant qualité de commerçant ou exerçant toute activité professionnelle ou autre.
Le pourquoi d’une nouvelle loi
Cette nouvelle législation intervient, certes, trois ans après la promulgation, le 7 août 2015, de la loi sur la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent, mais les retards qu’avait pris, depuis, la mise en œuvre des textes d’application nous ont valu deux classements malheureux.
Ainsi, en l’espace de deux mois, la Tunisie a été blacklistée par les pays membres de l’Union européenne (UE), «paradis fiscal» (5 décembre 2017) et «pays fortement exposé au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme» (7 février 2018).
Globalement, l’UE estime, pour le premier classement, que la Tunisie «a des régimes fiscaux préférentiels néfastes et ne s’est pas engagée à les modifier ou à les abolir». Pour le second classement, le Conseil de l’Europe a adopté la position du Groupe d’action financière (Gafi), organisme intergouvernemental spécialisé dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Ce groupe avait inscrit, le 4 décembre 2017, la Tunisie sur la liste des «juridictions à haut risque et/ou non coopératives».
La nouvelle loi sur le Registre national de l’entreprise vient remplacer l’ancien Registre de commerce qui était laxiste dans la mesure où il n’obligeait pas les entreprises du pays à s’y inscrire, une faille légale que l’entourage de Ben Ali et les chefs d’entreprises véreux ont exploité pour ne rien filtrer sur la situation financière de leurs entreprises et surtout sur l’identité de leurs actionnaires.
Les nouveautés de la nouvelle loi
Pour revenir au texte de cette loi, il apporte quatre nouveautés majeures.
La première consiste en la réduction des délais et la facilitation, par l’effet de la digitilisation et d’une décentralisation effective (représentations régionales et locales), des procédures d’enregistrement et en la mise en place d’un cadre réglementaire simple, en remplacement de l’ancien, considéré, comme désuet et obsolète.
En effet, pour être enregistré dans l’ancien Registre de commerce de Tunisie (appellation actuelle), les chefs d’entreprise sont soumis à un processus vague et chronophage qui les oblige à fournir à une douzaine d’institutions publiques et privées des documents qui sont souvent redondants.
Au nombre des défaillances signalées à l’époque, figurent l’archive papier non conservée, les données relatives aux ressources humaines et financières des entreprises non actualisées et souvent incomplètes et l’absence de partage des données entre les différents organismes concernés, d’où la nécessité de recourir aux moyens manuels (manipulation des documents), générant un taux de risque d’erreur élevé.
La nouvelle loi se propose justement de remédier à ces défaillances. Les entrepreneurs seront certes obligés de fournir les mêmes documents pour différentes institutions mais par la voie électronique. Ils ne seront pas dans l’obligation de se déplacer. Une fois enregistré, le nom de l’entreprise est rendu public au bout de 24 heures contre une quinzaine de jours auparavant.
La deuxième nouveauté réside dans le fait qu’une seule base de données va regrouper tous les acteurs économiques (commerçants, entreprises économiques, artisanales, associations…) avec un accès illimité et une mise à jour régulière.
La troisième nouveauté a trait à la création, dans le cadre de cette loi, de l’identifiant unique. Il s’agit d’un code qui est attribué à l’entreprise dès sa fondation lui permettant de se distinguer. Cette méthode catalyse, d’une part, les échanges en toute sécurité des entreprises entre elles et, d’autre part, les échanges entre les sociétés et les organismes publics.
Ces derniers étant notamment : la Banque centrale de Tunisie, l’administration fiscale, la douane, la Commission des analyses financières, la sécurité sociale, le Conseil supérieur de l’investissement et l’Agence de promotion des investissement et de l’innovation, l’Institut national de la statistique, les collectivités locales…
La quatrième nouveauté est perceptible à travers l’obligation faite aux entreprises de fournir l’identité de tous les acteurs qui évoluent dans son giron : dirigeants, directeurs, actionnaires…
Conséquence : toute entreprise enregistrée se doit de répondre en temps réel aux sept questions de référence «QQOQCCP»: Qui fait quoi ? Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? et pour combien ?
Par-delà ces nouveautés, les ultimes objectifs recherchés à travers la promulgation de cette loi sont au nombre deux. Le premier vise à améliorer l’image de la Tunisie, à consacrer la transparence des affaires et à améliorer le rating souverain de la Tunisie par les agences de notation internationales. Le deuxième consiste en la consécration sur le terrain, par l’effet de la digitilisation, du combat engagé contre la corruption multiforme et banalisée qui gangrène contribution dans l’administration tunisienne. Tout un programme à l’horizon par l’effet multiplicateur de cette loi.
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