La Tunisie vit une crise générale et il est temps que chacun comprenne que la vie en communauté suppose des sacrifices communs et le respect des lois, des règles, des compromis, des choix et des décisions. Et c’est de l’ordre de la responsabilité des partis politiques…
Par Ezzeddine Kaboudi *
En tant que théâtre d’un jeu grandeur nature, la vie en communauté en Tunisie est un jeu de pouvoir, une compétition d’influences réciproques. Mais elle est également faite d’enjeux sociaux, qui précisent à chacun ce qu’il risque de perdre à l’issue de cette compétition. Seuls ceux qui ont la mainmise sur les points «sensibles» pèsent lourdement sur le fonctionnement de ce jeu.
La plupart de ceux qui se sont interrogés sur ce jeu se sont très vite aperçus que l’enjeu véritable, c’est la répartition et le partage des richesses entre les forces vives de la société. Le pouvoir se situe donc toujours en relation avec la mainmise sur ces ressources.
Tout compte fait, le libre accès aux richesses est le seul véritable enjeu. Qu’ils soient individus ou groupes, pauvres ou riches, leur véritable souci est la maîtrise de l’issue ultime de la destination de ces ressources.
Une arène fermée où l’on s’affronte pour le pouvoir
Accéder aux ressources est, certes, légitime pour tout individu ou groupe, mais faudrait-il encore se donner les moyens honnêtes et légitimes pour y arriver. Seulement, ce que nous observons en Tunisie, c’est du brigandage et du pillage organisé qui a gagné du terrain et ceci dans un climat d’impunité absolue. Ainsi, tous les moyens sont bons pour y arriver et y mettre la main basse, même les plus malhonnêtes.
Dans un élan de lucidité soudaine ou plutôt d’appréhension, certaines personnes ont fini par admettre que c’est cet enjeu qui cause autant de dégât à la Tunisie et qui provoque tant de tensions et de crises.
Là où les «Ben-alistes» ont échoué, prospèrent aujourd’hui les mafioso-élitistes qui ont perfectionné le système du pillage sous des apparences soi-disant démocratiques en édictant des lois progressivement spoliatrices, tout en clamant haut et fort qu’ils agissent en vue de la justice sociale et pour une équitable redistribution du bien commun.
La Tunisie est devenue la tarte à partager ou à offrir et l’on voit les opportunistes qui rôdent autour de la table. Tous les moyens sont bons pour se tailler la part du lion. Tout est permis, même les associations contre nature : un parti supposé être au pouvoir (Nidaa Tounès), qui parade au cœur d’une manifestation organisée par l’UGTT aux côtés des militants de la gauche extrême; un bloc parlementaire appelé Coalition nationale, composé de transfuges de Nidaa Tounès, de Machrou’ Tounès et d’indépendants, qui s’allient avec le parti Ennhdha après l’avoir désespérément combattu; un parti au pouvoir qui bat de l’aile (Nidaa Tounès), et qui non seulement fusionne avec un parti à la déroute, l’Union patriotique libre (UPL) de Slim Riahi, mais qui annonce qu’il sera désormais dans les rangs de l’opposition…
J’ai bien peur qu’en Tunisie, tout le monde manipule tout le monde. C’est à ne rien comprendre…
Les prémisses d’une grande crise : l’UGTT ne désarme pas
Avec tout ce qui se passe et toutes les difficultés qui sont mises en avant, on ne s’étonnera presque pas, si les contours d’un déséquilibre et d’une crise préexistent. Il semble même, selon certains, que notre pays est arrivé à un tournant de son histoire et que si le Tunisien ne se soucie point de son avenir, il sera bientôt condamné.
Une situation explosive : le chômage est encore en hausse, 15,5 % au niveau national, plus de 35% dans certaines régions; l’inflation en hausse est autour de 7,5 %; le déficit de la balance commerciale sera record en 2018 : négatif de 22 milliards de dinars; Le service de la dette atteindra un niveau record et dépassera 9 milliards de dinars l’an prochain, contre environ 5,1 en 2016.
La détresse du Tunisien est énorme, il n’arrive plus à boucler la fin du mois. Son pouvoir d’achat se détériore face à la réalité du marché et à la flambée injustifiée des prix des produits de première nécessité.
Le bras de fer gouvernement-UGTT ne faiblit pas. La mobilisation de la centrale syndicale ne s’essouffle pas, elle continue de plus belle.
Un gouvernement «mendiant» à la merci des bailleurs de fonds
Dans tout cela, le gouvernant, pourtant plusieurs fois sollicité, on ne le reconnaît plus. Il s’en fout royalement. Il laisse pourrir la situation sociale. Il semble ne pas entendre les cris de détresse qui viennent du peuple.
Ses partisans disent que l’écho n’arrive pas au chef du gouvernement ou bien qu’il est, en panne sèche ou bien qu’il pense déjà aux élections de 2019. Ses adversaires affirment qu’il noie le poisson dans l’eau et qu’il n’a nullement l’intention de s’attaquer aux difficultés auxquelles la Tunisie est confrontée.
En réalité, le gouvernement est pris entre deux feux, entre la grogne sociale et les exigences des bailleurs de fonds.
Pourtant, entre les deux forces opposées (FMI et UGTT), le chef du gouvernement semble avoir pris le parti du premier. Mais peut-il faire autrement ? Comment peut-on ne pas répondre aux exigences des bailleurs de fond qui vous tiennent par la gorge et qui tirent les ficelles. Rien d’étonnant si le chef du gouvernement se retrouve avec un pouvoir de négociation réduit, ceux qui l’ont précédé ont bradé les richesses du pays et se sont même permis quelques facilités à la limite de la malversation.
Certains n’hésitent pas à dire que la grève générale dans le secteur de la fonction publique n’est pas une grève visant à augmenter les salaires, mais une grève pour préserver la souveraineté nationale. Ils vont même jusqu’a comparer la politique du FMI à celle de la «colonisation». Et c’est pour le moins exagéré.
Les conséquences : une situation dramatique
Face à la grogne, le gouvernement se prend les pieds dans le tapis. Il rame à contre-courant. Pris à la gorge, il ne peut que temporiser.
On tente en vain d’expliquer, par de faux prétextes, certaines décisions du gouvernement. Celle qui consiste, par exemple, à accorder des augmentations pour le secteur privé et à les refuser pour le secteur public? Les fonctionnaires seraient-ils des citoyens de second rang ?
Celle, également, qui consiste à promettre aux bailleurs de fonds étrangers de geler les salaires et de s’engager, en même temps, avec l’UGTT, pour accorder des augmentations?
Enfin, celle du dernier remaniement qui vise, certainement, à renforcer la stature politique de Youssef Chahed.
Mais depuis qu’il est pouvoir, qu’attend-t-il pour redresser la situation et pour jouer enfin son rôle en choisissant des dirigeants dignes de ce nom et en renvoyant ceux qui sont là pour la parade?
En attendant, que faire ?
Aujourd’hui, il faut admettre que l’urgence, c’est maintenant. Des mesures immédiates sont, donc, nécessaires. C’est aujourd’hui qu’il faut tout donner en changeant de méthode et de cap. Il faut oser entreprendre des décisions qui marquent un tournant dans la stratégie du gouvernement et qui font bouger les choses. Il faudrait réunir tout le monde autour de la table ; geler les prix pour donner du pouvoir d’achat aux ménages qui attendent un petit coup de pouce; chercher l’argent là où il est, en luttant contre tous les sources de gaspillages (charges inutiles et coûts cachés), le gouvernement devant apprendre à mieux dépenser l’argent du contribuable; s’efforcer de bâtir une politique cohérente de l’énergie, en mobilisant des moyens d’investissement pour développer la transition vers une énergie renouvelable; moraliser la vie politique en entretenant les règles de la bonne gouvernance et des bonnes manières entre les membres de la classe politique, car la vie en société repose sur des interactions qui créent des règles permettant la communication, la collaboration, l’arbitrage et le compromis ; enfin veiller à redorer l’image de la démocratie en Tunisie qui est écornée : le Tunisien ne supporte plus l’injustice ni l’impunité.
Enfin, il faudrait que chacun comprenne que la vie en communauté suppose inévitablement le respect en politique des règles, des compromis, des choix et des décisions. Et c’est de l’ordre de la responsabilité des partis politiques… Mais cela demande une conscience, un engagement considérable et surtout beaucoup de civilités.
* Universitaire.
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