Beaucoup parmi nos amis du camp progressiste ont joué aux vierges effarouchées en écoutant le discours du Morched Rached devant ses troupes, samedi dernier, 17 novembre 2018. On dirait qu’ils le découvraient ou que crédules, ils ont cru à la prétendue métamorphose que, depuis quelques années, Ennahdha veut vendre aux idiots utiles.
Par Chedly Mamoghli *
Ces chers progressistes reprochent à Rached Ghannouchi un discours arrogant, hautain, méprisant et un tantinet menaçant. Certes, il l’est sur la forme cependant sur le fond, c’est la réalité. Ce qu’il dit est vrai. Depuis 2011, Ennahdha fait et défait les gouvernements et fait et défait les gouvernants. Il ne faut pas être dans le secret des dieux pour le savoir.
Les islamistes sont les maîtres du jeu
Il y a eu les élections de 2014 qui ont relégué le parti islamiste à la seconde position mais très vite et, ce dès 2015, le népotisme – qu’ils ont d’ailleurs encouragé et ont pris fait et cause pour Hafedh, le fils de Béji Caïd Essebsi (BCE), le président de la république, et son clan – a eu raison de Nidaa Tounès. En soutenant le népotisme, ils ont détruit leur adversaire pour s’emparer de nouveau de la position de premier parti. Et même lors de la victoire de Nidaa en 2014, ils étaient incontournables. Quand la gauche a refusé de s’allier avec BCE, eux ils ont sauté sur l’occasion.
Par conséquent, ne nous voilons pas la face et ne soyons pas dans le déni, ils sont les maîtres du jeu et la guerre intestine au sein du camp progressiste ne fera que pérenniser leur maîtrise du jeu politique.
L’éviction de l’excellent ministre de la Justice, Ghazi Jeribi, vient encore une fois prouver que les islamistes sont les maîtres du jeu. Cette éviction est une perte sèche pour Youssef Chahed et pour son gouvernement.
D’abord, Ghazi Jeribi a fait correctement son travail mais il a été sacrifié pour les beaux yeux du Morched Rached. Il fallait tenir tête concernant le cas Jeribi. Sacrifier l’un des meilleurs si ce n’est le meilleur élément du gouvernement qui a non seulement mené à bien sa mission en tant que ministre de la Justice mais également en assurant avec brio l’intérim à la tête du ministère de l’Intérieur durant une période sensible juste pour satisfaire M. Ghannouchi brouille la confiance entre le chef du gouvernement et ses hommes.
Les personnes qui croient en Youssef Chahed et veulent sa réussite vont se dire qu’on aura beau travailler et se donner à fond et bien à la fin, il nous sacrifiera pour satisfaire El Morched Rached.
Ghazi Jeribi sacrifié sur l’autel des calculs politiques
Pire encore, en sacrifiant Ghazi Jeribi puis en écoutant El Morched Rached déguster, samedi dernier, devant ses troupes, cette éviction, on a l’impression que nous sommes dans un régime présidentiel, que le président s’appelle Rached Ghannouchi et qu’il n’y a pas un chef de gouvernement mais un Premier ministre qui se charge d’appliquer ses directives.
De plus, cette éviction est un message de très mauvais augure signifiant qu’aussi compétent que vous soyez si vous ne vous montrez pas servile à l’égard d’Ennahdha et bien, vous ne ferez pas long feu.
Il y a une vraie amertume et une réelle déception après l’éviction de Ghazi Jeribi, un patriote compétent et au-dessus de tout soupçon. Il faut prendre en considération que la réforme de la Justice et des institutions y afférent est un travail de longue haleine qui impose une stabilité à la tête de ce département. Pour toutes ces raisons, cette éviction est une faute politique commise par Youssef Chahed. Il aurait dû se montrer inflexible sur cette question.
Ceci ne nous empêche pas naturellement de souhaiter tout le succès à son successeur, Karim Jamoussi, un homme respectable et un éminent juriste, toutefois l’épisode Jeribi laissera une profonde amertume. On ne traite pas les commis de l’Etat de la sorte par pur calcul politique.
* Juriste et éditorialiste.
Articles liés:
Ennahdha : Rached Ghannouchi fanfaronne devant ses troupes parlementaires
Gouvernement Chahed : Les vraies raisons du limogeage de Ghazi Jeribi
Articles du même auteur dans Kapitalis :
Ce qu’il faut pour la Tunisie : Un régime moins faible et moins instable
Donnez votre avis